On le sait, quand les Stoned Gatherings et Garmonbozia Inc. travaillent ensemble, ça fait souvent des Chocapics. Et comme s’ils avaient encore des choses à prouver, les deux collectifs parisiens ont ramené jeudi dernier ni plus ni moins qu’Elder, Wo Fat, Sasquatch et Ancestors, pour notre plus grand plaisir. Une soirée au Glazart 100 % Américaine qui, pour paraphraser l’orga, fut forte en riffs et riche en cosmicité.
Les habitués le savent, au Glazart il s’agit de faire preuve de ponctualité. À peine le gong des 19 h retentit que le Progressif mêlé d’Heavy space rock aux accents doom d’Ancestors se met en branle. Bien que beaucoup trépignent encore d’impatience bloqués dans les transports ou au boulot, nombreux sont déjà là pour accueillir le quatuor made in Los Angeles. Leur style hybride tantôt d’une mélancolie pesante, tantôt d’une lourdeur cosmique se déploie en douceur et vient peu à peu rassembler les fidèles au-devant de la scène. Sans trop comprendre pourquoi, on se retrouve envoûté par ce mur de son, par ce chant aérien, céleste, qui survole des riffs puissants frappant comme les vagues d’une mer tumultueuse. Éventuellement cette tension finit par exploser à mesure que les titres s’enchaînent et que l’on abandonne l’influence Pink Floydienne du dernier album au profil de celle plus Earthlessienne des premiers. Le chant passe de clair à saturé, la batterie s’emporte et les invocateurs sinistres réussissent à agiter les nuques, mettant finalement l’audience dans les dispositions requises à la suite des hostilités.
Une suite qui se fait un peu attendre. S’ils montent sur scène à l’heure et avec leur naturel décontracté habituel, les gaillards de Sasquatch souffrent de quelques problèmes techniques. Un soucis de micro du côté de Keith qui vaudra à ses deux copains de balancer quelques vannes en attendant la fin de ces interminables balances. Difficile de ne pas rigoler avec eux. Puis, une lampée de jack plus tard, ils allument la scène avec « More Than You’ll Ever be ». Premier constat, le chant manque de volume. Et en plus, il semblerait qu’aux premiers rangs nous souffrions de la malédiction du Glazart pour les voix ; avec des speakers positionnés juste derrière les deux colonnes jouxtant la scène. À l’arrivée de « The Message », je décide de reculer pour apprécier davantage les lyrics. Et tandis que situé pile dans le cœur du cyclone je devrais me faire balloter comme un bateau de noix dans la tempête, je remarque qu’aucun pogo ne se déclenche. Le stoner rock pourtant dévastateur des Américains ne met pas le feu aux poudres. L’humeur mi-figue mi-raisin de Keith semble se communiquer à l’audience qui se contente de hocher la tête, et ce jusqu’à l’ultime titre pourtant conçu pour pulvériser les fosses : « Chemical lady ».
Toutefois, cette frilosité se soustrait très vite à une tout autre atmosphère lors du passage des Texans de Wo Fat. Devant une salle pleine à craquer, le trio balance un set monstrueux ; du solide travail de patrons. Les riffs fuzzés à souhait, crasseux, viennent se poser sur la rythmique tantôt frénétique, tantôt diablement percutante, de Michael Walter. Là-dessus, le chant rauque de Kent invite à déchaîner les passions, poussant les plus téméraires à enfin se sauter dessus. Les passages de psychédélismes plus tendres qui viennent quelque peu apaiser l’ambiance n’existent que pour mieux agiter les nuques en vue d’être paré pour la prochaine explosion. Explosion souvent accompagnée d’un vilain solo. « The Conjuring », « The Black Code », à chaque nouveau morceau c’est dix degrés supplémentaires pour la fosse du Glazart. Les deux comparses Keith Gibbs et Craig Riggs de Sasquatch s’invitent même sur scène, bière à la main, afin de donner eux aussi de leur voix.
À la fin de ce set remarquablement exécuté, les premiers rangs sont liquides et sentent la bière. Pourtant, personne n’est assez fou pour oser s’en plaindre.
Le temps d’une énième roteuse histoire de réhydrater la machine, et on file se replacer au cœur de la forge. Pour ce dernier concert, le fer s’apprête à être battu par Elder, ce groupe originaire de Boston que tout le monde attend (si on doit en juger par la proportion de fidèles prêts à s’agiter quinze minutes avant le lancement du premier riff). Sans surprise, la prestation met sur le cul. Déjà par la beauté des compositions admirablement bien retranscrite en live ; ensuite par toute la technicité déployée par chacun des membres. Et si Nick Disalvo, chanteur, guitariste et majoritairement auteur et compositeur du bousin reste planqué derrière son pédalier, ses claviers, son micro et son orgue à pied, c’est le bassiste Jack Donovan qui assure le rôle de frontman. À grand renfort de sourire, il lie ses trois compères entre eux, mais aussi avec le public. Et pas uniquement sur le plan visuel. Comprendre que la basse revêt le rôle d’instrument le plus important d’un groupe s’avère ici facile à admettre. Côté fosse, c’est la liesse. Lorsque tout le monde finit de hurler les lyrics de « Sanctuary », chacun se jette dans le chaos global lors du démarrage de « Compendium ». Ce chef d’œuvre met littéralement la pagaille. La prestation passe presque trop vite. À peine six titres et il faut déjà quémander (pas beaucoup non plus) le rappel. Une ultime panacée offerte grâce au titre « The Falling Veil » tronquée de sa douce et onirique introduction pour n’en conserver que la substance active. Puis le rideau tombe. Déjà.
À l’heure du bilan, on se dit qu’une douche ne sera pas du luxe. En dépit d’une qualité de son pas extraordinaire, le Glazart conserve sa place sur le podium des places fortes pour héberger le stoner dans la capitale. Une soirée à guichet fermée qui, bien qu’habitée de plusieurs styles, et ayant connu une ascension graduelle vers les hauteurs, a su rassembler les âmes sous une seule et même bannière. Celle du plaisir et de la gratitude.
Petite correction à faire, le chanteur et guitariste de Elder est Nick DiSalvo. Merci pour cet artoicle!