Quel plaisir de retrouver le combo norvégien revenir avec un nouvel album, même si c’est par la petite porte (promo inexistante, communication du groupe à 80% en norvégien, résonance pathétique…). Les premières galettes de Thulsa Doom ont soigneusement labouré nos orifices auriculaires au début des années 2000 avec leur EP (très subtilement intitulé She fucks me, doté d’un artwork rutilant) et surtout le terrible et fondateur The Seats are Soft But the Helmet Is Way Too Tight. Le groupe au patronyme le plus troisième degré de l’humanité surfait alors sur une vague de gros stoner fuzzé et apportait un regard frais et décomplexé sur ses compos. Ils étaient bien aidé en cela par un vocaliste remarquable, Papa Doom [on vous détaille pas le line-up complet, mais oui, c’est des pseudos…], qui permettait à Thulsa Doom de se distinguer d’une masse de groupes pour lesquels un chanteur était plus un mal nécessaire qu’une caractéristique clé (c’est toujours le cas, hein). A noter d’ailleurs que dès lors que Papa Doom a quitté le groupe en 2003, confiant amicalement le micro à son guitariste Doom Perignon [No comment…], la carrière du gang, qui n’avait pourtant jamais dépassé le seuil d’un groupe d’initiés mélomanes avertis, a largement décliné – à tel point que votre serviteur pensait le groupe mort et enterré depuis belle lurette…
Et bien non, ils reviennent ! L’excitation le dispute à la crainte d’être déçu, mais on ne tarde quand même pas à se plonger dans cette galette. Il ne faut pas plus des quelques premiers morceaux pour déjà faire le constat que les dernières inclinaisons du combo sont confirmées : le Thulsa Doom que l’on a connu et adoré n’est plus vraiment le même : il a grandi, sa rage d’adolescent boutonneux s’est transformée en posture de jeune adulte mûr et sûr de lui, produisant quelque chose de plus carré, soigné et même fignolé. Les potards ont été baissés un peu partout, on a relégué la pédale de fuzz à un rôle de figurant… On l’avait senti venir avec Keyboard, Oh Lord! Why Don’t We?, alors soyons honnête : on ne peut pas vraiment dire qu’on est surpris, mais un peu déçu quand même. Nos scandinaves évoluent désormais dans un hard rock bariolé, multi-facettes, qui peut piocher dans toutes les variantes (du rock plutôt pop au hard le plus extrême) mais aussi, quand même, dans du bon vieux stoner ici ou là (« Baby, Hate It », « Wrap the Bad Up »). On peut passer d’une minute à l’autre d’un passage complètement plagié sur du Thin Lizzy (« Lady Nina », franchement, pourrait être un bonus track sur Jailbreak), vers des plans hard 80’s, voire metal (« Shadows on the X-Rays »), puis punk rock garage (tendance « scandinavian » comme sur « Eloquent Profanity ») ou encore pop rock groovy limite soul (« Quest for Fire » et un peu « Magazine »), et même des inspirations quasi-post rock (la montée sur la fin de « Wrap the Bad Up »)… et j’en passe ! Ça part littéralement dans tous les sens, mais avec toujours une complète maîtrise de la situation, et sans jamais dénaturer leur identité propre (bien aidés en cela par la prestation fil rouge de Papa Doom).
Là où l’on est content de retrouver nos lascars en revanche, c’est dans le travail de composition, où leur inspiration WTF se mêle à une intelligence d’écriture remarquable : les titres s’avèrent au final des petits bijoux d’inventivité et d’efficacité. Et puis y’a Papa Doom… Revenu au bercail, il surnage et définit une large part de l’identité sonore du groupe, avec son chant mi-gueulard mi-crooner tellement emblématique (quelle présence sur « In Italics and Bold » ou « Baby, Hate It »…). Mais sa voix écrasante n’affadit pas le groupe pour autant : derrière, la famille Doom n’est pas un vulgaire backing band. Le jeu est solide carré, et effectivement produit à la perfection, pour le genre visé. Mais on revient à la finalité, et on reste coi devant une telle démonstration d’écriture.
Au final c’est donc cela qu’on retiendra : A Keen Eye for the Obvious est un disque remarquable, qu’on peut écouter des heures durant sans jamais se lasser, un travail de composition de haut vol, porté par une interprétation survitaminée. Un vrai bon disque, comme on en fait peu. En revanche, il semble marquer une bonne fois pour toutes la sortie du groupe de nos sphères musicales de prédilection. Les plus nostalgiques le déploreront. Les plus ouverts en termes d’horizons musicaux sauront sans nul doute les apprécier à leur juste valeur.
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