Le 16 août dernier au Gibus à Paris, Fuzzoraptors et Fauchage Collectif nous ont concocté un plateau de 4 groupes qui pouvait se résumer en quatre lettres : doom. Les américains de Cough se payaient la tête d’affiche et les autres groupes n’avaient pas à démériter : labellisé 100% français, on retrouvait Malemort, Monarch ! et Witchthroat Serpent. Comme si la fête manquait de lascars, Sinister Haze, le side project du guitariste de Cough, s’est rajouté à l’affiche 2 jours plus tôt. Il ne m’en a pas fallu plus pour quitter mon transat et prendre le premier retour pour Paris (c’est faux, je n’étais pas en vacances).
Il est 18h30 et une petite foule commence à se former devant le Gibus toujours fermé, alors que Sinister Haze est censé monter sur scène à la même heure. Une info facebook vient nous signaler au même instant que le running order vient d’être modifié, la faute à un léger retard des membres de Cough. Finalement, c’est Malemort qui ouvre la soirée à 19h15 [ndlr : notons que ce n’est pas le même “Malemort” qui officiait en ouverture de Crowbar il y a quelques jours, sur la même scène, et que ce sont tous deux effectivement des groupes français… ?!]. Alors que la salle est déjà convenablement investie, le guitariste fait sonner un triton des familles dans – fait assez rare pour être signalé – le silence le plus absolu (preuve que les amateurs de doom sont des gens raffinés et respectueux, ne saisissant pas chaque silence pour beugler). Le calme vient vite laisser sa place à une tempête de saturation, lente et éprouvante. Les hurlements du batteur viennent assombrir l’ambiance déjà loin d’être joyeuse, et les voix plus rauques du guitariste et du bassiste – puisque tout le monde chante dans le groupe – s’ajoutent aux réjouissances mortuaires. Le groupe quitte parfois les charentaises du funeral doom anxiogène pour s’aventurer dans des cadences plus black, où il semble être moins à l’aise et plus hésitant. Mais avec son atmosphère malsaine, Malemort réussit sans mal à transformer le Gibus en fosse commune et à poser idéalement les prémices d’une soirée doomeuse.
Sous une scène baignée de rouge, Monarch ! démarre son oraison. Le groupe qui sort un nouvel album fin septembre chez l’excellent Profound Lore Records ne s’impose aucune limite dans l’expérimentation sonore. A la frontière du drone et du doom, la principale originalité de Monarch! réside dans sa chanteuse; derrière un autel d’effets en tous genres, elle module et déforme sa propre voix. Cette blonde au visage angélique – et dont le t-shirt Saint Vitus ne suffit pas à nous effrayer – fait résonner sa voix pure au milieu de l’agitation sonore menée par les hommes qui l’entourent. Ce personnage à la fois rassurant et envoutant contraste surtout avec le bassiste, vêtu d’un débardeur à moitié déchiré Bathory frappé d’une tête de bouc et dont la basse orpheline d’une corde est placée à une hauteur suggestive. Cette engeance du diable hurle dans son micro et se remue beaucoup trop pour n’être qu’un simple fanatique. Entre une bière sifflée d’une traite et un regard assassin vers la chanteuse, il incarne la lubricité et la débauche s’attaquant à celle dont les chants sonnent trop délicieux. De sa musique jusqu’à la scène, Monarch! mélange habilement la douceur et la furie. Une grosse claque.
Une odeur d’encens s’est répandue dans la salle ; on subodore en toute logique les toulousains de Witchthroat Serpent, puisque, rappelons-le, leur dernier album intitulé Sang Dragon sorti en 2016 faisait référence à un encens psychotrope. Les spectateurs seront-ils bientôt les victimes de visions hallucinogènes sous ces effluves résineuses? En tout cas, ils sont plus nombreux et la scène se fait de moins en moins accessible. Witchthroat Serpent balance un stoner doom mystique des plus efficaces mais qui n’a rien d’étonnant. En live comme sur disque, Witchthroat Serpent fait penser à Electric Wizard, du son des grattes aux riffs fumeux en passant par un bon usage de la wah wah pour un zeste de psychédélisme. Toujours est-il que le set des toulousains passe agréablement bien, offrant finalement une bouffée d’air frais entre les vapeurs toxiques des précédents groupes et de celui qui va suivre. La marijane a meilleure odeur que la mort.
Sinister Haze commence avec une longue intro sans batterie avec Brandon Marcey grattant quelques accords tout en chantant d’une voix claire et légèrement plaintive. Pour vous donner une idée d’à quoi ressemble le side project du guitariste de Cough, prenez les morceaux les plus calmes de Still They Pray, enlevez un peu de crasse et rajoutez quelques harmonies, c’est gagné, vous obtenez Sinister Haze. Si les débuts de ce groupe étaient largement orientée vers le stoner, il semblerait qu’il se soit maintenant tourné vers un rock psyché et planant, à grand renforts de claviers de l’espace, d’arpèges du futur ou carrément de violons. Sinister Haze, tout comme son papa Cough, garde un goût certain pour les ambiances maussades et nostalgiques, et transporte son auditeur dans une sorte de rêve éveillé. Les gaillards ont bien eu raison de se rajouter à la liste des groupes de ce soir.
Un orgue se met à sonner, la salle est pleine pour assister à la procession du soir, celle de Cough. Torture, souffrance, misanthropie, voilà les quelques thèmes de prédilection du groupe, qui triomphe superbement dans le morbide. Avec des riffs des plus sordides et une voix qui semble vomir de la haine, Cough est la parfaite bande son d’un film d’horreur ou d’une fin du monde apocalyptique, au choix. Pour une raison inconnue, David Cisco, qui partage habituellement les voix avec le bassiste Parker Chandler, n’est pas là ce soir. C’est donc Brandon Marcey qui s’y colle, et il s’en sort plutôt bien. Alors que Parker s’occupe des parties nerveuses, le visage caché derrière sa longue chevelure, Brandon gère les passages plus doux, pour peu qu’il y en ait.
La désolation de Cough fait petit à petit son effet ; un dégénéré s’esquinte le poing en tapant sur la scène avant de mettre fièrement sous le nez des malheureux près de lui sa main ensanglantée. Une fille qui doit juger la qualité de ses photos un peu mauvaise depuis la fosse décide de monter sur scène pour prendre des gros plans de chacun des membres. Un peu plus tard, une autre viendra montrer ses seins et sera rejointe par un autre, venu montrer ses seins lui aussi, mais qui recevra étrangement beaucoup moins d’encouragements que sa camarade. L’heure de la dernière chanson arrive, et le claviériste demande de la weed dans le public. Tout va bien.
Une très grosse soirée qu’aucun amateur de son lourd et dépressogène ne devait manquer. Sur plus de 5 heures de concert, on déplore quand même que toutes les sorties de la salle fussent définitives. Peut être que dans ce climat sombre et oppressant, la soirée se voulait ainsi plus réaliste.
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