Dernier jour d’un festival qui se déroule sans accroc. A se demander si c’est vraiment la première édition tellement tout semble sous contrôle. On a du mal à réaliser que ça se termine ce soir après deux jours d’orgie sonore, ça aurait très bien pu se finir la veille et en même temps rater cette dernière journée aurait tenu de la faute lourde.
BLOODNSTUFF
Pour bien lancer les festivités, rien de tel que les petits gars qui ouvrent pour Fu Manchu, j’ai nommé Bloodnstuff. N’oublions pas qu’ils font également partie de l’écurie Fuzzorama Records (LE label de ces trois jours). Encore un duo guitare-batterie… il doit il y avoir une pénurie de basse de par le monde ou à une époque où on en veut toujours plus, il semblerait que quatre cordes n’en contentent pas beaucoup. Néanmoins le spectre sonore du duo ne manque pas de gras du fait d’une astucieuse association d’amplis basse et guitare et de riffs judicieusement écrits et interprétés, tout cela produisant un rock indé à tendance stoner mélodique des plus agréables. Belle communion entre les deux protagonistes, la batterie entraîne bien l’ensemble pour éviter de tomber dans un énième pastiche des White Stripes. C’est du Karma To Burn qui aurait remplacé la barbaque par du tofu dans son alimentation.
MOANING CITIES
Cela fait deux jours maintenant que l’on s’y est résolu, on ne peut pas tout voir. Alors on quitte prématurément le duo américain pour un quintet belge. La Canyon Stage est encore bien clairsemée en début de set. Toute l’intelligence de la programmation tient dans le fait de faire cohabiter toutes les générations de groupe. Et jusqu’à présent les illustres inconnus sont d’excellentes découvertes. Ça commence comme du rock psyché à l’anglaise, la bonne école, pas les ersatz d’aujourd’hui. Joli sens de la mélodie, une basse bien ronde et de belles décharges d’énergie régulières pour maintenir l’attention. Tout cela est fort sympathique jusqu’à ce que l’un des guitaristes ne se mette en tailleur pour jouer de la cithare. C’est certainement cliché pour faire du rock-psyché mais à partir de là l’audience ne s’en remettra pas. Enfin le tapis décolle et nous survolons nos corps charmés par la justesse des arrangements dont fait preuve Moaning Cities. L’école rock belge a encore de beaux jours devant elle.
1000 MODS
Slabdragger ayant malheureusement dû annuler pour raisons de santé et son remplaçant Old Man Lizard ne chatoyant pas mes esgourdes, retour vers le bar ou Vulture Stage pour une bonne dose de fuzz. A vue de nez les grecs de 1000 Mods sont attendus parce que la salle déborde très vite et quand le show se lance autant vous dire que ça va déborder de toute part. J’avoue humblement être passé à côté du quatuor jusqu’à présent, ne prêtant qu’une oreille distraite à leur stoner heavy-psyché. On a pas fini le premier morceau que je le regrette déjà. Il y a quelque chose de profondément addictif dans ce stoner certes classique mais redoutablement efficace. Et l’énergie déployée par le groupe sur scène décuple l’effet headbang tant que ta nuque tient. L’audience est survoltée, le groupe, avec ces alternances de passages plus lourd avec leurs riffs groovyssimes, annihile toute raison de ne pas se lâcher. A retrouver très vite sur une scène plus grande parce que l’on se sent carrément à l’étroit ici. 1000 Mods nous décrasse les tympans en bonne humeur, ça fait plaisir.
CONAN
Sans transition, sans rapport, on quitte la liesse grecque pour le doom guerrier de Conan. Chaque mois qui passe et le trio gagne en notoriété grâce à une tournée intensive, un album sous le bras qui met le monde à genou et des prestations live qui en terme de puissance évocatrice vous prend, vous retourne, vous aplatit et disperse vos cendres au gré des vents, vous laissant ainsi ne faire plus qu’un avec les éléments fondamentaux. Changement de batteur pour les anglais… aïe toute la richesse de leur doom tenant à la confrontation des riffs martiaux et partiaux avec le jeu démonstratif tout en cymbale de la batterie. Les changements de motifs rythmiques mettant en exergue les variations de riffs, sachant les magnifier tout comme les ancrer plus profondément dans notre crâne. Le rouleau compresseur en marche, nous sommes écrasés d’avoir osé avoir douter, le niveau est plus qu’à la hauteur apportant même une dose de groove désuet bien placé à l’ensemble. Nous sommes conquis, vaincus, terrassés par les voix, la musique, la faculté des anglais à être aussi radical et en même temps séduisants. Le syndrome de Stockholm en doom.
SARDONIS
Maintenant que nous sommes laminés, allons tendre l’autre joue avec le duo instrumental Sardonis. Niveau branlée sonore, les belges ne font pas dans la demi-mesure. Ici heureusement qu’il n’y a que guitare-batterie parce qu’avec une basse, je crois qu’on ne se relèverait pas de cette décharge de riffs tantôt stoner, tantôt heavy, parfois à la limite du thrash, toujours efficace, à l’occasion pas que bas-du-front. On pensait avoir quitté la guerre une fois la Desert Stage derrière nous, mais une nouvelle bataille a pris place sur la Canyon Stage. Le public est fauché par les assauts de riffs tranchants et comprimé par le matraquage incessant de la batterie qui arrive à insuffler du groove à l’ensemble. La guitare tente quelques incursions plus aériennes mais le poids de l’armure nous ramène bien vite à l’écrasante vérité. Sardonis ça tabasse, de courts moments de trêve pour mieux nous scotcher de leur déferlement de puissance le passage suivant. A-t-on pris trop de coups de suite ou l’envie de ne pas rater une miette du trip à suivre, quoi qu’il en soit retour sur la scène principale avant d’être décimé pour de bon.
COLOUR HAZE
Bonne idée de partir en avance, le set des allemands a déjà commencé. On a beau vérifier le programme et nos montres, oui ils ont bien débuté en avance… Comme Yob la veille, il semblerait que les groupes n’ont pas le même planning horaire que nous. Bon ce ne sont que les premières minutes d’une de ces longues intros dont nous raffolons quand on va voir le trio mais quand même. A la vue du remplissage de la salle, on comprend que tout le monde est en train de se faire avoir de la même manière. Plus le temps de tergiverser, la magie est déjà en train d’opérer. Un live de Colour Haze c’est un tour de prestidigitation. Les minutes disparaissent et sont remplacées par des secondes d’harmonie avec nous mêmes. Tout aussi longs que soient les morceaux, aucune longueur ne se fait sentir pendant la contemplation béate du sentiment de plénitude qui est le notre. Comme toujours avec les allemands un climat de tranquillité et de bienveillance s’installe. La sincérité du groupe, son amour pour la musique et le plaisir qui en découle de la partager est omniprésent. Le trio enchaîne les perles du dernier album comme quelques (maintenant) classiques. Pas non plus de grands retours en arrière, les premiers albums sont aux abonnés absents. Un set parfaitement maîtrisé, toujours de qualité sans réelle surprise. Excepté que le show initialement prévu terminé, le groupe tombe des nues quand ils apprennent qu’ils ont encore du temps de jeu. Pour la première fois de leur longue carrière, ils n’ont pas dépassé le temps imparti. Une première pour eux, accueilli avec amusement, qui nous offre donc l’occasion d’avoir un titre en plus. Le public ne demandait que ça. Et quelle bonheur de se laisser porter encore quelques minutes/secondes/heures (qu’importe) par leur rock-psyché de référence.
BRANT BJORK
45 minutes… 2700 secondes d’ici le concert du King of cool du stoner, ça paraît bien suffisant pour se sustenter pour attaquer sereinement la dernière fournée de show qui nous attende. L’histoire retiendra finalement qu’avoir des frites sous la pluie relève du jeu de patience, mieux, c’est une épreuve pour fear factor. A ce niveau ceux qui n’ont pas craqué ont pu copieusement remettre en question les compétences du préposé à la baraque à frites tout en se faisant de nouvelles rencontres impromptues ou débattre sur le bien occupé par le stoner dans l’humanité et combien le Desertfest ce week-end nous a régalé. Il pourrait neiger des étrons que la bonne humeur ambiante, l’esprit festival en famille, ne saurait être mis à défaut. On n’est pas bien là, tous ensemble, à la fraîche, décontractés !
Avec tout ça Brant Bjork et son Low Desert Punk Band a déjà commencé à rayonner sur la Desert Stage. Oui cette scène est faite pour lui, son groove sablonneux, ses riffs de couché de soleil dans le désert, cette décontraction les fesses entre deux cactus, le Desertfest ne pouvait rêver mieux comme tête d’affiche. La salle est comble, les titres font mouche, tournent jusqu’à plus soif, Brant coolifie les plus arides d’entre nous. Pas de quoi vouer un culte à son low desert punk qui ronronne gentiment, mais on ne peut que glorifier cette incarnation même du desert-rock. Le public est conquis par une setlist équilibrée qui privilégie les riffs à jam. Le groupe ne boude pas son plaisir à exploser les formats pour nous souffler ce vent chaud venu du désert dans nos cheveux ébouriffés par tant de classe. Oui on est vraiment bien là, tous ensemble, à la fraîche, décontractés. Sous des applaudissements nourris, monsieur Bjork n’oublie pas de nous convier à rester jusqu’à la fin de la soirée pour voir ses anciens compagnons d’armes.
FU MANCHU
Comment rater vos anciens camarades de groove, Brant ? Gigantoïd s’est tellement fait désirer, que revoir le Fu avec de nouveaux morceaux sous les bras et pas pour nous interpréter l’intégralité d’une précédente pépite, on ne se fait pas prier et on attend. On attend parce que l’on veut éviter la frustration de n’assister qu’à de trop courtes minutes de Monkey3 qui ont intérêt à vite revenir en France. On attend parce que ce soir les quatre californiens vont nous sortir l’artillerie lourde. Les skates sont rutilants, la rampe est à eux. Nous allons assister incrédules que nous étions à du grand Fu Manchu. Les reproches de pilotage automatique récurrents qui précédent leur entrée sur scène, ne nous prédisposaient pas à la claque qu’on a prise. Ce soir les chevaux sont lâchés. Bob Balch shredde à tout va, la mécanique bien huilée des titres tape fort mais le groupe y injecte ce soir une dose de nitro bien venu. Le son est fuzzé mais parfaitement maîtrisé, tout le petit monde est en place et la fosse répond présent et n’aura jamais été aussi déchaînée. Plus lourd que jamais sur les passages lents, plus groovy tu meures, plus cool tu te noies. Setlist best-of avec au cœur des titres du dernier né, qui n’a pas à rougir au milieu de tout cela. Au contraire les racines punk ressortant plus dorénavant sur les derniers efforts du quatuor, la patate que ça insuffle au milieu des titres plus « posés » donnent une énergie constante au set. De mémoire d’homme, Scott Hill n’a jamais autant parlé entre chaque titre, souvent pour ne dire que merci, mais ouah tout le groupe semble prendre un sacré pied à nous botter la face de leurs riffs magiques. Et si chaque titre sur-vitaminé ce soir se voit boosté d’un solo, d’un mini-jam, d’une basse sur-whamée ou autre perle que seul le live offre, que dire du titre de rappel… un “Godzilla” dantesque. Ré-interprétation explosée d’un titre qui pour clore un show paraissait sur le papier bien plan-plan. Que nenni, Godzilla a été sulfaté et on se prend chaque éclaboussure, chaque morceau dans la tronche et on en redemande. Ce soir Fu Manchu a repris sa place de King of the Road. Ne la lâchez plus les gars.
Bilan de ces trois jours : un festival qui a déjà une âme, des petits détails pratiques à perfectionner, trois générations de groupes qui nous ont fait passer un week-end mémorable. Les « gros noms » sont suivis de près par ceux qui sont en train de confirmer toutes les attentes et que dire des nouveaux venus qui ont du potentiel à revendre ! Merci au Desertfest, les présents, les absents, tout ceux qui ont fait que cette première édition était une réussite et qui assure à la deuxième édition un public déjà conquis… je le suis.
[Photos : daMusic.be]