Encore soufflés par deux premières journées de grande classe, on aborde le dernier jour du Desertfest allemand dans une perspective plus cool. L’affiche est plus audacieuse, avec des groupes aux limites du stoner originel, d’autres groupes moins connus à découvrir… mais toujours quelques combos de référence incontournables qui nous font déjà saliver. Ça devrait le faire !
Avant la chronique, voici notre video report express avec des extraits de tous les concerts :
SWEDISH DEATH CANDY
La journée commence par Swedish Death Candy, quartette en droite provenance de… Londres ! Logique… Même constat qu’hier : l’assistance est malheureusement encore clairsemée en ce début de festival, les deux premiers jours ont marqué les corps et les esprits et le remplissage de l’Arena s’en ressent sur les premiers groupes de l’affiche. Les présents auront eu raison en tous les cas : SDC déroule un set d’excellente facture, mené par des musiciens solides et énergiques. Mais l’intention ne suffit pas, et c’est musicalement que le groupe marque avant tout, piochant dans différentes tendances musicales pour proposer au final une musique hybride, diversifiée, faite de plans carrés et nerveux et de passages plus déliés et propices aux séquences plus ambiancées voire planantes. Le groupe nous propose même de l’inédit (à venir sur son nouvel album) et finissent leur set en apothéose sur un déluge de jam psyche très cool. Très bonne impression pour ce groupe à suivre de près.
STONEFIELD
Encore un groupe « all female » ce week-end, c’est très bien ! Mais notre intégrité est sans failles : la discrimination positive a ses limites, et on a bien l’intention de se montrer juges impartiaux de la prestation des jeunes Stonefield. Les dames entrent donc sur scène toutes vêtues de sortes de vieux tailleurs années 70, et entament un set qui s’annonce plutôt enthousiasmant a priori. Comme on s’y attendait, point de sludge core ou de brutal death en magasin, mais plutôt un heavy rock vintage qui s’avère de très bonne facture. Le clavier apporte un réel plus, en particulier sur des passages instru où le kraut rock n’est jamais très loin… Les musiciennes s’entendent bien sur scène mais communiquent peu avec le public, et restent relativement statiques sur scène, dans leur trip. Le chant est globalement partagé entre Amy à la batterie et occasionnellement Sarah (claviers), leurs deux collègues prenant volontiers part aux chœurs. Agréable.
WORSHIPPER
Nous nous dirigeons à l’air libre alors que Stonefield termine à l’intérieur pour la première des trois performances prenant place sur le bateau de cette – déjà –journée de clôture. Les premiers à s’élancer sur cette scène seront les gars de Boston qui assurent la première partie sur la tournée européenne de The Skull, lesquels se produiront quelques heures plus tard en Main Stage. Leur heavy rock vintage passe plutôt bien l’épreuve du live même dans les conditions particulières de cette petite estrade extérieure. Nous n’allons pas nous voiler la face : il n’y avait pas grand monde autour de la scène pour assister à la performance de la formation US qui sortira sa prochaine production (« Light In The Wire ») un mois après ce show. L’opus à venir est cependant déjà présent sur le setlist avec « Visions From Beyond », « Nobody Else », « It All Comes Back » et « Coming Through ». Pour le reste, le quatuor piochera deux titres du long-format « Shadow Hymns » disponible depuis trois ans. Pas des plus pugnaces, ce concert ne sera pas notre coup de cœur de la journée, mais il a eu le mérite d’animer un peu les festivaliers demeurés loin des concerts – à l’extérieur – accusant les excès des jours passés (les rockers c’est plus ce que c’était).
BLACK TUSK
Les bourrins de l’assistance sont aux avant-postes pour la sensation forte de Savannah ! Ces gens-là le savent : ça va blaster avec ces furieux qui sont un peu la déclinaison teigneuse de Red Fang, et on va se faire botter le cul. Tant mieux car après les prestations précédentes un poil psychédéliques, il était nécessaire de balancer du lourd pour réveiller les morts-vivants qui hantaient les travées du festoche. Même si ces Étasuniens ne pratiquent clairement pas du stoner rock, nous n’allons pas bouder le plaisir qui fut le nôtre à se taper cette débauche de violence. Nous n’allons pas bouder non plus le plaisir qu’une partie de l’équipe prit à aller se jeter dans le pogo concis afin de profiter à fond de cet envoi de bois entre deux prises de notes et deux prises de vues. Nous ne fûmes point les seuls à goûter au plaisir de nous taper Black Tusk à Berlin, même s’il faut avouer que tous les spectateurs n’étaient pas là pour ce bulldozer qui a tout écrasé sur son passage en envoyant du très lourd : « Bring Me Darkness », « Closed Eye », « Born Of Strife » ou « Vulture’s Eye ». Malgré le scepticisme ambiant, cette prestation hyper burnée était au poil grâce à une tenue de scène maîtrisée avec un talent fou et une sono au rendu très net. Un de vos envoyés spéciaux qualifiera ce concert de la performance de la journée car, même si réduite à quarante-cinq minutes selon le programme, l’énergie déployée pas la formation de Géorgie a pesé plus lourd que pas mal d’autres formations passées et à venir en cette dernière soirée. Nous noterons que pas mal de festivaliers ayant trop festoyé depuis le Warm Up, ou depuis le premier jour, finiront par louper ce set afin de se soigner car ce groupe infernal a commencé à envoyer du bois à l’heure du thé.
BLACKWATER HOLYLIGHT
Le sacrilège de la journée sera l’œuvre de l’organisation qui a dû anticiper l’horaire de début du show de la formation entièrement féminine : bien sûr que ça a rameuté du poil devant la scène, mais nous avons abandonné la Flying V qui bastonnait dans la pénombre pour nous voir éblouis au-dehors par l’astre céleste et enveloppé par des mélopées déployées sur des plans planants et ça nous a fait quand-même bizarre sur le coup. Bref, les Ricaines de Portland nous livreront un show bien conçu qui lorgne dans le rétroviseur question influences et a été plutôt très facile d’accès. Les nanas de l’Oregon étaient contentes d’être présentes et le signifièrent au parterre qui hochait du chef sur le quai. Certes appréciable, la prestation ne nous transcendera pas pour autant et comme nous avions du taf à fournir à l’intérieur : nous les délaisserons pour rejoindre l’antre des photographes qui s’était bien garnie (à croire que certains confrères avaient aussi exagéré les jours précédents, mais vous nous connaissez : de notre côté nous avons été pro jusqu’au bout des ongles).
ELECTRIC CITIZEN
On savait exactement à quoi s’attendre avec un concert d’Electric Citizen : le quatuor de Cincinnati allait vraisemblablement encore une fois nous proposer un set dont la scénographie tournerait autour de leur frontwoman, Laura Dolan, excentrique et charismatique vocaliste, aujourd’hui toute de cuir noir vêtue (on aura du mal à réfréner les références sado maso de nos très dévergondés collègues gratte-papier !). Du coup, on n’a pas été déçus ! Autant la miss fait le show et capte tous les regards (elle évolue sur toute la surface de la scène, harangue le public, danse, se jette au sol, implore, se contorsionne… un spectacle à elle seule !), autant derrière, les zicos ont beau lever le pied côté entertainment, ça envoie du lourd, et en particulier du côté du batteur Nate Wagner, qui frappe ses futs comme une grosse mule. Le heavy rock très vintage du groupe, en droite provenance des 60s bien tassées, fait le job. La petite surprise est de retrouver un cinquième élément ajouté au line up du groupe que l’on a toujours connu quatuor : ce soir une claviériste occupe le côté droit de la scène. En pure franchise, dire qu’elle fut décisive dans la scénographie ou même dans le spectre sonore serait assez loin de la vérité… mais peut-être que le groupe lui trouvera une place plus cohérente à l’avenir, à suivre…
The GREAT MACHINE
Rebelote : on se tire à la fin du set indoor pour retrouver un vrai groupe à l’air libre qui lui aussi voit son horaire de passage être anticipé. Il est important ici de souligner que les formations qui auront joué le dimanche sur le Boat auraient tout autant pu se produire sur la Main Stage vu le style pratiqué, la petite renommée dans notre galaxie ainsi que leur haute maîtrise : The Great Machine ne dérogeant pas à cette règle, ils allaient nous faire plaisir pour le dernier show dans ce lieu en foutant un boulet énorme. Le trio israélien fait clairement partie des découvertes de cet événement et il vaut son pesant de cacahuètes sur disque aussi. Comme Nick Oliveri avant eux, se sentant désolidarisé du public, le gratteux et le guitariste vont aller se coller aux barrières du pont supérieur pour augmenter la proximité avec les nombreux festivaliers qui s’agitaient un peu plus que d’habitude à leurs pieds (le batteur était plus emmerdé pour se bouger à l’avant de la scène). La veste improbable du guitariste (maquillé pour l’occasion) et la tenue de scène énergique de ces énergumènes contribua fortement à la frustration qui fut la nôtre au moment de les délaisser pour aller rejoindre la pénombre ambiante à l’intérieur où nos faciès paraissaient moins marqués (comme en boîte et c’est plus facile pour pécho selon les spécialistes dont nous ne faisons pas partie). Nous constaterons à cette occasion que la buvette intérieure à quelques pas de la Main Stage n’ouvrirait pas de la soirée et ce fait est probablement à mettre en relation avec la fréquentation inférieure de jour en jour depuis le coup d’envoi des festivités (le 1er jour ayant joué à guichets fermés).
The SKULL
Trouble c’est un peu comme un couple divorcé dont nous, autres, fans du groupe, serions les enfants : les familles se sont recomposées (avec des musiciens différents autour des fondateurs) et l’on n’aura plus jamais exactement le Trouble d’époque. The Skull a pour lui un argument qui à la fois force le respect et génère une légitime frustration : il se détache progressivement de Trouble, et le set d’aujourd’hui ne fait pas exception. Avec seulement deux albums au compteur, le quintette américain remplit néanmoins 90% de sa set list de ses propres compos… autant pour les fans de Trouble ! En l’occurrence, c’est son dernier rejeton “The Endless Road Turns Dark” qui se taille la part du lion avec cinq extraits ; pas pour nous déplaire, on a bien aimé le disque, et des titres comme “Ravenswood” et son riff ravageur ou encore le morceau titre de l’album (qui paraît accéléré en version live) passent bien l’épreuve du live. Mais les titres issus de l’album précédent ne s’en sortent pas mal, avec un “For Those Which are Asleep” costaud, et un “Send Judas Down” assez cool, aux limites de l’étrange quand Eric Wagner quitte la scène sur le break instru au milieu du morceau de manière assez peu théâtrale, laissant ses musiciens improviser une jam sympa mais un peu décousue, avant de remonter sur scène clôturer le titre quelques minutes plus tard. Symptomatique de Wagner, vocaliste mythique au timbre toujours aussi chaleureux mais au comportement scénique toujours un peu décalé… Heureusement à ses côtés c’est du solide, et les zicos font le spectacle (en plus d’assurer techniquement). Les transis du doom band culte retrouveront comme d’habitude une unique reprise en fin de set, et ce soir c’est au somptueux “The Tempter” qu’incombe cet honneur, gros kif, mais trop court… Mais on ne boudera pas notre plaisir après ce set classieux et efficace.
LONG DISTANCE CALLING
Les Teutons étaient attendus par certains agités (qui auraient mieux fait de se rader tôt pour mater Black Tusk) afin de foutre un peu de violence dans la place. S’ils en ont foutu c’est du côté des photographes en alternant subtilement le rouge (c’est dégueu pour tirer des clichés potables) et le bleu (c’est vomitif question rendu de photos). Ils délivrèrent un show assez apaisé dans le registre post-ce-que-vous-voulez. Ce n’est clairement pas typé stoner musicalement parlant, mais c’est clairement les mêmes bipèdes qui écoutent ce genre de formation même si LDC n’arrive pas au niveau de combos comme Cult Of Luna en live ! Le batteur, placé au centre sous leur étendard, a agi tel le métronome tout au long d’une performance plus abordable que prévu qui vit le combo de Münster déballer sa technicité une heure durant dans la capitale allemande. Très pointue, et moins offensive qu’espéré, la prestation de haut vol de Long Distance Calling était sublimée par des lights qui détouraient les musiciens affairés sur leurs instruments ; la bizarrerie résidant, comme bien souvent avec ce type de fanfare, dans la présence de nappes synthétiques et l’absence de clavier sur scène. Concert hors sujet, mais concert de bonne facture avec le chef d’œuvre « Black Paper Planes » qui demeure envoûtant 10 piges après sa sortie et son contemporain fort sympathique « Sundown Highway » tous deux issus de « Avoid The Light ».
WOVENHAND
Le meneur de revue du quatuor, franchement pas stoner (c’est la journée décidément), s’est radiné sur scène vêtu tel qu’il est représenté sur « Star treatment » et, malgré tout le respect que nous avons pour le visuel de cet album, sur scène ça faisait un peu Karl Lagerfeld de superette. Ce n’est pas le point le plus saillant de ce show, mais ça place un peu le contexte après presque trois jours de festival. Les quidams présents dans la salle attendaient soit un gros délire psychédélique soit une grosse mandale dans la gueule afin de chercher leurs ratiches dans l’obscurité pour les sortir de leur torpeur. Ils ont eu un show étrange : ni hard, ni franchement mou du genou, ni carrément chiant, ni hyper envoûtant ; ils ont eu Wovenhand version 2019 qui n’a ni le verni mélancolique intimiste des albums sortis alors que le nom du groupe s’écrivait en deux mots, ni le charme désespéré ainsi qu’envoûtant de « Puur ». C’est dommage car certains attendaient beaucoup de cette performance et nous avons eu la sensation qu’ils ne demeuraient dans la salle que pour assister au show de Om qui allait mettre un point final à cette édition. Les marchands animant le marché couvert adossé à la salle avaient, pour leur part, plié bagage et ceux qui n’avaient pas effectué leurs emplettes (sauf les t-shirts du fest qui de toutes manières n’étaient pas arrivés à temps pour être commercialisés durant l’événement) allaient le regretter : l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt !
OM
L’Arena remplie comme un œuf pour ce concert de clôture frémit d’une tension assez étrange avant le set de Om, dernière tête d’affiche du week-end. Quand la seconde moitié fondatrice du Sleep matriciel monte sur scène, le temps s’arrête un peu, reconnaissons-le. Une petite intro amène rapidement à rentrer dans le très théâtral “Gethsemane” issu du dernier album du trio. La scène est baignée dans un bleu froid et statique (aucun mouvement de lumière pendant l’heure et demie de set… et on ne peut pas dire que ce soient les musiciens qui vont animer la scénographie ce soir !) ; pleine concentration sur la musique donc… en particulier pour Cisneros himself ! Dire que le grand gourou occulte est un introverti est un euphémisme : il joue dans son coin, ferme les yeux 90% du temps (le reste du temps il regarde son pédalier, ses collègues, presque jamais son instrument), ne communique jamais avec le public… Les autres musiciens assurent : même si la richesse du clavier n’est pas honorée par un mix un peu trop porté sur la basse, les instrumentistes sont doués (mais discrets eux aussi), en particulier Emil Amos, en démonstration derrière ses fûts alliant diversité du jeu, puissance, subtilité… Malheureusement pour les puristes, l’essentiel du set est basé sur les deux dernières productions de Om – rien de dramatique tant ces opus sont bons et surtout tant les morceaux sont cohérents sur un set qui développe une ambiance bien particulière, entre détente et immersion musicale, dont les influences orientales émergent souvent (comme sur le doublon “Cremation Ghat I & II”).
De manière très habile, la tonalité du set change sur la fin : avec un “Meditation is the practice of death” plus proche des débuts du groupe, Cisneros opte pour un son de basse plus saturé et cinglant, qui se confirme sur le puissant “Thebes”, pour aboutir en conclusion au seul extrait de “Pilgrimage”, “Bhima’s Theme”, conclusion assez habituelle des sets de Om, une sorte d’apothéose, qui voit notamment sur son final Amos dérouiller son kit jusqu’à renverser sa caisse claire en plein jeu ! Pour autant, le public est moins nombreux sur la fin, une partie ayant probablement eu du mal à tenir cette durée d’un set aussi calme après trois jours de fatigue, et ayant préféré aller boire quelques dernières bières dans le très agréable Biergarten en ce début de nuit… Cisneros quitte la scène comme il est arrivé, sans un mot, clôturant un peu abruptement ces trois jours de débauche musicale…
A l’heure des bilans, tandis que nous marchons dans la nuit berlinoise après avoir salué une dernière fois les multiples nouveaux et anciens amis avec qui nous avons passé ces trois jours, les souvenirs marquants sont nombreux… et les déceptions rares, voire inexistantes ! La salle est désormais parfaitement adaptée aux charges de décibels propres à notre genre musical de prédilection, le public est très nombreux mais trouve sa place dans les multiples espaces aménagés à l’intérieur ou à l’extérieur… Les très craints “overlap” (quand un groupe joue en même temps qu’un autre) furent finalement très limités, et pas trop frustrants : on a pu tout voir, sans stress, sans sacrifice ! Le public, satisfait, est comme toujours à Berlin cool et détendu, l’ambiance est au sourire et au partage… Plus que tout, l’affiche était riche à la fois en groupes de référence et en découvertes… Que demander de plus ? Il est vraisemblable que l’on s’y retrouvera l’an prochain…
Chris & Laurent