Loin des écrasants effectifs des Up In Smoke Festival et autre DesertFest, on s’envole cette fois-ci en direction de l’Allemagne pour un rassemblement encore très méconnu de ce côté de la frontière. Prônant la proximité avec les artistes et l’accessibilité, le Keep It Low festival, que l’on doit notamment à Sound Of Liberation, ouvrait ses portes les 19 et 20 octobre 2018 pour sa sixième édition. Ici, impossible de perdre vos potes bien longtemps parmi les quelque 1000 détenteurs d’un billet (800 pour le vendredi). C’est partagé entre trois scènes, quatre bars et pas moins d’une vingtaine de groupes que vous risquez de passer l’un des meilleurs weekends de votre misérable existence.
SUNDOG
Pour ce début de festival, on se dirige donc vers la petite salle Hansa 39, celle avec le meilleur son et une ouverture sur la gauche de la scène permettant d’observer les artistes depuis le côté. Un atout majeur et fort appréciable lors des grosses influences de la journée. La tâche d’ouvrir les hostilités revient à Sundog ; quatuor originaire de Munich qui, s’il profite du confort de jouer chez lui, doit aussi essuyer le premier sang. À 18 h, les fidèles sont encore trop peu nombreux à venir assister au rock stoner bien catchy des Allemands. Pourtant, ces derniers défendent leur beefsteak avec une franche bonne humeur et sans se départir de leurs sourires. Les riffs marquent plus par leur efficacité que par la richesse de leur écriture, cependant l’énergie reste indéniable. Les nuques s’assouplissent et chacun crie bien fort son assentiment après chaque morceau. En définitive, on se félicite de s’être fait secouer par ce groupe et de commencer ces deux jours sous les meilleurs auspices.
ANANDA MIDA
Direction le Kranhalle, la seconde salle dotée d’une scène plus large et d’une hauteur au plafond bien supérieure à la précédente. À l’heure de l’apéro, ce sont les Italiens d’Ananda Mida qui servent la boisson. Une liqueur ensoleillée pleine d’un son rétro distillé dans les meilleures raffineries des années 70. Formé par le batteur Max Ear et le guitariste Matteo Pablo Scolaro, le groupe révise à plusieurs reprises son line-up depuis 2015, jouant tantôt à trois tantôt jusqu’à six membres en même temps. Il semblerait que la composition actuelle comprenant cinq musiciens fasse sacrément bien le taf. Même si parfois batteur et bassiste s’éclipsent, offrant à leurs trois copains tout le loisir de combler nos oreilles avides d’une douce balade. En dehors de ces quelques passages veloutés, les guitares composent avec une grâce qui évoque sans mal celle de ce cher David Gilmour, tandis que de son côté, le chant emprunte davantage à Robert Plant. Une sensation renforcée par le look rétro du frontman ainsi que par ses manières exacerbées. À mesure que les titres s’enchaînent, la bonne humeur méditerranéenne vient envahir la salle allemande de sa suave chaleur psychédélique et attire de plus en plus de convives à venir s’en repaître.
FARFLUNG
Changement radical d’atmosphère avec l’arrivée de Farflung. Le psychédélisme demeure, mais revêt ici son habit incrusté d’étoiles colorées et de nébuleuses pleines de mystère. Au volant de ce vaisseau lancé à vive allure dans l’immensité du cosmos, le capitaine Tommy Grenas officie, habillé de son manteau de marin et pianotant sur son tableau de bord afin de maintenir le cap. Derrière dans la salle des machines, ces quatre lieutenants se chargent de propulser l’engin à grand renfort de riff planant et de multiples effets sonores dignes des plus nobles œuvres de science-fiction. Le space rock des Américains se déploie avec lenteur et sans réels échanges avec le public. Chacun étant trop absorbé par sa tâche pour daigner lâcher un sourire, voire même ouvrir les paupières. La prestation pourrait sembler pesante, en partie à cause des épais murs de son qui balayent la salle à rythme régulier, voire aussi quelque peu morne par moment, néanmoins la recette fonctionne. L’envoûtement se transmet à l’assemblée de plus en plus dense de l’Hansa 39 et asservit totalement les fidèles. Une prouesse facilitée par l’habile jeu de lumière déployé qui nous caresse telles les flatteries d’une sirène céleste et éthérée (il est surtout dépourvu de ce maudit rouge qui fait tant le malheur des photographes amateurs). Quarante-cinq minutes de set plus tard, on ressort hébété, comme d’un rêve dont le sens nous échappe au réveil et dont on ne gardera que le goût d’un univers aussi insaisissable que fascinant.
CHILD
Petit détour par la case sandwich falafel vegan avec sauce qui tache avant d’attaquer le plat de résistance. J’ai nommé Child. L’endroit promet d’être rapidement blindé et comme c’est parfois le cas au Keep it Low, il faut attendre que les assoiffés ou ceux qui perdant le combat contre leur vessie quittent la salle pour espérer pouvoir y entrer. Par chance, votre serviteur se fraye sans mal un chemin au travers de cet amas de barbus et assiste avec une joie non feinte au superbe set des Australiens. De là, il peut apprécier le hard rock bluesy constellé de plan psyché et armé d’un méchant groove du trio. Autant en studio c’est déjà du lourd, autant sur scène leur musique prend une tout autre ampleur. Tant par ses riffs fuzzés et ses mélodies que par son chant de bluesman, Mathias Northway nous enveloppe dans une gangue de velours dans laquelle on pourrait se contenter de s’abandonner. Toutefois, l’énergie libérée par Danny Smith et surtout par ce bucheron de Michael Lowe contraint à davantage de dynamisme. Ce batteur met une telle puissance dans son jeu qu’il vient sublimer la musique, lui conférant une intensité saisissante. C’est un véritable pète-nuque dont même le petit souci d’ampli basse ne pourra amoindrir la violence. L’équipe des cheveux longs défend ses anciens titres comme les nouveaux et nous promet par cette performance que les années à venir comporteront elles aussi leur lot de trésors.
THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES
Autant les chanteurs de Farflung et d’Ananda Mida occupaient une place centrale lors de leur set, autant concernant The Devil and the Almighty Blues, Arnt Andersen ne peut être plus humble. Dès le début du set des Norvégiens, il est dissimulé derrière son gratteux, bras croisés, une bière à la main et absorbé par la musique. Les néophytes pourraient même s’interroger un instant sur la présence de cet homme en retrait pendant les quelques minutes où les musiciens commencent à jouer. Puis, une fois le climat de blues ténébreux installé, Arnt s’avance et s’empare du micro. La symbiose atteint alors son apogée, avec une cohésion parfaite au sein du groupe. On se retrouve emporté dans ce blues lancinant, un blues redneck avec éclaboussure de bière et godasses crottées de boue. L’atmosphère est lourde, et pas uniquement à cause de la masse compacte qui s’agglutine au-devant de la scène. Sur « Tired Old Dog », on sent presque le démon nous chatouiller les entrailles à mesure qu’on hoche la tête. L’humeur chaleureuse du groupe finit de convaincre la foule, à la fin de chaque morceau c’est une ovation. Toujours aussi cool, Arnt remplit même le verre d’un type en première ligne qui a le malheur de le brandir vide devant lui. Puis, il retourne se réfugier devant l’ampli guitare pour savourer au mieux les compositions de ses copains. Le quintet achèvera sa prestation par l’incontournable « The Ghost of Charlie Barracuda » avant de se retirer avec la satisfaction d’avoir mis la barre très haut.
ACID KING
Il faudra se dépêcher de rallier la scène suivante pour éviter la cohue. Il faut croire qu’Acid King est attendu de pied ferme. Ça tombe bien, parce que l’équipe de Lori arrive justement armée d’un doom monstrueux, dont même les petits larsens un peu sales survenant de manière sporadique sur « Laser Headlights » ne parviendront à nous détourner de sa lourdeur. Par chance, les nuques sont depuis plusieurs heures assouplies avec un soin particulier. Cette musique tellurique, sinistre et aiguisée à la masse, inonde la salle pendant plus d’une heure quinze de set. Des compositions qui, si elles s’avèrent guidées par la frontwoman au chant torturé et puissant, restent portées par une solide base rythmique. Le bassiste Rafael Martinez, également batteur de Black Cobra, sait en effet comment opérer avec Bil Bowman pour confectionner la matière si brute et infaillible du style. En définitive, la barque déjà bien agitée du festival chavire durant ce live. Et pourtant, les éléments du pit ne se départissent guère de leur timidité. Nous l’avions déjà constaté l’année précédente, mais au Keep It Low il est particulièrement difficile de provoquer des pogos ou des slams. Qu’il s’agisse de l’effectif réduit des participants ou bien de cette ambiance intimiste propre à conserver une certaine mesure, l’agitation se limite à des hochements de tête. Pas grave. Finalement, le doom n’en requiert pas davantage.
COLOUR HAZE
Pour cette fin de première journée, il revient à Colour Haze de clôturer le bal. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les Allemands n’en sont guère à leur coup d’essai. En six éditions de Keep It Low, ils n’ont quasiment jamais manqué une occasion de se placer en tête d’affiche. Seule l’année 2014 fait défaut à leur palmarès et restera comme une ombre ricanante sur ce surprenant tableau. En même temps, le groupe est lui aussi originaire de Munich et a sans doute participé, avec notamment la fondation du label Elektrohash Records par Stefan Koglek, à l’émancipation de la scène stoner de la ville. Ils se présentent donc sous les projecteurs comme les parrains de cette manifestation, attendus, mais surtout chaleureusement accueillis par un public qui sait depuis le temps apprécier leur simplicité et leur naturel. Alors qu’il pourrait s’en passer, Stefan nous salue même dans la langue de Shakespeare. Et dans cette petite salle à l’ambiance familiale, dont la qualité absolument irréprochable du son dispenserait presque du port des boules quies, ils démarrent. Un set qui dépassera les deux heures. Les morceaux de douze minutes s’enchaînent, glissent frénétiquement vers le jam session en apparence incontrôlable, mais parfaitement maîtrisée. Les riffs déroulent comme un cheval au galop qui nous transporte tantôt vers les cieux intangibles du psychédélisme, tantôt dans une course frénétique au cœur de la tempête de sable désertique. Leur talent d’improvisation est tel que lorsque la basse de Philip refuse de coopérer pendant presque quinze minutes, les autres gaillards tiennent la baraque. Je parie même que certains ne se seront rendu compte de rien. Renforçant le côté intimiste du concert, ou par courtoisie pour ceux ne faisant pas face à la scène peut-être, le véloce Manfred Merwald a fait pivoter sa batterie d’un quart de tour ; pile en direction de l’ouverture gauche. De cette manière, même les retardataires peuvent se sentir intégrés à cet interminable show.
C’est finalement peu de temps avant 1 h que l’on retourne sur le plancher des vaches afin de filer se rafraîchir les esgourdes ; entre autres choses. Cette première journée s’achève sur la superbe prestation de Colour Haze et nous laisse avec la perspective d’un lendemain encore plus prometteur.
[A SUIVRE…]
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