Vos serviteurs, accueillis par un soleil radieux, arrivent dans l’enceinte du festival avec le sourire (quelle journée de la veille !) et l’esprit grand ouvert : cette journée s’annonce atypique, avec plusieurs groupes inconnus au bataMaryse Miegeillon ou tout simplement étonnants. On se prépare donc à un lot de surprises et de découvertes.
Petite déconvenue toutefois, nous raterons le premier groupe de la journée, les locaux de Go Mahhh, qui aura remplacé Cava au pied levé, suite à l’annulation de ces derniers.
EINSEINSEINS
La journée commence donc pour nous dans le Theatre, avec les bien nommés germaniques “UnUnUn” (!). Le trio ne se cache pas derrière son petit doigt au moment de sortir les étiquettes musicales, et révèlent assez vite leur passion du kraut rock de la grande époque. Même si les plans répétitifs aux atours électro et sonorités de synthé bien old school (Vangelis, sort de ce clavier !) se succèdent en nombre, les deux claviéristes s’emparent assez souvent de leurs instruments à corde (guitare et basse) pour s’engager dans des plans évidemment plus rock. La variété ainsi apportée à un style qui serait sinon un peu trop ennuyeux est plutôt bienvenue, et le public y répond lui aussi favorablement, qui dodeline gentiment pendant tout le set. Très agréable entrée en matière !
DIRTY SOUND MAGNET
Nous avons rarement l’occasion de voir le trio suisse sur les planches, et il nous fait bien plaisir de le retrouver pour ouvrir la très grande Halle en ce début d’après-midi. La tonalité musicale convient parfaitement à la journée, qui finalement se dessine largement (mais pas totalement) autour de diverses variantes de musique psyche. Dirty Sound Magnet excelle dans ce style et il ne faut pas plus de quelques minutes pour en faire la confirmation. Le set décolle très fort et assez vite, avec certes une rythmique basse-batterie redoutable, mais aussi un Stavros Dzodzos au chant/guitare littéralement possédé. Un “ventre mou” se dessine toutefois en milieu de set, avec peut-être un peu trop de titres plus calmes ; si ces morceaux font la démonstration de l’excellent feeling développé par nos musiciens, ils freinent un peu les ardeurs psych rock du public. Mais il faudrait faire les difficiles pour ne pas reconnaître que ce concert était de très bonne facture, et qu’on aimerait voir ce groupe plus souvent sur scène.
ZAHN
Le trio germain prend place de manière particulière sur la plus petite des scènes (exceptée celle sise au beau milieu du foodcourt/beergarten). Il faut relever ici qu’en plus des deux scènes où se succéderaient les formations, le spectacle était aussi assuré à l’air libre sur une petite scène qui a vu se succéder DJs, kakaokés, groupes et performances durant les trois jours. C’est dans un registre mixant globalement le garage punk, le kraut rock et le grunge que les spécialistes en dentition (ndlr : blague pour germanophones) ont envoyé un set avec la batterie en avant de scène et les deux autres protagonistes flanqués sur les côtés avec leurs instruments à cordes ainsi que leurs synthés délicieusement vintage. Le public était un peu clairsemé durant cette prestation instrumentale qui est passée de parties très space à des plans foutrement bourrins sans pour autant nous casser les dents.
SIENA ROOT
Toujours très discret, le quatuor suédois se présente sur la main stage avec un paquet d’arguments à faire valoir. Musicalement, on connaît la qualité du groupe, qui déploie très vite les bases de son heavy rock psyche très vintage. Les rythmiques et sonorités sont variées, et l’on ne s’ennuie pas une seconde. Durant la moitié des titres à peu près, Zubaida Solid, par ailleurs frontwoman efficace et chanteuse remarquable, se met aux claviers pour ajouter cette patte psych old school que rien d’autre qu’un vieil orgue Roland ne peut proposer. Les années d’expérience scénique sont tangibles, et la maîtrise démontrée par les musiciens est tout simplement impeccable. Siena Root, trop rare sur scène (prestations ciblées ou tournées lointaines) et sur disque, confirme son importance incontestable sur la scène psych rock européenne. La grande classe.
DAEVAR
Avec Amber Eyes tout récemment sorti, le trio allemand était fort attendu par la moitié de notre binôme de reporters. Un chevauchement de 5 minutes avec la grande scène empêchera une partie du public d’assister au tout début de ce premier set militant du jour. Le trio emmené par un guitariste affûté et une bassiste pailletée, toujours souriante, a envoyé son doom lourdement et très lentement devant les rangs serrés d’un public conquis d’avance. Les voix sont aériennes et le propos engagé : le batteur frappe comme une mule avec son t-shirt antifa et la l’arrière de la basse de Pardis est marquée d’un « Woman Life Freedom » vindicatif. Le propos féministe sera souligné lors de l’envoi de « Leila », tirée du premier effort Delirious Rites, pour lequel l’invitation est faite au micro de laisser la place devant le pit aux femmes – qui doivent se battre pour leur place dans la société actuelle, pour résumer le discours tenu sur scène. Malgré quelques problèmes de son ressentis en fin de set, la performance a été impeccable avec un public réceptif qui a chanté, une salle pleine et une maîtrise parfaite du style. Une des grosses baffes de ce deuxième jour où l’éclectisme était de rigueur.
DŸSE
Comme Monkey3 la veille, le duo allemand fait partie des routards de ce festival. Ceci explique certainement aussi leur placement avantageux dans le running order de cette deuxième journée de festivités – en plus de l’engouement du public allemand pour ses groupes nationaux. Le duo batterie-gratte conscient fout le boulet d’entrée de jeu en attaquant de manière trépidante son concert. Les slogans sont scandés sur fond de rouleau-compresseur rythmique. On en prend plein la tronche avec un adroit jeu de lights qui souligne efficacement le style musical pratiqué soit un bon gros rock alternatif super bruyant ! Nous restons néanmoins un peu dubitatifs sur la place de ce groupe aussi haut sur l’affiche.
ZERRE
Depuis quelques heures – et a priori jusqu’à la fin de journée – on rentre dans la zone de turbulences WTF de la programmation musicale : chaque groupe est soit une étrangeté, soit une sorte d’anomalie spatio-temporelle. Zerre est en plein dedans. En effet, le groupe propose une sorte de thrash metal crossover bien old school – période années 80, début 90, en gros – complètement assumée. Ça sent le “quitte ou double” par l’équipe de programmation… et c’est un carton ! Ayant probablement accumulé un bon stock d’énergie non diffusée sur le début de la journée, une large frange du public se lâche complètement devant le set intègre et fou furieux des allemands. La fosse, d’abord expectative, se transforme vers le milieu du set en pur bouillon metal incandescent, pour finir sur les trois derniers titres en furieux mosh pit des familles. Le final sur “Whiplash” de Metallica aura laissé des traces et des bleus… Salvatrice parenthèse !
The CRAZY WORLD OF ARTHUR BROWN
Quel étrange choix de programmation de sortir Monsieur Arthur Brown de sa confortable naphtaline pour nous gratifier de son auguste présence… Fi de médisance gratuite, c’est la surprise qui nous prend en premier lieu, d’autant plus que vos serviteurs, encore dans leur prime jeunesse, n’ont pas forcément baigné dans les années de gloire du sénior-grooveur anglais. C’est donc l’esprit grand ouvert et les oreilles bien décrassées par un set précédent assez furieux que nous abordons ce concert – à l’image d’un large public souriant qui s’est déjà massé dans la grande salle. La bonne humeur est le premier sentiment qui émerge dès les premières mesures du spectacle du monsieur. Précédé de ses musiciens (pas des bras cassés : ça tricote), Brown monte sur scène avec une théâtralité outrancière et surjouée, complètement décalée avec nos standards. Il prend la scène maquillé, chapeauté, déguisé, casqué… procédant aux changements entre les morceaux lorsque nécessaire. Paillettes et couleurs pétard, et même le feu, lorsqu’il déboule avec un casque littéralement enflammé pour interpréter son classique “Fire” – qu’il dégaine en troisième chanson du set (là où tout musicien un peu calculateur aurait évidemment attendu la toute fin du concert pour sortir sa chanson la plus attendue). Notre sympathique chanteur n’a pas besoin de ce type de calcul ni d’artifice pour s’imposer : il peut se reposer sur une voix toujours impressionnante de chaleur et de puissance à 82 ans, et sur des compos certes inégales mais qui ont pour point commun de faire inéluctablement dodeliner un public en joie. Le pari du décalage fut – cette fois encore – payant, et nous avons passé un bon moment à honorer cet artiste oublié et pourtant à l’influence évidente sur de larges pans de la musique contemporaine.
APTERA
Overlap de 10 minutes entre les deux salles et les deux ambiances marquées du jour. On délaisse les plans babas pour un comeback en territoire metal nettement plus rugueux. Les briquets allumés au vent sur fond de chants d’oiseaux sont délaissés pour du dur qui n’attendra pas les retardataires. L’aile bourrine du genre se décline au féminin et à l’international : le quatuor qui a élu la capitale du monde libre comme port d’attache est actif dans un sludge doomisant tirant parfois sur les plans stoner ou black. Ça cogne et ça vocifère en duo (basse et guitare). Parfois quelques mélopées ou passages crossover viennent vivifier le set qui ne dérapa jamais dans la monotonie. Le headbanging accompagne « Selkies » ou les accélérations de tempo de « Nepenthees » issus du dernier long format « You Can’t Bury What Still Burns ». On retrouve des accents militants sur « When The Police Murder » introduite en rappelant Georges Floyd et les excès de la maréchaussée berlinoise (omniprésente partout en ce jour de finale de la Coupe d’Allemagne). « Black Rose » tiré de la plaque éponyme (tout comme « The Knight Twist ») qui a déjà 5 ans fait le carton plein avec une basse rebondissant dans un paysage black. Carton plein de l’orga avec le pari métal du jour qui a permis de constater que ce style fait encore mouche auprès du public stoner. Ça permet aussi d’éviter l’ennui qui guette lorsque les shows convergent trop.
OSEES
Avouons-le : votre serviteur partait avec un a priori négatif à la perspective de ce concert, dont l’ostentatoire double kit de batterie venait occuper tout le front de scène. il faut dire que j’attends encore d’être convaincu par la supposée “puissance” supplémentaire apportée par cet artifice de pure coquetterie esthétique qu’est le jeu à deux batteurs qui jouent la même chose. Le professionnalisme et l’objectivité chevillés au corps, c’est sans préjugé que nous assistons aux premières minutes un peu bordéliques de ce concert, qui voit les musiciens finir leur soundcheck un peu tardivement, et engager leur set d’affilée sans vraiment plus de formalisme. Et très vite c’est l’évidente énergie de son frontman John Dwyer qui vient emporter la timbale. La guitare chevillée à la poitrine, le bonhomme sautille comme un chevreau épeuré, arpente son bout de scène (petit bout de scène, du fait de la place inutile occupée par cette seconde batterie…) en tous sens, s’emparant évidemment du micro pour colorer chaque chanson. A ses côtés ça joue sévère, et les occasions de le démontrer ne manquent pas, les compos du groupe permettant de mettre en avant l’ensemble des musiciens (dont un claviériste / guitariste qui malheureusement ne prend jamais la lumière, caché qu’il est par cet inutile second kit de batterie… qui a dit “il rabâche” au fond de la salle ??). De là à justifier un statut de “headliner” de la journée, avouons qu’on reste un peu circonspect. Mais le set était très bon, efficace et plein d’énergie, et il a clôturé très proprement cette journée.
C’est donc plein de satisfactions que nous quittons le complexe Columbia : même si nous n’étions pas vraiment inquiets en arrivant en début de journée, nous étions en partie dubitatifs, et pleins de questions sur la programmation du jour. Cette dernière se sera avérée riche à la fois en découvertes, bonnes surprises et agréables confirmations. Une sorte de journée de festival parfaite finalement… En attendant demain, qui, sur le papier, s’annonce énorme.
[A SUIVRE]
Chris & Laurent