Après en avoir tellement entendu parler autour de nous, à l’occasion de sauteries du genre stoner, nous avons décidé de nous rendre en binôme au fameux Freak Valley de Netphen. Ce festival estival artisanal se déroule quelque part entre Cologne, Francfort, à l’ouest de Bonn et au sud de Dortmund, en rase campagne. Idéalement situé au cœur de la Teutonnie à quelques encablures du Benelux et du nord de la France, cette fête dédiée aux Dieux du stoner attire comme un aimant les amateurs de riffs psychédéliques, voire pachydermiques, encouragés par la tarification des plus attractive pratiquée par les compagnies aériennes.
Bref, on s’est tiré au Freak Valley et on n’a rien regretté comme vous avez pu le constater en matant notre résumé visuel (et lui aussi complètement artisanal) que vous pourrez (re)voir en bas de page. Une fois l’attirail du parfait festivalier-reporter artisan préparé, nous avons débarqué dans le champ collé à une zone d’activité pour débuter cette fiesta baba cool de trois jours.
THE CYBORGS
En ouverture de rideau, les transalpins adeptes de boogie électro ont remplacé Gas Giant initialement prévus pour le début des festivités. Heureusement à l’heure – car c’est toujours un sacré plaisir visuel que de se taper un show de ce duo – nous sommes fins prêts et en place pour le début des expérimentations sonores de Cyborg-0 ainsi que de Cyborg-1. Parés de leurs tenues de scènes sombres et affublés de leurs casques de soudeurs, les Italiens embrayent sitôt que le speaker, velu, a ponctué sa phrase annonçant la venue du duo de Rome avec leur style minimaliste à fort impact en public (en tous cas nettement plus que quand on les écoute sur disque allongé dans le sofa). Comme d’hab, la structure sonore est assurée par le membre aux commandes de son – euh, comment dire ça précisément – synthé joué de la main gauche alors que la droite est en charge de la baguette destinée aux cymbales et autres percus sises de part et d’autre du clavier, alors que ses pieds se chargent de battre la mesure sur la grosse caisse coincée sous le Yamaha (vous suivez ?). L’interaction verbale était assurée par ce bon vieux cyborg debout à la guitare dans un style nettement plus traditionnel.
Les lascars déballent la panoplie complète de leurs gimmicks scéniques durant le temps alloué pour leur prestation : expérimentations musicales avec le concours des quidams agglutinés derrière la barrière, interactions de la moitié du couple avec les instruments de l’autre (si possible avec une partie des accessoires perso pour corser le tout) et occupation de tout l’espace visuel (et scénique) par l’être debout (une prouesse pour ce duo à moitié immobilisé) voire à deux collés contre les premiers rangs. Question titres, ils ont plutôt bien assuré avec l’imparable « Cyborgs Boogie » dont il est difficile de se défaire même des heures après le concert et une réinterprétation très personnelle d’un standard Muddy Waters durant lequel Cyborg-1 s’était levé pour jouer du washboard alors qu’un dispositif tout personnel lui permettait d’actionner la grosse caisse à l’arrière depuis le bords de la scène. Carton plein pour ce groupe à part et pas vraiment dans le style du festival (en a-t-il vraiment un ?).
MOUNTAIN WITCH
Qui l’eut cru possible ? Nous croiserons une festivalière (qui restera anonyme, parce qu’on est des gentlemen avant tout…) qui pensait trouver sur scène le quatuor nord-américain imprégné de doom old-school, à vocaliste féminine… Point de Witch Mountain sur la scène du Freak Valley, mais bel et bien le trio teuton Mountain Witch. Même si les deux formations partagent un goût commun pour le doom ricain old school, quelques secondes suffisent à faire la différence. Le groupe évolue dans un stoner veiné de hard rock, très connoté doom (canal Candlemass / Pentagram) et psyché, et développe de longues séquences instrumentales fort bien exécutées, qui retiennent l’attention d’un public néanmoins plutôt calme tandis qu’un soleil de plomb fracasse les plus courageux dans la fosse. Scéniquement, le groupe ne brille pas par son énergie débordante, avec un batteur nonchalant sucette à la bouche et un guitariste qui semble plus préoccupé par l’apparence de ses chaussures, qu’il regarde en continu, plutôt que par l’attrait d’un public qui pourtant boit chaque note jaillissant de sa six-cordes. En fond de scène, Rene Roggmann est caché derrière son kit de batterie et assure la plus grande part des parties vocales (ce qui est toujours impressionnant). La set list fait la part belle au dernier album du combo, Cold River, avec quelques brûlots toujours efficaces à l’image de l’entêtant “Once I Am King” ou le doomy “School Of Night”, mais aussi quelques titres apparemment inédits. Plus décontractée que quelques semaines plus tôt au Desertfest Berlin, la prestation de Mountain Witch est de bon niveau mais ne restera pas pour autant dans les meilleurs souvenirs des festivaliers aujourd’hui.
THE MUGGS
Après ce set bien traditionnel, place au gros blues psychédélique oldschool avec le trio de Detroit. Les Ricains distillent leurs arrangements soignés dans une configuration toute personnelle : un batteur, un guitariste et un clavier – aux pantalons d’une blancheur immaculée – assis derrière son Rhodes vintage. L’absence de basse se sent un peu durant ce concert qui n’est pas carrément notre tasse de thé, mais qui plaît foutrement au public dans la place. Les arrangements – un poil pompiers par moments – sont soutenus par les poses typiquement US du guitariste au foulard hippie solidaire du manche de sa six-cordes. Il faut dire qu’avec un gars assis derrière ses fûts et un autre derrière son clavier, Danny Methric est le seul membre ayant la capacité de prendre de l’espace sur cette scène de taille conséquente sauf quand il se charge des parties vocales (partagées par instants avec son collègue rappelant par moment Elton John).
La structure des titres du groupe étasunien confrontée au timing du set – moins d’une heure – ne laisse pas vraiment de champs à la multiplication des chansons (ou des jams). Au final, le groupe n’a rien vendangé pour cette prestation qui n’était pas une première dans le cadre de ce festival ; il a balancé deux-trois compos carrément très efficaces techniquement dont le furieux « Applecart Blues » issu de « Straight Up Boogaloo » sorti il y a quelques mois. La mayonnaise a bien pris entre la formation et le public qui était ravi de cette prestation collant parfaitement au genre hippie de la manifestation.
GAS GIANT
Le début de soirée est des plus agréables durant le week-end le plus chaud de l’année en Allemagne quand les vétérans danois attaquent leur heure de set. Ces mecs avaient disparu de nos écrans radars depuis quasiment une décennie et c’est avec une excitation certaine que nous prenons place dans la fosse à photographes (nous avons de la place car le moins que l’on puisse dire c’est que le groupe n’est pas le plus médiatique de la soirée). Le pied de micro orné d’une corne de cervidé avec son tambourin ainsi que son tambour flanqués sur ses côtés fait tout son effet et annonce le meilleur. Les lascars attaquent directement dans le gras ce qui génère rapidement un déplacement du public, bien inspiré, aux abords de la scène afin d’assister à ce concert (et du coup nous sommes moins seuls dans le secteur photographe). Nous avions un vague arrière-goût d’une formation aux sonorités proches de celles de l’écurie Small Stone des années deux-mille et nous n’allions pas être déçus par une prestation à la hauteur de nos attentes. La formule Gas Giant version 2015 a rapidement pris en live non seulement en ce qui concerne le son (qui dépote), mais aussi pour ce qui est du rendu visuel ainsi que de l’ambiance avec le moment tribal qui a fonctionné tip top. Après avoir balancé des titres issus de leur discographie quasi-complète, les vétérans scandinaves embrayent directement sur un rappel sans même effectuer la moindre pause afin d’optimiser les minutes restantes sur le temps de jeu. Le frontman charismatique pourra se targuer d’avoir remarquablement assuré son rôle sur scène alors que ses collègues envoyaient le gras avec panache. Franchement quel plaisir de se retaper des perles telles que « Never Leave This Way », « Too Stoned » et surtout « Storm Of My Enemies » – une réussite du genre ce fut.
GOATSNAKE
Ne nous leurrons pas : une large part du public est venue pour déguster le set des seigneurs américains de Goatsnake (vos serviteurs avouent piteusement être dans ce cas). La montée sur scène du légendaire quatuor et l’excitation qui en découle suffit à valider ce constat. Il faut dire que dans ce cas plus encore, la rareté de l’événement rend ce moment exceptionnel, dans tous les sens du terme. Les concerts du combo sont rarissimes, leurs tournées minuscules, et y assister est donc par nature un plaisir rare. Dans ce contexte, les premières riffs de “Slippin’ The Stealth”, en outre premier titre de leur discographie, gravent la banane sur les visages des milliers de présents pour l’heure qui suit : gros son, grosse énergie, exécution impeccable. Les conditions d’un moment d’exception sont réunies, d’autant plus que le soleil écrasant de la journée commence à se coucher, permettant aussi aux lights sur scène de faire leur première apparition probante de cette journée. Lorsque Pete Stahl, déjà en nage dès l’intro de “Flower Of Disease” qui suit, s’en va au contact du public en descendant de scène, on comprend aussi que nos quatre gaillards ont bien prévu de tout donner ce soir. Ce sera aussi le cas des petits nouveaux, une section rythmique redoutable d’efficacité et de présence scénique. Tout en puissance tranquille Greg Anderson, enthousiaste et souriant, façonne des riffs venus de nulle part, occupant la part belle d’une mise en son impeccable. Quant à Pete Stahl, il attire et capte tous les regards : il danse, se contorsionne, saute, se roule par terre, sans jamais manquer une ligne de chant, ce chant atypique, toujours nonchalamment nasillard, puissant et charmeur. Les nouveaux titres joués ce soir (“Black Age Blues”, “Graves”, le monstrueux “A Killing Blues”…) trouvent leur place toute naturelle dans un set explorant par ailleurs de manière minimaliste toutes les facettes de la carrière du groupe. Le groupe conclut son set par un “Mower” dantesque, riche, qui devient de fait le point culminant d’un set trop court, qui nous laisse exsangues. Quelle majesté…
BLUES PILLS
Changement de décor – dans tous les sens du terme – avec le quatuor de l’écurie Nuclear Blast. Nous notons rapidement que la prod est au rencart en constatant l’installation de lights supplémentaires ainsi qu’en assistant à un soundcheck effectué par des tiers. Blues Pills revient pour la deuxième année consécutive se produire en tête d’affiche de l’événement. Il ne faudra pas attendre bien longtemps pour que le public dans sa quasi-totalité déserte les places de repos (ou de consommation de haute gastronomie germanique) pour converger devant la scène. Souffrant d’un déficit d’image auprès d’une frange de la communauté stoner francophone, il en est tout autrement au pays de la Bratwurst : Blues Pills plaît beaucoup.
Généreusement mis en avant par des éclairages bien sentis, Elin et sa bande sont à l’aise pour balancer leur set assez convenu et bien interprété. Avec des titres comme « Black Smoke » – brillamment envoyé – le quatuor étale toute la largeur de son registre. Les photographes pervers essaient de viser sous la jupe de la frontwoman (qui est certainement bien plus charmante que les têtes d’œuf ainsi que les velus qui l’ont précédée sur scène), les vieux babacools se lancent dans des interprétations très personnelles de la danse de la pluie, les couples se tiennent bien serrés et les familles avec enfants peinent à décoller.
Tandis que la jeune formation internationale confirme à ses fans qu’elle ne démérite pas leur affection, nous échangeons avec nos connaissances francophones un peu esseulées derrière la tour de contrôle protégeant la régie. Après avoir papoté un brin et échangé quelques bisous, nous reprenons le chemin de l’hôtel – nous assumons ici notre côté pas du tout rock’n’roll – afin de monter les films, vider les cartes mémoires et mettre au net les notes grappillées durant cette première journée de toute bonne facture qui nous aura permis d’assister à un des rares concerts que Goatsnake effectuera sur cette très (trop ?) brève tournée européenne. Et puis le lendemain les hostilités débutent de très bonne heure : il faut prendre des forces.
[A SUIVRE…]
Chris & Laurent