On pourrait écrire des pages et des pages sur la situation de Pentagram, sur comment on en est arrivé là… Alors on va faire court : après une tournée d’adieu (!) l’an dernier, passée par l’Europe, tous les musiciens du groupe, sauf Bobby Liebling, ont annoncé les uns après les autres quitter la formation… Quelques jours avant la fin de cette tournée, on apprenait que le label Heavy Psych Sounds avait signé le « groupe » et comptait sortir leur nouvel album (!) et quelques rééditions au passage. Un line up était annoncé un mois plus tard à peine, pour épauler Bobby dans l’élaboration de ce nouveau disque, et une poignée de concerts a été montée rapidement à l’automne pour tester cette nouvelle formation et quelques nouvelles compos sur les planches… En quelques mois, la carrière de Pentagram a repris un virage bien WTF… et ce n’est pas le premier de leur histoire !
Le line-up bricolé pour l’occasion ? La fine fleur du mercenariat stoner doom, avec Henry Vasquez à la batterie (vieux baroudeur du doom metal old school : Saint Vitus, Spirit Caravan, etc…), Tony Reed de Mos Generator à la guitare (et à la production du disque, on en reparlera), et son bassiste au sein de Mos Generator, Scooter Haslip.
Dès les premières écoutes, on comprend très vite que tout est fait pour capitaliser sur Bobby Liebling – mais pas forcément sur son talent ou sa créativité, plus sur son personnage : pochette de disque immonde dominée par son regard torve, divers artworks nases dévoilés ces derniers mois où il figure aléatoirement… Plus significatif encore, il semble quasiment déifié sur le disque tout entier : la production de l’album repose sur la sonorisation de ses lignes de chant, cristallines, parfaitement intelligibles, prépondérantes… Jusqu’ici le chant de Liebling n’a jamais été mis en avant sur ses disques, souvent en retrait derrière les sections instrumentales, valorisant des musiciens qu’il avait le talent de très bien choisir. Et pour cause (attention blasphème) : il n’a jamais vraiment été un grand vocaliste (ce qui n’enlève rien à ses nombreuses qualités).
Musicalement, les repères sont compliqués à cerner sur ce Lightning in a Bottle – ce qui en soit n’est pas si confusant pour les habitués de la carrière de Pentagram. Bon courage pour faire émerger une véritable identité à ce disque ! Les compos semblent venir de tous horizons, dont certaines sentent bon les chutes de studio de Mos Generator (« Live Again », franchement…), ou pire, sont littéralement des titres de Mos Generator recyclés sans effort (« I Spoke to Death »). En même temps, avec un album enregistré (et composé ?) en si peu de temps, on ne peut pas s’attendre à autre chose qu’à du pragmatisme. C’est le cas aussi pour les paroles, avec moins de la moitié des titres crédités à Bobby (beaucoup ont été écrits par Vasquez, manifestement arrivé en studio avec son petit calepin bien rempli…).
Bref, tout ça fleure bon la catastrophe annoncée, tous les ingrédients pour un raté sont réunis. Et pourtant… Ce disque est loin d’être mauvais. Et il faut probablement, largement, en attribuer le mérite à Tony Reed, musicien génial (que peu de monde écoute) et producteur talentueux. Le gaillard est une machine à composer, productif à outrance, que ce soit via la pléthorique discographie de son bébé, Mos Generator, ou bien via ses projets plus ou moins liés au stoner. En tant que musicien, le bonhomme n’hésite pas en outre à prêter main forte à ses amis pour des tournées ou des enregistrements, à la basse ou la guitare. Ce bagage lui permet de développer une science remarquable de la musique fuzzée, et sa capacité à écrire « à la manière de » est un des éléments clés de la relative réussite de ce disque (ne soyons pas dupes : malgré ce qui est dit dans les crédits, c’est manifestement lui qui a composé 95% de la musique de la galette). En tant que producteur enfin, sa réputation de technicien n’est plus à faire ces dernières années. Pour résumer son CV, Reed est un musicien surdoué, qui sait s’adapter à toutes les situations. Bref, le candidat parfait pour bricoler quelque chose vite fait / bien fait dans un contexte aussi tordu…
En résultat, on se retrouve avec 11 compos (assez courtes : 41 minutes en tout) variées, par leur style ou leur qualité. On y retrouve du heavy rock nerveux (« In the Panic Room », “Thundercrest”…), du hard rock gentiment stoner (“Dull Pain”, “Solve the Puzzle”…), du lent « doomy & creepy » (« I Spoke to Death”, “Walk the Sociopath”…). Il y a du bon, mais aussi du mediocre (ce “I Spoke to Death » assez téléphoné, « Lady Heroin », entêtant mais énervant, à l’instar du mielleux « Spread your Wings »…). En revanche la « patte Reed » permet à chaque titre, à sa manière, d’être très efficace, par un travail mélodique qualitatif, à défaut d’être renversant d’originalité. On retrouve donc une poignée de riffs remarquables sur ce disque (« Lighting in A Bottle » par exemple) qui ont un vrai potentiel.
A noter que rien moins que trois titres bonus sont proposés : deux titres qui sonnent encore beaucoup comme du Mos Generator et ne feront probablement pas date, et une version alternative de « Lady Heroin » dont on a du mal à voir la pertinence (c’est soit un excès égotique de Reed-producteur « regardez comme je peux faire sonner ce titre différemment en touchant ce bouton et celui-ci sur ma table de mixage », soit un excès égotique de Reed-compositeur « ce titre est tellement accrocheur que je vous en remets une couche en changeant un peu le son, je ne sais pas choisir la meilleure version »).
Le constat sur ce disque est donc mitigé : alors que tout semblait mis en œuvre pour générer un incident industriel d’ampleur, Lightning in A Bottle n’est pas raté. Il contient quelques compos intéressantes, qui ne déshonorent pas la réputation et la carrière de Pentagram (encore une fois, prenons un peu de perspective : rares sont les disques du groupe qui ne contiennent que de bons titres !) et qui permettront d’injecter un peu de nouveauté dans des set lists qui commençaient un peu à tourner en rond (et oui, on peut s’attendre à ce que la « tournée d’adieu » de l’an dernier ait été une simple « tournée d’au revoir »…). Reste ce goût un peu amer d’un disque créé pour de mauvaises raisons, dans des conditions peu louables, pour capitaliser sur la personnalité de Bobby, ce dernier devenant paradoxalement une sorte de marionnette dans son propre groupe. Pentagram est -il devenu un groupe en viager ?
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