Requinqués après quelques heures de repos et de tourisme sous un soleil radieux, nous revoilà gagner le Trix pour la dernière journée du festival. La programmation de la veille était dense et riche ; celle d’aujourd’hui s’annonce sur le papier du même acabit… mais dans un style différent ! A l’annonce des groupes quelques semaines auparavant, cette journée nous a quelque peu interloqué, avec quelques incursions notamment dans le metal extrême un peu déstabilisantes, et il nous tardait de voir ce que cette savante mixture allait donner…
POLYMOON
Point de choc pour commencer, on est cueillis à notre arrivée par les volutes sonores de Polymoon qui envoute déjà les premiers arrivants, dans la petite salle Vulture. Les jeunes finlandais développent un efficace rock psyche, space parfois, qui fonctionne très bien sur un public encore peu garni malheureusement. Le quintette part parfois défricher quelques autres sentiers musicaux avec un peu moins de réussite toutefois. Scéniquement, menés par un talentueux vocaliste vestimentairement un peu androgyne, le groupe est bien en place et ne démérite pas. Même s’il est un peu difficile de distinguer le groupe de la quantité de groupes officiant dans un genre proche, leur prestation nous aura agréablement surpris.
PLAINRIDE
Sur disque, le trio “presque quatuor” allemand nous avait modérément convaincu. En voyant avec quelle énergie ils engagent ce set, la séduction prend immédiatement ! Le guitariste et bassiste, enjoués et charismatiques en diable, tiennent bien la scène et le (petit) public répond présent. Au bout de quelques titres toutefois, la machine semble tourner un peu en rond… et à vide ? Symptomatiques, ces 2 titres qui voient un percussionniste venir sur scène à leurs côtés n’apportent pas grand chose de significatif. Plainride n’est pas mauvais ni inintéressant : son stoner énergique et empreint de rock/blues est intéressant. Mais il a du mal à tenir la distance et à apporter quelque chose de neuf.
INCANTATION
Se démarquant des festivals stoner pur sucre, (ce Desertfest nous avait par exemple marqué avec la prestation “hors sujet” des Belges de La Muerte lors de son édition de 2016), et avec le succès de manifestations comme le Roadburn, nous ne sommes pas étonnés de croiser des pionniers du death metal à l’affiche. Franchement pas notre rayon, la prestation aux voix gutturales et aux passages ralentis semblait poussive et peinait à convaincre son propre public.
SLEEPWULF
Les jeunes suédois de Sleepwulf ont sorti récemment leur second album chez Heavy Psych Sounds. Leur prestation sur la petite Vulture stage en est une bonne illustration : mélodies catchy et lignes vocales prépondérantes viennent soutenir leur psych rock gentiment vintage. L’ensemble est bien fait, dynamique et bienveillant, et le public n’en attend guère plus.
SLOMOSA
Etrange constation faite par Slomosa en début de set : non seulement ils jouent pour la deuxième fois consécutive au même Desertfest, mais de plus celui-ci occupe une place bien à part dans leur histoire, s’agissant l’an dernier de leur premier concert hors de leur Norvège natale. Que de chemin parcouru depuis par le talentueux quatuor ! Des festivals à la pelle (dont un Hellfest), des tournées partout en Europe… Joli palmarès en une année. En tous les cas, il ne faut pas longtemps pour prendre la mesure des progrès du groupe et de l’aisance scénique qu’il a acquise ces derniers mois. On pouvait noter quelques flottements sur leurs précédentes prestations, imprécisions ou légères faussetés ici ou là (qui ne nuisaient pas vraiment à leurs concerts) ; cette époque est révolue, et le set de ce soir est solide, en maîtrise, et exécuté avec confort par des musiciens sûrs d’eux, que l’on sent se faire de plus en plus plaisir. Un plaisir partagé, assurément. Espérons voir Slomosa continuer à gravir les échelons : ils ne manquent pas d’envie, ça devrait aider.
BELZEBONG
Que dire d’original d’un concert de Belzebong ? Difficile pour un groupe de doom instrumental, dont la prestation scénique s’est toujours cantonnée à un trio d’irsutes polonais dans une sorte de headbanging perpétuel, pas toujours synchronisé… Le tout vient au service d’un stoner doom d’école, lourd et énervé comme il faut, sur lequel on ne peut décemment pas formuler la moindre critique. Leur prestation prend une toute autre dimension aujourd’hui, dans la très grande Desert stage, où étonnamment, le groupe plutôt habitué aux petits clubs sombres se retrouve à l’aise devant un public venu en nombre headbanguer en coeur. Prévisible musicalement, mais impeccablement exécuté. Challenge réussi !
CITIES OF MARS
Le trio velu manque de pot en ce qui concerne son placement à l’ordre du jour. Un quidam désirant assister aux prestations entières de Belzebong et de se taper un steak à l’étage se devait de faire l’impasse sur les Suédois ce qui est bien dommage, mais n’a toutefois pas déstabilisé ces lascars. Ces derniers sont les auteurs du super gag de la journée voire du festival : une fois le linecheck terminé pile poil à l’heure du début du set, le public s’est un peu exprimé et le frontman a déclaré un truc du genre merci les gars on se voit dans 40 minutes en virant son instrument puis son collègue lui a dit que non en fait ils devaient commencer (on est encore tordu de rire à l’heure d’écrire ces quelques lignes). Bref ça a envoyé de la buche après le quart d’heure déconne et ça l’a fait avec brio le temps que nous y avons assisté.
STEAK
Les anglais de Steak entament leur set dans le noir (récurrence de la Canyon stage : les lights dégueulasses, poussées ici dans leurs derniers retranchements), seulement éclairés par la projection d’extraits de vieux Kurosawa sur leur backdrop (rappel un peu cliché de la thématique samourai présente dans leur dernier disque). L’occasion de voir qu’un second guitariste vient désormais garnir l’effectif (live) du groupe – pour un apport marginal dans les faits. Les premiers titres, mid tempi mélodiques issus de leur dernière galette, sont bien exécutés par des musiciens sérieux et passent bien l’épreuve de la scène, mais peinent à susciter une fougue énorme de la part du public. Un peu plus loin dans le set quelques titres provoquent un peu plus d’applaudissements, mais globalement, le public est plutôt curieux (et le fond de la salle peu dense). Le constat en fin de concert est mitigé, surtout si l’on met en perspective ce groupe vétéran en comparant ce set avec le succès public bien plus franc des quatre jeunes talentueux et fougueux qui sont passés juste avant sur cette même scène.
LUCIFER
Bénéficiant d’un slot particulièrement intéressant, les rockers venus du nord ont proposé un set séduisant tant au niveau de la forme que du fond. Pour la forme, une projection du genre devanture de cabaret d’un autre temps et des lights particulièrement abouties ont servi d’écrin à ces personnages soignant bien leur apparence (et celle de leurs accessoires scéniques). En s’excusant d’entrée de jeu de ne pas être un groupe de stoner – on a pris l’habitude de ne pas avoir que du stoner lors de cette fête du désert anversoise – la frontwoman Johanna a ouvert les festivités après une mise en bouche instrumentale et le show des scandinaves s’est déployé avec maestria. L’ex-agitatrice de The Oath et l’ex-batteur d’Entombed ou le chanteur-guitariste de The Hellacopters (vous choisissez en fonction de votre éducation musicale, nous ne sommes pas là pour juger) se sont entourés de camarades talentueux et diablement efficaces. L’excitante curiosité autour du duo infernal qui nous agitait à leurs débuts a laissé la place à un focus sur l’exécution musicale et la tenue de scène qui sont les atouts fondamentaux de cette formation, constituant toujours un bon moment pour tout amateur de heavy rock teinté de doom à l’ancienne.
Mr BISON
Embrayant sur la petite scène au moment où les estomacs commençaient à crier frites, au moment où Lucifer terminait une prestation de haut vol au sous-sol et au moment où les spécialistes se dirigeaient à l’étage pour la curiosité du jour, les Toscans ont délivré un set fort sympathique. Contrairement aux déclarations de leurs prédécesseurs, ils n’ont pas eu l’obligation de déclarer que eux faisaient du stoner, car de stoner il était bien question tout au long de ce set mené tambour battant par un batteur puissant et technique. Affublé de son couvre-chef de grande classe, le guitariste a déployé de son côté ses riffs psychédéliques, soutenus par la basse, qui ont fait taper du pied les quelques festivaliers dans la place qui se sont payé une bonne tranche de pizza durant un set peu gâté question placement horaire, mais terriblement en lien avec l’intitulé du festoche.
STYGIAN BOUGH
Quelle hérésie de programmation que de proposer Stygian Bough en chevauchement avec le créneau de Bongripper : les deux groupes évoluant dans un doom exigeant partagent inévitablement une part de la même fan base… On sait donc que l’on ne pourra pas voir le set en entier, mais l’on se laisse aspirer par son entame sans réserve : le trio composé de Bell Witch (duo basse – batterie) et de Aerial Ruin (Erik Moggridge, guitare) propose d’emblée la pièce maîtresse de leur album, à travers les 20 minutes de “The Bastard Wind”, un titre épique et lent, tout en puissance retenue, où la guitare de Moggridge vient compléter la basse 7-cordes (!!) de Dylan Desmond, qui apporte un spectre de sonorités inédites, tout en puissance. Scéniquement, l’ensemble est aussi dynamique que la musique : peu mobile, calme, concentré, propice à l’introspection. L’exécution est en tout cas impeccable et retranscrit bien les nuances de l’album. C’est le coeur lourd (avec un mélange de frustration et de colère) que l’on doit quitter la Canyon stage pour redescendre dans la main stage pour ce qui s’annonce comme l’inmanquable de la soirée…
BONGRIPPER
Le quatuor de doomsters de Chicago a fait le plein : l’assistance dans la Desert Stage durant leur set sera la plus dense de la journée, avec un public plus nombreux encore que la supposée vraie tête d’affiche. Toujours en mode low profile absolu, ils montent sur scène dans la pénombre et branchent leurs instruments en laissant monter la tension avec le feedback de leur guitare, pour voir se matérialiser l’intro du classique “Hail”. Et là, le bulldozer est lancé et n’interrompra son ouvrage qu’une heure plus tard, de la même manière. Et au milieu : du riff, du riff, du riff, assénés par cette paire de bretteurs concentrés sur les bords de la scène. Au centre, la paire rythmique basse / batterie vient faire office de marteau pilon dans ce qui ressemble littéralement à une entreprise de destruction très massive de nos deux tympans (et de ce truc spongieux entre les deux). Le son dans la Desert stage est absolument massif et le public, plusieurs centaines de corps qui headbanguent non-stop en osmose, prend en pleine face les deux autres obus que sont “Satan” et “Endless”. Il est trop tôt pour faire des bilans, mais il est évident au sortir de la salle que le set absolument dévastateur de Bongripper est l’un des moments les plus incroyables du week-end.
HIPPIE DEATH CULT
Après avoir ramassé nos ratiches sur le sol de la Desert Stage tombées durant la distribution de moellons, nous avons osé le retour dans l’ambiance bar-rock du rez pour une nouvelle prestation de hard rock fuzzée. La formation de Portland, Oregon, qui pratique un style peu en lien avec la dentelle nous a semblé aussi légère qu’une bière light US, assommés que nous étions encore. C’est frustrant car les soli proprets étaient en place, le public était dans la place (comme quoi il n’y avait pas que des lourds en ce dernier jour de festivités désertiques) et la frontwoman proposait autre chose que certaines de ses homologues tapant dans le registre fluet. Pas révolutionnaire certes, mais tonique et cohérente, la prestation était à la hauteur de ce qui était attendu aussi bas sur l’affiche. Merci à ces Ricains ne nous avoir ramené aux basiques durant 50 minutes.
WUCAN
Pour ceux qui ne sont pas passés par le « sas de décompression » de la mini-Vulture stage (cf. concert précédent) la transition entre le rouleau compresseur Bongripper et la légèreté de Wucan pique un peu… En tous les cas, le quatuor germanique ne manque pas de dynamisme et tout est fait pour régaler le public : leur frontwoman extraordinaire (dans le sens littéral) Francis (!) Tobolsky mène clairement les hostilités, que ce soit en terme de prestation (sa présence scénique écrase ses comparses) ou même musicalement – son chant puissant est l’une des caractéristiques fortes du groupe, de même que ses apports à la flute traversière (!!) ou encore à la guitare. Le heavy rock 70s dynamique du quatuor fait tout pour envoûter une salle très correctement remplie. Malheureusement pour vos serviteurs, le choc de a transition est un peu brutal à digérer et on a du mal à rentrer dedans. Mais reconnaissons au groupe un réel talent pour produire un set de qualité, ce qui leur permet de se démarquer (notamment par rapport aux autres groupes du week-end évoluant dans un genre musical proche).
WOLVES IN THE THRONE ROOM
Tête d’affiche de ce dernier soir en Flandres, le quatuor d’extrémistes du metal n’a pas besoin d’annoncer qu’ils ne font pas du stoner au début de leur prestation vu leur dégaine et celle de leur batterie. En cherchant très loin, il y a bien cette adhérence due à leur passage chez Southern Lord durant leur longue carrière, mais c’est tout, basta, point final ! Ces Etasuniens de la Côte Est pratiquent un black metal redondant qui honnêtement n’a pas rameuté les foules du grand jour dans la salle. Ça blast en continu, les volutes de fumées emplissent l’espace, ça pose les pieds sur les amplis quand la fosse à photographes est pleine, les morceaux sont introduits par des intros pour metalleux classiques, le bassiste et les deux guitaristes se succèdent au micro, les tenues de scène sont pittoresques, etc. tout l’attirail est sorti pour la grande messe noire des dévots du malin et nous on est sorti de la salle aller humer l’air ailleurs en se disant que si quelqu’un avait eu le bon goût de montrer son cul on se serait cru à la Temple en juin.
TONS
Après les frites mayo dans les foodtrucks du Trix on s’est rendu une dernière fois dans la minuscule salle de plein pied qui prolonge le bar des lieux, pour se taper du Tons. C’est la première fois durant cette fête du riff que nous pouvons évoluer à loisir dans cet espace d’ordinaire si peu propice aux déplacements. Le public est très clairsemé pour le set des Transalpins. Le public est par ailleurs très réduit durant ces dernières heures de festivités et le gros de la troupe a rejoint le premier étage pour se presser devant la scène où se déroulera le dernier set qui contribue à la ligne stoner de la manifestation. La formation de Turin nous a balancé, à grands coups de basse jouée aux doigts, du matos inédit qui sera au sommaire de sa toute chaude dernière production. Le show déployé dans l’espace réduit a à nouveau été propice aux mouvements de balancier des fidèles hypnotisés par la lourde rythmique et ils ont pu en profiter jusqu’au bout puisqu’il n’y avait pas de chevauchement avec la prestation du bigfoot qui allait suivre.
SASQUATCH
Il est en quelque sorte de tradition de clôturer le Desertfest Belgium dans la Canyon stage, pour un dernier concert généralement propice au « lâchage complet » comme on dit techniquement, une sorte de baroud d’honneur. Cette édition n’y fait pas exception, avec les ténors du stoner californien Sasquatch comme maîtres d’ouvrage, l’affaire semble bien embarquée. Plus triste tradition anversoises, ce créneau tardif et en fin de week-end fait aussi office de voiture-balai pour toute la viande saoule du Trix qui tient encore sur ses jambes (et a encore la force de monter l’escalier)… Quoi qu’il en soit, le set du trio étasunien entame avec professionnalisme un set qui reposera sur les classiques et raretés de l’ensemble de leur carrière, alternant mid tempi roboratifs (“Roller”, “Just Couldn’t Stand the Weather”…) et déflagrations nerveuses (un décisif “Chemical Lady” qui mettra le feu au pit, “Rational Woman”…). L’enchaînement des missiles sol-air vient faire exploser le pit comme aucun autre set du week-end… ça moshe et ça slamme dru ! A noter que les salves successives n’auront pas réveillé le responsable des lights de la canyon stage, qui n’a toujours pas trouvé le bouton pour allumer les spots en façade sur les groupes, baignant encore et toujours les musiciens dans une pénombre violacée un peu usante… Mais le groupe n’en prend pas ombrage (vous l’avez ?) et déroule son set avec une efficacité qui force le respect. Keith Gibbs pète sa pédale en cours de set et de dépit branche son son en direct sur une seule pédale fonctionnelle, sans que ça n’ait le moindre effet « audible » sur la qualité des riffs qui se succèdent dans nos esgourdes (comme quoi, la technique…). Comme on le prévoyait (et l’espérait), ce fut l’un des plus gros sets du week-end.
Un peu difficile de faire la synthèse à chaud d’un festival aussi bigarré : la variété de la programmation (et notamment ses incartades « hors sujet ») n’a pas nui globalement à l’intégrité du fest (il faut dire aussi que les groupes concernés n’ont pas vraiment fédéré les plus grosses foules), qui ne se « roadburn-ise » pas encore (comme on l’a plusieurs fois entendu au détour des couloirs). Au final la proposition de bons concerts nous aura convaincu, et vient supplanter les désagréments (un public flamand peu aimable, des concerts qui se chevauchent générant pas mal d’énervement et peu de temps pour se détendre, une petite salle trop frustrante où seule une poignée de spectateurs peuvent vraiment voir ce qu’il se passe…). Bref, le bilan du week-end est encore une fois positif, et il ne serait pas étonnant de se recroiser lors de la prochaine édition dès l’année prochaine… et les suivantes ?
Chris & Laurent (photos : Laurent)