Troisième édition pour l’édition anversoise du Desertfest, qui a l’air de trouver son rythme et sa place dans le calendrier très chargé des festivals de stoner. Cette année encore, l’affiche proposée aura su convaincre le plus grand nombre, les rares billets restant en vente ayant trouvé preneur les derniers jours avant l’événement. C’est donc devant des pancartes « sold out » que nous ouvrons les portes vitrées du Trix cette année encore, bien motivés pour dévorer quelques dizaines de concerts… Clairement, et nous y reviendrons, le choix de la programmation pantagruélique de ce type d’événement est questionnable : tous les concerts se chevauchent sur les différentes scènes, et il est techniquement impossible de tout voir. Or faire des choix sur une affiche comme celle-ci est parfois facile, mais trop souvent cornélien : Yob ou Black Rainbows ? 1000 Mods, Elder ou Arabrot ? Hangman’s Chair ou The Atomic BItchwax ? Earth Ship ou My Sleeping Karma ? Uncle Acid, Lonely Kamel ou Castle ? etc… On a décidé de tout faire (au mépris de notre santé mentale et physique… pour toi, public !), et donc de tout « picorer », mais la frustration rémanente est un paramètre à prendre en compte dans l’approche de ce festival… Il faut en être conscient. Mais rentrons plutôt dans le vif du sujet.
Black Wizard
C’est les Canadiens de Vancouver qui servent d’appetizer pour cette nouvelle édition de ce Desertfest automnal dans le plat pays. Comme l’an passé – et comme ce sera le cas durant les trois jours de festivités – la foule est compacte devant la scène Vulture (la plus petite des trois scènes sur lesquelles les groupes vont se succéder jusqu’au dimanche soir). Si nous prîmes un coup de pied au cul l’an passé d’entrée de jeu avec une formation qui envoyait des grosses bûches (Planet Of Zeus), il n’en fût pas de même cette année – en ce qui nous concerne – avec le heavy metal très traditionnel de la Colombie Britannique certes bien envoyé, mais pas des plus excitants. La configuration de la salle, le stress d’une belle journée de course dans une Belgique qui a bien changé en une année, les plans tirant presque sur le Maiden des temps jadis ou le constat d’être déjà agglutinés comme des poissons dans une boîte qui conserve ne nous fit pas trop taper du pied ou remuer les cervicales.
Alkerdeel
On monte au premier étage pour retrouver la très bonne salle « Canyon », qui sera le théâtre de certains des meilleurs shows de cette année. Ce ne sera pas vraiment le cas avec Akerdeel malheureusement. Sans être inintéressant, leur set ne restera pas dans les annales. Proposant une sorte de metal bien barré, protéiforme (le tee-shirt du guitariste à l’effigie de Mr Bungle est sans doute une indication en terme au moins de « non-cohérence » musicale), le groupe balance ici ou là des plans de batterie blast-beattés ou presque, des lignes vocales beuglées, le tout dans des compos vaguement sludg-esques, aux structures torturées… Résultat : les zicos sont (légitimement) concentrés sur leurs instruments, prêtant peu d’attention à un public pourtant bienveillant. Desservi par une mise en son qui souffle le chaud et le froid, le set des locaux ne convaincra pas grand monde.
Torche
En première partie de Red Fang sur leur tournée européenne, Torche se voit naturellement ajouté à l’affiche du jour au Trix – leur notoriété justifiant quant à elle le choix de la main stage, qu’ils inaugurent pour cette édition 2016. Sans aucune surprise, le quatuor ricain déroule son set avec efficacité et professionnalisme. Leurs « hits » (généralement issus de leurs premières productions) remportent tous les suffrages, leur permettant de glisser ici ou là quelques titres récents moins connus (et par ailleurs moins efficaces, ça se voit dans le public). On retrouve par la même occasion le light show emblématique de la main stage, avec des vidéo projections envahissantes, certes (servent d’éclairages et viennent de fait se projeter sur tous les musiciens), mais généralement bienvenues et parfaitement adaptées aux groupes. Le son dans la salle aurait mérité d’être un peu mieux travaillé, en revanche. On a déjà vu Torche en live plusieurs fois, et même si ce set ne restera pas dans le top 3, la prestation délivrée était honnête, efficace, et aura contenté la large part du public présente.
Sub Rosa
Déjà croisés deux semaines plus tôt à Bâle, les belles Américaines et les Ricains montent sur l’estrade de la petite structure alors que la majorité du public (ça joue à guichets fermés) est encore en pleine torchée devant la Desert stage. Nonobstant ce placement qui paraît handicapant, quel n’est pas notre étonnement de voir un public nombreux se presser pour se taper une bonne tranche de doom bien dark (et parfois folk) balancé à grands coups de violons dévastateurs. A l’aise dans cette configuration qui sied bien à leur art, la formation mixte s’en sort plutôt bien sur cette scène dans le prolongement d’un bar qui est peu mise en valeur par les lights dans la plus pure tradition de l’underground (les photographes ont apprécié la chose).
Your Highness
Alors que SubRosa est en plein set, il est temps de décrocher pour la seconde prestation à envoyer du son sur la Canyon stage. Ce chevauchement – ni le premier, ni le dernier du week end – oblige à effectuer des choix entre une formation ou une autre voire entre une formation et un cornet de frites (et vous nous savez gastronomes). C’est du pays des frites (quand on parle de gastronomie…) que provient le quintette actif dans un registre des plus couillus et bien barré. Ça fait un putain de bien par où ça passe même si ça sort un peu du cadre stoner pur sucre en tirant clairement des ogives metal parfois entrecoupées de plans bluesy. Le rasé hurleur s’égosille et nous comprenons clairement pourquoi un des protagonistes arbore un t-shirt de Kvelertak, mais cherchons toujours le lien avec celui d’Orchid enfilé par un de ses collègues. Une bonne montée en pression avant de rejoindre une des grosses sensations de la journée deux étages plus bas.
Yob
C’est face à une foule compacte et enthousiaste que Yob prend possession de la Desert Stage à 21h précise. Le trio d’Eugene, Oregon verse sur l’assemblée son metal en fusion, à la croisée d’un death metal allumé et d’un doom des plus cosmiques. Si la set-list ne présente pas de surprises (elle est même, concert de festival oblige, amputée d’une voire deux chansons, telles « Atma » ou « Adrift in The Ocean »), elle se concentre sur l’essentiel. La puissance de « Ball Of Molten Lead » ou de l’incontournable « Burning The Altar » répondent à l’émotion absolue que procure « Marrow » perfection issue du dernier chef-d’œuvre du groupe sorti en 2014. Un live de Yob est toujours un moment à la charge émotionnelle indescriptible, bien au dessus du reste de la compétition. Reste qu’il faudrait au moins 3 ou 4 heures de show pour ne pas en ressortir un poil frustré.
Black Rainbows
Le deuxième orchestre “black-quelque-chose” sur trois à envoyer du gras aujourd’hui, le fait à nouveau dans l’espace le plus riquiqui. Tant pis pour les ceusses qui ont voulu entendre quelques notes de plus de la bande à Mike Scheidt car la salle est archi-comble quand les Italiens balancent la purée. Le son est au top et les épicuriens venus en force sont aux anges. Les Transalpins ne sont plus des débutants et ils savent comment faire headbanguer les quidams avec leur groove imparable entre vieux Aerosmith et space rock sous acides. Les fans ont apprécié les plans jams ajoutés à des compos comme « The Cosmic Picker ». Avec un final d’anthologie sur la reprise des légendaires MC5 (« Black To Comm »), ils provoquent presque des ruptures de la nuque auprès de certains mélomanes.
Coogan’s Bluff
Changement de décors avec la formation cuivrée du nord de l’Allemagne que vos envoyés spéciaux avaient déjà remarquée lors de la dernière berlinale désertique. Les Teutons adoptent leur configuration scénique habituelle : la batterie à l’avant-centre en bords de scène, les instruments à cordes sur les ailes et la section cuivre à l’arrière. Le public a le sourire aux lèvres ; il faut dire que nous avions croisé des festivaliers excités telles de jeunes pucelles carrément impatients d’assister à ce show. Le chevelu de devant balance sa rythmique métronomique comme structure centrale de compos progressives du genre krautrock si cher à nos cousins germains alors que les ailiers lui donnent une patine vintage et que le binôme du vent colorent ce son propice aux trémoussements d’une touche toute personnelle pas si éloignée que ça des grosses formations ska à cuivres. C’est dans la poche pour cet animal bizarre qui entraîne les premiers rangs dans des pas de danse au son du trombone à coulisse (l’instrument le plus rock’n’roll de la voie lactée). Carton plein pour un ovni qui semble avoir le vent en poupe ces derniers temps auprès d’un public plutôt jeune et festif (car c’est pas les corbeaux à pentagrammes qui se déhanchaient dans le pit).
Red Fang
La tête d’affiche de cette première journée est attendue au tournant : face à un public potentiellement un peu « die-hard du stoner », le power rock vaguement sludgy et fuzzé des natifs de l’Oregon pourrait être un peu trop « propre » pour certains. Très vite cette hypothèse est effacée, et c’est à mettre au crédit d’une parfaite maîtrise de la part du groupe dans l’exercice live. Dans l’attitude, d’abord : le serrage de pognes entre potes avant de commencer le set, comme d’hab’, et la machine à tubes démarre en enquillant certains de leurs plus grands classiques dans les premières minutes : « Wires », « Malverde », « Crows in Swine », « Blood Like Cream », etc… Aucune place laissée au hasard, efficacité avant tout. Le public, manifestement pas bégueule, se délecte. Le rythme étant bien lancé, des extraits du nouvel album du groupe sont disséminés ici ou là, sans faire trop baisser la tension. Le point d’orgue se situera toutefois pour beaucoup d’entre nous sur ce final où Mike Scheidt montera sur scène sur « Dawn Rising », sur lequel il apporte ses vocaux caractéristiques, comme sur album. Une rareté en live pour le groupe, et donc à mettre à son crédit en terme de prise de risque. Un très bon set, et une tête d’affiche pas volée.
Joy
Il aura fallu s’extirper difficilement de la grande salle pour rejoindre une dernière fois le lieu où nous demeurons serrés les uns contre les autres (c’est toujours le top avec l’arrivée de l’automne si propice aux ruissèlements de morve depuis nos naseaux) afin de faire connaissance avec le combo californien qui est en tournée avec les magiciens noirs qui ouvraient le festoche. Il est aussi nécessaire ici de mentionner que nos pérégrinations dans le Trix nous ont fait perdre quelques kilos (ce qui n’est pas un mal vu notre penchant pour la gastronomie), mais nous ont aussi vu croiser à plusieurs reprises des militaires en tenue de combat armés de fusils d’assaut dans l’enceinte-même du festival (un signe des temps qui terni un peu le décor d’une telle fête). Proche du stoner des temps jadis, le trio psychédélique nous ramène des années en arrière avec ses sonorités généreuses et seventies, sa basse chaude et groovie, sa gratte bien fuzzée, ses solis et la wah wah usée sans être abusée. Un vent sec et désertique qui nous aura rabiboché avec certaines de nos racines avant d’aller nous prendre une énorme déculottée sonique au premier étage.
Black Cobra
Trop rare sur nos terres, le duo nord-californien se retrouve sur l’affiche du jour en lien avec Yob, pour lesquels ils ouvrent sur leur tournée du moment. Beaucoup ont pu prendre la mesure récemment de la puissance dégagée par le combo sur scène (la tournée sus-mentionnée a fait quelques étapes en francophonie, et le groupe a aussi joué au Up In Smoke, entre autres), et pour les autres, la déflagration sera encaissée dans la douleur. Est-ce l’effet de manque qui accroît ce constat ? Toujours est-il que l’efficacité du groupe a pris une envergure remarquable : doté d’un son massif ce soir, leur puissance nous explose littéralement au visage. Après une journée de festival pas forcément la plus orientée « saturation », le contraste n’en est que plus marquant. Tandis que Jason Landrian déroule l’artillerie lourde sonique avec sa terrifiante six-cordes doublée de son chant perforant, Rafa derrière son kit impressionne tout autant sinon plus : sans effort apparent, le bonhomme bastonne ses kits comme une mule, et dérouille sa grosse caisse (d’une seule jambe, s’il vous plaît !) pour mieux produire sur les tympans abasourdis de l’assistance l’effet d’une bataillon de Panzer sur les terres gelées d’un champs de bataille soviétique au milieu de siècle dernier. Imaginez en gros l’efficacité de Mantar dans sa configuration binomiale, associée à la puissance de feu d’un High On Fire en pleine forme. Décoiffant ! Malgré la fatigue de cette fin de première journée, on reste subjugués par l’enchaînement de déferlantes qu’on prend en pleine gueule, au fil d’une set list sans temps mort, trop courte à notre goût : 45 minutes c’est à la fois suffisant pour botter un maximum de culs et insuffisant pour notre soif de décibels.
C’est donc exsangues, après une journée déjà riche en concerts de qualité, qu’on regagne nos pénates – en faisant l’impasse sur l’after party, dont les horaires sont clairement ce soir incompatibles avec notre métabolisme de vieux rockers. On va prendre des forces pour la journée de demain, prometteuse elle aussi…
[A SUIVRE…]
Chris, Laurent, Iro22