Cette nouvelle édition du Desertfest Anversois sur le papier propose les mêmes atouts qui font son succès depuis plusieurs années : son lieu de festivités (le Trix, un complexe de presque trois “vraies” salles parfaitement adapté aux concerts), son emplacement (Anvers, proche de la France notamment), son affiche pléthorique… Pourtant elle se distingue des éditions précédentes, notamment par une programmation audacieuse, avec un certain nombre de groupes dont l’affiliation aux sonorités qui nous sont familières apparaît pour le moins discutable (death metal, black metal, rock…). Mais l’affiche globale aura fini de nous convaincre (encore une fois) et c’est le coeur léger et l’esprit ouvert que l’on se rend en terres flamandes.
Pour des raisons bassement logistiques, nous n’arriverons sur place que le samedi, 2ème jour du festival, et prendrons donc le train en route…
HALF GRAMME OF SOMA
C’est sur les sonorités du groupe grec que nous sommes accueillis dans le complexe. Première signature du prometteur label Sound of Liberation Records, le jeune quintette sort dans quelques jours son troisième album, dont il interprète une bonne part sur scène cet après-midi. C’est l’occasion de confirmer la qualité d’écriture dont ils font preuve, proposant des titres qui, au bout de quelques écoutes seulement, restent en tête pour longtemps ! Le groupe a aussi pour caractéristique de ratisser assez large musicalement, et en particulier de frôler des terres plus soft qui nous font un peu décrocher parfois, avec l’effet d’un concert un peu sur “courant alternatif”. Toutefois le groupe est solide sur scène et laisse entrevoir un bon potentiel.
GNOME
C’est sur la Canyon Stage, la structure ayant la capacité club, que l’histoire belge suivante s’est déployée. Les bonnets du trio ornaient leurs têtes d’ampli avant même que la formation n’attaque son set de manière fort virile. Les passages doom étaient pleins de promesses et furent appréciés par vos dépêchés, mais les incursions répétées sur d’autres rivages musicaux peinèrent à les convaincre totalement. Au final, nous avons délaissé le registre jam doom qui tape tous azimuts, y compris dans les plans presque jazz, au profit d’un placement adéquat pour déguster le set de Unida qui commençait deux étages plus bas. L’inconvénient des chevauchements de concerts !
UNIDA
Hallucinante place réservée dans le running order au quatuor américain : il y a quelques années, Unida était headliner du week-end sur un autre Desertfest, et même headliner de la Valley au Hellfest. Les voici aujourd’hui ouvrir la journée en début d’après-midi sur la main stage… Certes, John Garcia, concentré exclusivement sur sa carrière solo, n’est pas là, mais les connaisseurs savent que le groupe est essentiellement le bébé d’Arthur Seay et Mike Cancino… Frustrant. D’autant plus que le groupe assure : épaulés à la basse (un poste “volant” chez Unida) par Collyn McCoy (bassiste de Ultra Electric Mega Galactic le groupe solo de Ed Mundell, Aboleth…) le groupe bénéficie de fait d’un atout indéniable, McCoy délivrant des lignes de basse puissantes, groovy et envoutantes, élément clé de la musique de Unida (à noter que par fougue il ira même jusqu’à casser l’une de ses cordes de basse, obligeant le groupe à improviser un peu autour de riffs divers, AC/DC, Sabbath…). Seay assure pour sa part des parties de guitare impeccables et un lot généreux de mimiques en tous genres, à son habitude. Quant à Mark Sunshine, le nouveau chanteur (que vous aurez peut-être entendu chez Riot God) il n’est jamais à la peine, et a le bon goût de ne pas mimer Garcia. Côté set list, pas de faux pas non plus, le groupe tape dans la valeur sûre : “Wet Pussycat” pour commencer, un rugissant “Black Woman” pour finir, et entre les deux, du riff, du mid tempo, du groove, des soli à la pelle… Classique ! Bref, sans être magique pour autant, ce set justifiait d’une place plus haut sur l’affiche, plutôt que de se voir reléguer face à ce public insipide de début d’après-midi. Frustrant.
IRIST
L’atmosphère sombre soutenue par un jeu de lights hyper basique, la promiscuité et la chaleur faisant luire les corps ont été propices à la prestation de la bande d’Atlanta. Une frange de vos envoyés y a trouvé son compte, mais il faut être honnête : si ce show a été une énorme tuerie mixant des influences d’Isis, de Cro-Mags et de Celeste, il ne s’agissait pas de stoner du tout.
SLOMATICS
Les trop rares Slomatics s’emparent de la Canyon stage et il leur faut bien peu de temps pour se mettre le public dans la poche. Il faut dire que l’énergie déployée par le trio irlandais est au rendez-vous, de même que l’originalité : proposant un stoner pêchu et lourd, aux confins du doom bien souvent, le groupe se distingue aussi par un second guitariste qui fait aussi office de bassiste (par un truchement technique dont votre serviteur vous passera les détails). Dotés d’un son bien gras, le groupe s’appuie sur son efficace batteur-vocaliste, dont le chant est parfois étonnant (voire même dissonant) mais néanmoins efficace. Le public ne s’y trompe pas et réagit très favorablement.
NAXATRAS
Encore un combo grec aujourd’hui, et c’est cette fois aux jeunes virtuoses du psych rock de s’emparer de la main stage. Maîtrisant son art sur le bout des doigts, le groupe jouera sa meilleure carte ce soir, celle de l’efficacité : entamant son set par son hit intemporel “On the Silver Line”, ils convainquent rapidement le public qui ne tarde pas à monter en tension. Les sourires se déploient dans l’assistance au fil de ces dodelinements de têtes irrépressibles que génère la musique de Naxatras. Scéniquement pourtant, il ne se passe pas grand chose (lights anémiques, musiciens concentrés et assez statiques…) mais l’enchaînement des titres psyche instrumentaux envoutants prouve une nouvelle fois son efficacité. On aimerait pour notre part voir le groupe apporter un peu plus de folie à ses sets… mais sa musique s’y prête-t-elle ?
ROSY FINCH
L’ibère a été rude sur la minuscule Vulture Stage de ce Desertfest flamand et la technique a été rude avec la riot grrrl d’Alicante. Les aficionados piaffaient d’impatience à l’heure du début prévu de la fiesta, mais des problèmes techniques ont retardé celui-ci. Une fois la salsa balancée, on goûte à quelques plans doom enchevêtrés dans des gimmicks punk et on se barre ailleurs en raison des chevauchements et aussi parce que c’est un peu hors sujet pour nous.
RADAR MEN FROM THE MOON
Ailleurs, c’est à l’étage, pour un nouvel exercice annoncé comme mélangeant de nombreuses influences dont certaines dans nos cordes. C’est la fête quand on découvre les deux batteries sur scène : ça ne sert pas à grand chose musicalement, mais question visuel et propension à faire bouger les corps c’est du meilleur effet. Les instrumentistes effectuant leurs derniers réglages nous rappellent agréablement le Kvelertak des temps jadis. Au taquet nous sommes pour nous démener comme des diablotins lorsque déboulent les bataves, mais rapidement nous sommes désorientées par ce post tout accompagnant des lignes de voix faiblement mixées et un peu perdues dans leurs reverb. Ça chie, mais ne nous convainc pas à prolonger au-delà du délai nécessaire pour rejoindre la Desert Stage.
PALLBEARER
L’évolution musicale du groupe depuis ses débuts ne nous incite pas à nous précipiter au premier rang du set des américains de Pallbearer, le quartet emmenant désormais franchement son doom sur des terrains ultra mélodiques et atmosphériques. La prestation scénique du groupe confirme ce postulat, avec des postures emphatiques et dramatiques à chaque riff (lent), des musiciens imprégnés jouant les yeux fermés, déroulant un doom-pathos atmosphérique un peu plombant, manquant, pour le doomster un peu basique (que nous sommes), de puissance. Le public n’est pas vraiment massé à ce stade, mais les premiers rangs semblent apprécier, ce qui prouve (mais nous le savions) que Pallbearer a trouvé son public. C’est bien cela l’essentiel.
MY DILIGENCE
Même si nous avions déjà pas mal profité du gras durant cette première partie des festivités, il était impératif de s’en enfiler aussi dans le système digestif afin de maintenir nos physiques d’Apollon (qui font pâlir d’envie les représentants de tous les webzines de la terre). Nous avons ainsi loupé le départ de la diligence. Nous nous sommes rattrapés sur la fin du set du trio qui avait fort bien fait le plein de spectateurs sur la petite scène. Le trio originel de la capitale du Royaume de Belgique a déployé un rock parfaitement à l’aise dans ses phases les plus pugnaces, propices aux ondulements frénétiques du public, ainsi que dans ses phases plus aériennes terriblement envoûtantes. Un peu à l’image du petit dernier sorti avant l’été : « The Matter, Form and Power », les Belges font l’étalage de leurs talents sur scène.
ALUNAH
On savait bien, en rentrant sur la Canyon stage, que l’on n’y retrouverait pas le Alunah d’il y a quelques années, ce combo aux relents doom que l’on avait appris à apprécier. Leur dernier album nous avait préseenté un tout autre groupe. Il ne nous faudra que quelques secondes pour confirmer que la formation qui se présente sous nos yeux n’a plus grand chose à voir, musicalement et scéniquement. Leur nouvelle chanteuse Siân Greenaway, très (trop?) largement mise en avant par le groupe depuis son arrivée dans le line-up, débarque avec moultes franges et cheveux pour capter l’essentiel de l’attention de l’assistance. Musicalement, le groupe a dérivé, on le sait, vers un mélange de heavy rock vintage chargé aux différentes saveurs 70s (et même 80s). Au final, l’ensemble sied fort bien au public apparemment, qui, bien que modérément nombreux, semble apprécier le set. Il est vrai que, dans son genre, le groupe s’en sort plutôt bien.
ELDER
Comme à Munich il y a quelques mois et comme c’est la coutume de la formation originaire du Massachusetts, c’est avec le hit intersidéral « Compendium », en version XL, que les hostilités sont lancées dans la plus grande salle, qui est blindée pour l’occaz. Avec une entrée en matière de ce calibre, le quatuor a posé le niveau et s’est imposé comme un des tout grands moments de cette cuvée, malgré quelques errements à la fin du premier tiers de ce show de soixante minutes. Puissance et virtuosité se sont déployées durant ce set mortel qui a vu les premiers surfeurs des foules s’élever au dessus de la masse des premiers rangs, celle qui bouge. Celle qui ne bouge pas : c’est la masse agglutinée sur les chemins d’accès, sur les hauteurs ainsi que derrière les dix premiers rangs rendant les déplacements fastidieux et désagréables, vu qu’une translation de 20 centimètres semble pour certains festivaliers aussi pénible qu’une ablation mammaire à l’égoïne rouillée ou une castration au fer à souder (on est old school dans la maison et on fait encore du genrisme en 2022). Hormis ce désagrément indépendant des prouesses d’Elder, c’est un carton plein pour les Etasuniens et on humidifie d’avance nos strings léopard à l’idée de déguster leur prochain opus, Innate Passage, programmé pour le 25 novembre.
THE NECROMANCERS
La nouvelle incarnation des Necromancers sur disque nous a déstabilisé, et l’on attendait de voir sur scène de quel bois se chauffe le groupe. Quelques accords suffisent à nous confirmer que le penchant pris sur album se concrétise en live. Le nouveau chanteur Basile Chevalier-Coudrain ne manque ni de talent vocalement ni de charisme. Pourtant, l’ambiance déployée par le groupe n’a plus rien à voir avec ce léger penchant sombre que l’on aimait dans son incarnation plus “occult”. Le constat est implacable par exemple lorsque le groupe, en milieu de set, engage un de ses titres emblématiques, “Salem Girl”, qui se retrouve presque aseptisé par l’exercice, tout badigeonné d’un arrangement hard rock à la rythmique sautillante, et du coup dépouillée de ce son dark subtilement sale auquel on était habitué. Ayant abandonné l’une de ses spécificités, le groupe se retrouve de fait dans la cour de jeu de très nombreux autres groupes presque similaires, dont il peine à émerger musicalement. On a du mal à cerner la stratégie…
WEEDPECKER
Le combo polonais est rare sur scène, et c’est avec plaisir que l’on gagne la scène Canyon, quelques minutes après la claque prise dans la grande salle avec Elder. La transition entre les deux groupes a du sens, tant les partenaires de label (et amis) ont en commun une qualité de composition hors norme (on verra d’ailleurs Nick de Elder monter voir le concert du groupe dès son propre concert terminé). Plus imprévisible dans sa discographie, restait à voir ce que valait le groupe en live. Le groupe est bien en place, proposant sur scène une bonne partie de la richesse sonore déployée sur disque. Le chant par exemple, partagé entre trois musiciens (dont le batteur) apporte un bon relief à l’ensemble. Pour le reste, le set se déroule avec des moments plus ou moins intenses (les titres du dernier album ont un peu plus de mal), mais soutenu par une prestation solide en tous points. Musicalement, il est difficile de reprocher quoi que ce soit au groupe, mais passer après Elder aujourd’hui, dans un genre musical “cousin”, ne joue pas forcément en leur faveur, malheureusement. Un bon set toutefois.
RED FANG
On devisera à loisir sur l’opportunité de continuer à considérer Red Fang comme ténor du genre musical qui nous occupe (il y a “Desert” dans “Desertfest”…), pour autant, chacun de ses concerts est attendu par un public de plus en plus large : la grande Desert Stage est à nouveau pleine comme un oeuf (un vrai plaisir pour circuler, le public flamand de base s’avérant charmant et gracieux à plus d’un titre…). Sans créer de suspense, la prestation du jour ne viendra pas ternir le tableau de chasse du quatuor américain. Le groupe prend les planches (devant un immense backdrop où les super projections estampillées Red Fang s’enchaînent durant tout le concert) et propose une entame comme on en a rarement vu, enchaînant une poignée de hits furieux qui viennent embarquer le public dans un tourbillon : “Blood like Cream” enchaîné à “Malverde” mettent tout le monde d’accord, et derrière c’est une longue série de tubes à intensité variable qui défilent : “Hank is Dead”, “Wires”… Un tourbillon de claques ! Et les premiers slammers ne se font pas attendre longtemps… L’ambiance s’apaise un peu à chaque mid-tempo (et surtout avec les nouveaux titres, pas encore pleinement digérés par tout le monde semble-t-il) mais le groupe sait reprendre le public par le cou et ne le lâche plus jusqu’à la fin. Une belle démonstration.
SUMA
Une partie de la délégation a quitté la grand salle où la tête d’affiche déployait son talent grand public, pour rejoindre l’obscurité de la Vulture Stage où quelques épicuriens se sont délectés d’une prestations intense et prenante des vétérans suédois. Le batteur, torse nu, centré sur la scène officiait comme maître de cérémonie de ce sabbat déployé devant une assistance congrue, mais hypnotisée par le groupe, qui a fini par emmener les corps dans une trance fédératrice prisée par la tribu des sludgeux-doomeux. Les incantations, plus que des chants standardisés, ont présidé à cette immersion aux relents tribaux, dans une salle plongée dans la chaleur et l’obscurité. Une énorme prestation qui a catapulté son auditoire dans une autre dimension lui faisant encore plus regretter les rares apparitions scéniques d’un groupe qui n’a rien sorti de neuf depuis une tripotée d’années.
PIGS PIGS PIGS PIGS PIGS PIGS PIGS
Difficile cas que celui de Pigs(x7). Musicalement le groupe délivre un stoner pêchu piochant aussi dans le vieux doom US, noise rock, etc… un genre musical moderne, intéressant mélange, séduisant à plus d’un titre. Cette musique trouve sur scène une incarnation lui apportant une autre dimension, en particulier avec l’écrasante prestation de Matt Baty : le vocaliste a beau être épaulé de musiciens loin d’être timorés, sa prestation complètement déjantée devient le centre d’attraction du groupe. Le public, dans sa majorité, semble y voir un petit phénomène (et en un sens, ça en est un, évidemment). Pour notre part, ce saugrenu zébulon scénique vient obérer la proposition musicale du groupe, qui ne se démarque pas dans la même proportion (on sort du concert en se disant “quel déjanté ce mec, ce concert était fou” et non pas “quelle set list, quels riffs incroyables”). Souhaitons qu’avec le temps le groupe rééquilibre les forces et fasse valoir sa musique avant tout autre artifice. Le fond et la forme…
Un bilan à chaud de la journée nous laisse déjà le souvenir d’un bon nombre d’excellents concerts pour cette première (pour nous) journée. Il nous tarde déjà la prometteuse seconde journée, qui nous tend les bras… après quelques heures de repos !
[A SUIVRE…]
Chris & Laurent (photos : Laurent)