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EAGLES OF DEATH METAL – 13/11/2015 (Bataclan, Paris) & 16/02/2016 (Olympia, Paris)

Voilà certainement l’un des concerts les plus attendus (voire surveillé ?) de l’année. Les Eagles of Death Metal et White Miles, présents au Bataclan lors des attentats du 13 novembre 2015, viennent finir ce qu’ils avaient commencé, et en partie en présence de leur public de survivants, invité pour l’occasion. Ceux qui suivent et apprécient les EODM le savent, les écouter au casque c’est bien, vous taperez du pied et un léger déhanché pourrait vous faire bousculer votre voisine de galère dans le métro. Mais les vivre en live, c’est la promesse d’une communion avec l’un des frontman les plus cool qui soit : Jesse Hugues. Il y a déjà dix ans, je pouvais lire des interviews où Jesse racontait qu’il se considérait d’abord comme un performer plutôt que comme un chanteur. La différence tient principalement dans le fait que sur scène, il n’est pas dans la concentration ou l’émotion pure, mais dans l’énergie. Une énergie qu’il injecte directement dans son public. En peu de temps, il s’est construit une chapelle, entouré de ses amis (Dave Catching, Joey Castillo, Brian O’Connor, Josh Homme, etc.), et de ses fidèles (son public), même si aujourd’hui la frontière n’existe plus.

Qu’est-ce qu’on cherche en allant voir les EODM, nous ses fidèles amis ? Le renouveau d’un genre un peu old-school ? Des moustaches ? L’amour de la balance parfaite ? La virtuosité peut être ? Bien sûr que non. On ne cherche rien. On sait que pendant 1h30 on va se prendre une dose d’énergie, d’amour collectif et un peu d’espoir en prime. Tout cela mené par l’un des derniers artistes rock capables de faire ressentir au public une réelle proximité, non feinte, non intéressée. Et ce même en étant caricatural à l’extrême avec ses classiques « vous êtes le meilleur public de tous les temps », affirmation génératrice de sourires, de rires et de bons mots dans l’audience. Et surtout, peu importe tout le reste, qui intéresse tant les individus mal informés et incapables de différencier un homme de sa musique, incapables de respecter ce qu’ils ne comprennent pas. Bien sûr, le groupe en lui-même, parfois mouvant mais avec des nouveaux toujours bien accueillis par le public, participe à cette ambiance. En particulier Dave Catching et ses concours de guitar-hero contre Jesse en fin de show, un autre classique. Évidemment, mes propos sont subjectifs, la musique c’est d’abord les tripes. A vous de voir si vous vous y retrouvez un minimum mais ici, je ne cherche pas le consensus. Enfin voilà ce que j’attends, moi et quelques autres certainement, des EODM sur scène.
Et c’est exactement ce que nous avions le 13 novembre dernier. Pour mon septième concert face à eux, il faut bien dire qu’ils m’avaient presque surpris. On ne va pas se mentir, la communion avec le groupe se fait plus ou moins en fonction des concerts. Cette fois, et dès leur entrée, c’est l’ensemble de la salle qui semble prendre son pied. Pas besoin de se trouver comprimé aux premiers rangs, l’énergie est conductible. Jesse en fait des caisses. Lorsqu’il nous dit qu’on est le meilleur public, cela à un arrière-goût de vérité. Les tubes s’enchaînent. On retrouve les classiques que nous connaissons par cœur (et on le fait savoir) et les nouvelles passent l’épreuve du live sans ciller. La suite, c’est un gâchis. L’écrit n’est plus tolérable. Mais du fond de l’abysse, certains s’en sont sortis et survivent.
Trois mois plus tard, à entendre Jesse entre deux de ses sanglots, l’ensemble des personnes touchées par les évènements sont en droit d’exiger la guérison. Il promet qu’on laissera, comme lui, cette merde aux portes de l’Olympia. Il promet un spectacle à nul autre pareil, l’apothéose nous attend. Jesse reste un gourou, que peut-il dire d’autre ? Le public est différent. Évidemment, chacun avait ses raisons pour venir. Les victimes côtoient les familles de victimes, les potes de victimes, les fans, les journalistes et les personnes venues soutenir une idée. Étrange ambiance forcément. Il semble que tout le monde se regarde plus que d’ordinaire pour tenter de capter un fragment de quelque chose chez l’autre. Une fois dans la salle, la sécurité, les services de santé et les caméras de télévision sont moins visibles, les personnes moins distinguables les unes des autres, les repères plus classiques. Résonne alors « Il est cinq heures, Paris s’éveille ». La communion est forte et sincère, le plaisir palpable des deux côtés. Le groupe, accompagné de Josh Homme à la batterie, venu uniquement pour la date parisienne de la tournée et alors que son fils vient tout juste de naître, démarre sur « I Only Want You », tube parmi les tubes. Le groupe interrompt alors le morceau pour laisser place à un moment de silence. Silence lui-même stoppé par deux sacs à merde. Événement révélant que, définitivement, tout le monde ne cherche pas la même chose ce soir.
Heureusement, cet état de grâce de la bêtise, qui aura interrompu le moment d’émotion de la soirée le plus connecté aux évènements, sera étouffé par la prestation scénique du groupe qui fait son maximum pour nous gaver d’énergie et d’amour. Comme au Trianon en 2014, il y a deux batteries sur scène, Julian Dorio prenant rapidement le contrôle de la deuxième. Des batteries pas forcément en action simultanée d’ailleurs, Josh et Julian se permettant alors de feuilleter un magazine tout en donnant l’air d’être passionnés par ce qu’ils y découvrent. Un moyen comme un autre de détendre l’atmosphère. Dave Catching sera un brin plus présent que d’habitude et entrainera sans cesse la foule à acclamer presque tout et n’importe quoi. Julian Dorio et Matt McJunkins font le taff et le second, qui porte la basse, est bien plus à l’aise avec la scène et le public que lors de la date au Trianon. Eden Galindo viendra prendre de temps à autres la guitare et Tuesday Cross fera une rapide apparition en fond de scène, pour tripoter quelque chose qui fait du bruit. Jesse est complètement habité. Il nous gratifie de sa très fameuse danse de la poule qui reste une curiosité gênante et originale. Il s’acharnera également à détruire sa guitare sur scène dans une attitude « classic rock » ; mouvement d’humeur résultant peut-être de la frustration générée par un problème de santé à la main, qui vient de leur faire annuler la tournée européenne. Un moment assez jouissif, il faut bien le dire. Deux grandes banderoles sont déroulées pour habiller la scène de fioritures, pas nécessaire mais pas désagréables. En somme une première partie de show très propre qui se termine sur « Wannabe in Paris », où l’énergie semble gagner une bonne part de l’audience, une partie aussi très classique. Les morceaux de leurs quatre productions s’enchaînent, le groupe est heureux d’être là, Jesse est loquace, mais il manque encore quelque chose.
Pour ma part, les deux rappels qui suivent sont autrement plus intéressants. Le public semble avoir pris ses marques, s’être un peu détendu. L’urgence qui suintait de quelques endroits dans la fosse est plus contrôlée. L’ambiance est plus saine. Jesse revient d’abord seul sur scène avec sa guitare tricolore. Un moment d’échange plus intimiste et nécessaire à mon sens. Ce premier rappel se termine sur l’habituelle et toujours fédératrice reprise de « Brown Sugar ». Le second démarre avec la reprise de Duran Duran « Save a Prayer », l’un des meilleurs morceaux du dernier album, l’un des plus originaux de la carrière du groupe et une énorme réussite sur scène. Quand enfin « Speaking in Tongues » démarre, on sait trois choses. Que c’est le dernier morceau de la soirée. Que le morceau est énorme. Que le morceau voit Dave et Jesse s’affronter pour le concours du « meilleur » solo. Pendant une dizaine de minutes, le groupe va donc, certes interpréter le morceau, mais surtout improviser un concours de solo général. Les musiciens s’en amusent et Matt répond d’abord de manière ironique avant de se laisser aller quelques secondes. Josh quant à lui invente presque devant nous un genre de comique de répétition : multiplier ad nauseam les solos de batterie avortés tout en mimant un air de connard. On arrive à un point où des blancs musicaux s’installent, où ils enchaînent les blagues et il ne manque plus rien pour se sentir avec eux dans une salle de répète, ou au Rancho de la Luna tant qu’à faire. Ils veulent faire durer le plaisir et nous aussi, définitivement. Jesse vaincra finalement Dave en utilisant un stratagème, celui de s’éclipser pour réapparaitre sur le balcon face à la scène, de manière à lui asséner son style avec une autre envergure. Quelques fortes embrassades avec le public plus tard, le groupe finit par finir le morceau, et le concert.
Je ne crois pas que ce concert devait agir comme la catharsis ultime, comme l’a présenté Jesse. En tout cas, il n’était certainement pas obligatoire. Leur simple venue reste un symbole fort qui en dit beaucoup sur les liens qui nous unissent désormais. Il reste que ce concert a surement été utile pour nombre de personnes et tant mieux. Mais c’était avant tout un concert de rock. En cela, son pouvoir est malheureusement limité.