Après de longues hésitations quant à la panoplie à emporter au vu des possibles plans humides concoctés par la météo, nous reprenons la direction du lieu emblématique du pont aérien de la guerre froide pour un – déjà – dernier jour à l’affiche fort alléchante ! Pour info il n’a pas plu ce jour là.
NIGHT BEATS
Les célébrations débutent avec le trio vintage, ses vocaux éthérés et sa batterie minimaliste. C’est suranné et hyper groovy ! Le public tape du pied dans la petite salle aux sons de plans du rock’n’roll de l’âge de gloire. Les lights rouges soutiennent un côté old-school très soigné qui s’est baladé dans les eaux soul avec des passages durant lesquels le fantôme de Charles Bradley volait dans l’air du Columbia Theater. Une savoureuse mise en bouche pour cette journée tournant autour de la trilogie du désert et d’un dessert annoncé comme légendaire.
MONDO GENERATOR
Lié à la légende Kyuss, Mondo Generator et sa figure de proue, sont omniprésents sur nos scènes et sur nos platines avec la ribambelle incessante de sorties allant de l’indispensable [ndlr : ah ?] au tout à fait dispensable. Nick est conscient de la chose, en joue et se fait plaisir ; désolé pour les monomaniaques de Kyuss, ce trio fait du punk voire du métal empreint de stoner et ne se contente pas d’égrainer les compos anciennes des groupes ayant contribué a la constitution du mythe Oliveri. Les compositions maison prendront nettement moins que « Supa Scoopa And Mighty Scoop » du mythique Welcome To Sky Valley (un comble pour un titre sur lequel il n’a jamais joué, d’un album où il ne figure pas !) ou que « Green Machine » du légendaire Blues For The Red Sun préférée par le public à « You Ain’t Worth A Dollar, But I Feel Like A Millionaire » de l’apogée de QOTSA lors d’un vote remporté par ceux qui gueulaient le plus fort. Débutée à l’heure de la collation de l’après-midi, la performance des Étasuniens a explosé le temps de jeu à disposition sur la scène intérieure. Le public semblait satisfait surtout après le dernier titre joué, mais c’est l’intégralité du programme de la journée dans la Columbia Halle qui a ramassé, et jamais le retard ne sera comblé malgré le professionnalisme des dynamiques techniciens de scène.
BOTTENHAVET
Forcément débarqués à la ramasse, parce qu’il n’est pas concevable de louper « Green Machine », et partis avant le final en raison du chevauchement avec le set du désert, nous passons du bon temps avec la formation au style ancré dans les années 70. Menée par son chanteur aux faux airs de fils illégitime du Big Lebowski et de l’héroïne de Stieg Larrson, le groupe suédois a envoyé un rock énergique, parfois lancinant et délicieusement daté. Promis : on se rattrapera la prochaine fois !
TAMIKREST
Ambiance découverte pour vos serviteurs au premier rang pour le set de Tamikrest. Emmenés par Ousmane Ag Mossa au chant et guitare, le combo de “psych-touareg” comme on peut l’entendre décrit de manière fort simpliste dans différents organes médiatiques, engage un set chargé d’un groove généreux. On est bien dans une tendance psyche avec cette lancinance rythmique qui structure chaque titre. Même si la structure du groupe repose sur un socle “électrique” assez standard (guitare-basse-batterie) les emprunts la musique centre-africaine et nord-africaine sont significatifs, a fortiori quand il est fait usage d’instruments traditionnels, en sus des guitares électriques et instruments plus habituels sur cette scène. Les degrés montent petit à petit et une gentille fièvre dansante s’empare des premiers rangs qui ondulent béatement au son de ce set feel-good fort bienvenu.
RUFF MAJIK
Difficile de capter les sud-africains de Ruff Majik sur scène : lorsque leurs rares opportunités de partir en tournée ne sont pas annulées, la sélection de pays est restreinte et passe rarement par chez nous. S’il faut aller à Berlin pour les voir, nous irons à Berlin ! D’autant plus que les dernières productions du groupe nous ont enthousiasmé et nous voulions voir ces titres en live. Apparemment nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, la salle du Theatre étant fort bien remplie tandis que le quatuor prend la scène dans une halo bleu-violacé. Le premier titre “Wax Wizard” est ravageur et pose en quelques minutes les bases d’un set prometteur – même s’il n’atteindra plus néanmoins ce niveau de tension. Protéiforme, rebondissant de break en break, assénant son riff principal dévastateur à tout bout de champs, ce morceau aura fait des dégâts et montré tout le potentiel du groupe. C’est en revanche une bonne illustration d’une set list que l’on aurait préférée différente, aujourd’hui un peu en mode montagnes russes : à l’image de ce premier titre issu d’un vieil EP du groupe, une large part des morceaux de ce soir sont anciens ou rares, ce qui rend l’appropriation par le public plus difficile. Une moitié de la set list provient néanmoins de leurs deux derniers LP, mais pas forcément toujours leurs titres les plus efficaces – hormis “Rave to the Grave”, certes emballant mais pâtissant un peu de son passage en mode “guitares live” (sans le gimmick de clavier). Heureusement, qualitativement la sélection reste bonne et ratisse large, ce qui permet de maintenir la tension dans le pit où le headbang est largement pratiqué. La bande à Johni Holiday ne s’économise pas et déroule son set constamment sur la brèche, entre pure débauche d’énergie brute et totale maîtrise. Le dernier titre, “Delirium Tremors”, met finalement tout le monde à nouveau à genoux, interprété depuis le pit par le bassiste Jimmy Glass qui regarde ses copains sur scène en contre plongée. Un set de haute volée, qui aurait pu être dantesque avec une set list un peu retravaillée.
BRANT BJORK TRIO
Deuxième légende du désert à se produire sur la grande scène lors de cette ultime journée, le trio de Mr Cool attaque son set – en retard – sur un étonnant mais très sympathique “Buddha Time” devant une salle comble et conquise d’avance. Notre scepticisme habituel a rapidement cédé sa place à un plaisir de circonstance, le trio agissant en antiseptique qualitatif. La configuration avec Super Mario (Lalli) à la basse est foutrement efficace ! On tape du pied du premier au dernier rang, les projections du desert californien soutiennent le propos et le set est impeccable de bout en bout (on se croirait transposés dans la B.O. de « Paris, Texas »). Coutumier de nos scènes depuis des lustres désormais, Brant a livré le meilleur de ses concerts auquel nous avons eu le plaisir d’assister ces dernières années (et ça fait des brouettes pleines). Un set couvrant plusieurs époques de la discographie solo (ou presque) du frontman (dont de larges pans issus de Saved by Magic ou Jalamanta, ce qui n’était pas pour nous déplaire)avec des vétérans rompus à l’exercice scénique du jam cadré (l’esprit de Fatso Jetson était présent). On notera en particulier l’immensément groovy “Stackt”, le classique “Too Many Chiefs…” un peu remanié mais toujours efficace, et surtout un final classique mais un superbement cool sur “Lazy Bones / Automatic Fantastic”. Un show qui a délivré toutes ses promesses et satisfait toutes les attentes. Nous avons quitté la Colombia Halle avec du sable plein les godasses et des étoiles dans les yeux.
SUNNATA
La perspective du set de Sunnata nous a mis en joie, la troupe polonaise foulant rarement nos contrées en termes d’activité scénique. Auteurs d’une poignée de disques très qualitatifs, les voir enfin sur scène relève de l’aboutissement naturel des choses. Avantage ou inconvénient des festivals, la programmation et ses enchaînements parfois complexes ou audacieux rendent les choses compliquées pour nos cerveaux faibles. Il en est ainsi quand on quitte le set groovy en diable de Brant Bjork avant la fin (le retard généré par le dérapage du 1er concert de Mondo generator aura des répercussions toute la journée… merci les gars !) pour se plonger dans le Theatre et son ambiance sombre et prenante où Sunnata a déjà commencé à faire parler les premiers décibels. Il faut donc un petit moment pour “rentrer” dans ce set, qui alterne les plans de pure puissance frontale (quelques beaux assauts de riffs bien doomy) et les plans plus atmosphériques. A peu près ce à quoi on s’attendait en réalité, stylistiquement on n’est pas surpris. L’ensemble est joué avec sérieux et autorité par le quatuor, sûr d’eux et de leur musique – à raison. La salle est généreusement remplie mais on ne se sent pas tassé, signe que le groupe était attendu, mais que les “produits d’appel” sur la main stage lui font un peu concurrence, dans des genres radicalement différents toutefois. Nous trouverons en revanche que les séquences plus “atmosphériques” développées à l’envie par le groupe, si elles sont parfaitement exécutées, dissolvent un peu l’efficacité globale du set, qui aurait peut-être gagné – en contexte festival – à se concentrer sur des compos un peu plus “directes”. Un bon set toutefois, qui nous aura surtout donné envie de revoir le groupe, en club par exemple.
MASTERS OF REALITY
C’est avec un petit pincement au cœur et la gorge serrée que l’on voit le légendaire Chris Goss monter sur scène le pas hésitant, s’installant avec difficulté sur le tabouret en milieu de scène qu’il ne quittera pas de tout le concert. Habillé avec grande classe, il ne lui faudra pas longtemps pour montrer qu’il est musicalement bien loin d’être diminué le moins du monde, loin s’en faut. En réalité, il lui suffit de quelques secondes et d’entonner les premières lignes de chant du classique et classieux “The Blue Garden” pour que la profondeur et la chaleur de sa voix incomparable ne viennent conforter toute l’immense salle. Nous voilà quand même revenus plus de 35 ans en arrière, aux débuts de la carrière d’auteur-interprète de Goss (rappelons que le grand gaillard est surtout connu en tant que producteur légendaire), comme si cette parenthèse n’avait jamais existé. Goss s’est entouré pour cette tournée de sa fidèle section rythmique (en particulier John Leamy, son vieil et fidèle ami batteur mais aussi Paul Powell, bassiste extraordinaire ayant entre autres officié auprès de Jamiroquai) et il a spécifiquement invité en complément son copain Alain Johannes, un autre ami qui a gravité dans les mêmes sphères de musiciens, et partage avec Goss la caractéristique d’être à la fois un producteur reconnu et un musicien-chanteur remarquable (ce qu’il confirmera derrière le micro entre autres sur “Hangin’ Tree”, titre qu’il a co-écrit pour les Desert Sessions). Se reposant largement sur ses premiers disques (dont beaucoup de Sunrise on the Sufferbus / 1992), Goss oublie un peu quelques pépites issues de ses disques des années 2000, c’est dommage. Mais d’un autre côté, qu’aurait-il dû sacrifier parmi les perles interprétées ce soir ? Le sabbathien et bluesy “Alder Smoke Blues” ? Le solide “Third Man on the Moon” ? Le presque punk “Time to Burn” (où Oliveri s’empare du micro) pour un final (d)étonnant ? On pourrait quand même discuter un peu de la teneur du set, quand on met par exemple en perspective ce quasi-onaniste break bluesy en mode impro, pas flamboyant et un peu longuet, avec le fait qu’ils n’ont pas eu le temps d’interpréter les démoniaques “She Got Me” et “Domino” pourtant prévus en clôture du set.
Le retard de la main stage (merci encore Nick) et nos pauvres corps meurtris criant famine, il s’avère impossible techniquement d’assister au set de Full Earth, qui nous faisait pourtant de l’œil, avec ses membres de Kanaan… Tant pis !
PENTAGRAM
Le dernier concert d’un festival est à plus d’un titre aussi son apothéose, avec tout le public de la journée qui se présente devant la main stage avec l’envie de profiter à plein de ces dernières chansons du fest pour cette année. Quand, en plus, le headliner de la journée est Pentagram, et que ce dernier a annoncé la fin de sa carrière scénique dans les prochains mois (ce concert étant affiché comme son dernier à Berlin), autant dire que l’excitation est forte. Greg Turley, fidèle bassiste et co-pilote discret et solide du bateau Pentagram depuis longtemps, a en outre annoncé l’arrêt des concerts pour lui, faisant de cette soirée le dernier concert de sa carrière au sein du groupe ! L’émotion est donc largement au rendez-vous quand, clopin-clopant, l’inusable Bobby Liebling monte sur scène, portant l’un de ses sempiternels hauts bouffants à paillette, son pantalon moule burnes favori et ses bottes aux talons de 15 cm… What else, pour un musicien de 71 ans ?
Dès les premiers coups de médiators du brillant guitariste Matt Goldsborough sur “Run My Course”, on est embarqué dans un périple qui mettra plus d’une fois en danger notre santé mentale. Est-ce la meilleure prestation du groupe à laquelle on a assisté ? Difficile à dire avec assurance, mais pour chaque musicien, le contrat est plus que rempli, en particulier pour ce cher Bobby, pas avare en mimiques saugrenues et pas de danse décalés. Sans contrainte (pas de limite sur l’horaire de fin) le groupe déroule une set list de référence où figurent à peu près tous leurs classiques (on pourra regretter à la limite l’absence de “All your Sins”) : les doomy “When the Screams Come” ou “The Ghoul”, le lugubre “Be Forewarned”, “Sign of the Wolf”, “Petrified” (initialement pas prévu), le nerveux “Relentless” avec une pause sur son break final, ou le tortueux et gracieux “Last Daze Here”… N’en jetez plus ! Enfin on reprendra bien une rasade de ce pseudo medley “Forever my Queen / 20 Buck Spin” pour la soif, et c’est fini ! Embrassades, salutations au public, hugs entre musiciens, sourires, applaudissements, oreilles qui résonnent… Tout se mélange pour une fin de concert et de journée dans les étoiles…
C’est le cœur un peu lourd que l’on quitte ce Desertfest Berlinois si particulier. Ils sont rares ces festivals où l’ambiance est si agréable et où l’on sent vraiment cet esprit de communauté musicale (où l’on peut taper la discute peinard dans la cour avec des musiciens de Elder, Kadavar, Greenleaf, Plainride… qui viennent par plaisir, ou commander sa pizza au food truck avec Nick Oliveri qui fait la queue derrière). Quand en outre la programmation musicale était du niveau auquel on vient d’assister pendant trois jours, et que les conditions d’accueil étaient impeccables, il est difficile de se dire que c’est fini pour cette année. Mais il n’est de si bonne compagnie qui ne se quitte, dit-on, et il est temps de saluer les amis et collègues répartis un peu partout dans le complexe Columbia en cette agréable nuit berlinoise, en nous disant sur le chemin du retour qu’il va être difficile d’attendre encore une an…
Chris & Laurent
Voir les commentaires (0)