Le nouvel album des Belges est arrivé et il va y avoir du sang ainsi que des tripes sur les murs de votre salon lorsque vous aurez posé l’aiguille de votre platine dans le sillon de la première face de ce double album qui évite superbement les redondances tout en conservant une grosse dose de sauvagerie tellement bienvenue. J’avais accroché sur la livraison précédente The Fabulous Progerians après m’être fait ramoner les fabriques à cérumen par ces lascars naguère durant un Desertfest sis dans le Plat Pays qui est le leur et je me délecte avec cette nouvelle production qui va poser un problème de mise en page à certains graphistes, vu son titre imposant, pour la coincer dans les colonnes de leurs canards si tant est qu’ils s’intéressent la moindre à une sensation européenne de grande classe internationale.
Crush The Wise Men Who Refuse To Submit, le second long-format de The Progerians sort sur Mottow Soundz qui compte parmi ses poulains une autre histoire belge qui envoie du lourd : La Muerte. Cette proximité nationale ainsi que discographique se prolonge, entre ces deux formations, dans la déclinaison de leur art entre urgence, aliénation et barbarie. Un mode d’expression nécessairement très qualitatif à mes yeux qui est soutenu par une pochette au visuel apocalyptique sur lequel se côtoient 2 diablotins dignes d’une illustration moyenâgeuse (la connivence avec Sardonis n’est par ailleurs pas uniquement visuelle ; les anciens s’en souviennent) sur fond d’usines, rappelant la célèbre Battersea Power Station, qui crachent aux cieux leurs fumées sombres. Le ton est donné : pas d’ode aux Combis VW et aux arcs-en-ciel psychédéliques dans ce bestiaire même si « Graven » est plus abordable dans un style heavy rock/stoner bien appuyé ; il en va de manière similaire avec l’intro de « Netjeret » qui fait illusion quelques instants avant de se prolonger dans un style plus doom et fort répétitif sur lequel les chants sont scandés.
La puissance bestiale est omniprésente sur cette production qui synthétise une certaine urgence récoltée du punk, une noirceur doom et une glauquitude connexe aux formations sludge des bayous du sud profond des USA. Le quatuor excelle dans le registre qui bastonne clairement sur un tempo vif : « Destitute » incarne ce registre à merveille et promet d’être un énorme bourre-pif en live. Le groupe est aussi particulièrement pertinent dans le répertoire qui tient en tension son auditeur comme il le réalise avec le long « Your Manifest » et ses relents ethno qui s’achève sur fond de chants proches de la chorale et des martellements martiaux alors que son riff central aura tourné durant de longues minutes sans jamais verser dans le bourrin, mais en maintenant constamment une ambiance digne de la folie rampant dans les couloirs des asiles d’aliénés. Ce dernier titre met un point final à un disque qui débute aussi de manière introspective avec « Frankie Leads To Death » qui prend toutefois rapidement la puissance d’un troupeau de pachydermes déboulant sur fond de guitares distordues.
L’univers de Nine Inch Nails est touché du doigt sur « Oceania », avec talent, avant que les Belges ne se rabattent sur un doom possédé qui se meut de manière lancinante. La tuerie ultime de cette pièce imposante demeurant « Hold Your Cross » qui est une plage proche du doom traditionnel à la britannique et qui s’achève de manière orgasmique dans une extrême brutalité avec des hurlements en français après quelques couplets chantés en langue anglaise (ça ne vous rappelle pas leurs compagnons de label ?). Cette fameuse plage de 6 minutes contient tous les attributs de séduction impératifs à un titre de doom sérieux empreint de noirceur.
Vous aurez capté mon propos : le Progerians nouveau est une énorme collection de tueries homogènes dans leur vernis sombre, mais se déclinant chacune à sa manière et surtout chacune de manière très aboutie. A la fois novatrices de par leurs orientations artistiques et terriblement accrochées au doom/sludge traditionnel, ces deux plaques – destinées à un public averti – incarnent le renouveau d’un genre qui a parfois de la peine à évoluer sans se vautrer dans le n’importe quoi. The Progerians s’en prend à notre intégrité mentale avec panache en commettant une réussite au rayon lourd et dément ; merci Messieurs !
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