« Hey Mathieu, pourquoi tu n’organises pas un festival stoner rock sur Paris ? » Si on m’avait donné un dollar à chaque fois que l’on m’a posé cette question, j’aurais aujourd’hui pas loin de 10 dollars, ce qui n’est certes pas non plus une somme délirante, mais ça veut aussi dire qu’on m’a posé la question 9 ou 10 fois. Paris n’a pas des infrastructures adaptées à ce genre de projet ou, si c’est le cas, pas à un prix suffisamment raisonnable pour qu’un tel projet soit viable. Alors quoi de plus évident que de retrouver les redoutables Garmonbozia, responsables – entre 1000 autres choses – de la venue des tournées Up In Smoke sur Paris, à la manoeuvre derrière le Grand Paris Slugde Fest, bel événement consacré aux musiques avec pédale de distorsion, à presque Paris, soit Savigny-Le-Temple, Seine et Marne, communauté d’agglomération du Grand Paris. La tenue du festival à l’Empreinte est, après réflexion, une évidence. Jugez plutôt :
- La salle et son équipe est habituée à la musique lourde et la coloration metal et fuzz de l’endroit est évidente.
- La salle possède un « club » permettant de faire jouer deux scènes en alternance, à 10 mètres d’écart.
- La station RER est en face. Plus près, tu fais le fest directement sur les rails.
- La présence d’un espace extérieur « chill » avec lac et grande terrasse rend l’ambiance assez cool, comme une impression de petit espace hors du temps, à 40 minutes de Paris.
- Le matériel mis à dispo par la salle permet des petits miracles dont nous reparlerons à la fin de ce report.
Donc le Grand Paris Sludge à l’Empreinte s’est vite imposé comme une heavydence. Et « Grand Paris » souhaitant montrer aux Parisiens que Paris n’est plus uniquement intra-muros, des moyens ont été alloués afin de prouver qu’il est possible de transformer les cités-dortoirs en cités-foutoir, et ce, sans 49.3. Quelques groupes internationaux (Conan, 1000 Mods, Rotor) alliés à la fine fleur de la cause grasse française ont – deux jours durant – été les gardiens du (Savigny-Le)-Temple.
Samedi 22 avril
19h, les portes s’ouvrent, la table de merchandising est généreuse, la bière locale et le public au rendez-vous. On parle de 250 tickets en préventes et le compte se perd sur place, dans les volutes de fumée d’un… (bref j’ai oublié de demander). 20 minutes plus tard c’est à DECASIA de monter sur scène. Le trio, à l’instar de tes Choco-BN, a été fabriqué à Nantes mais tu peux l’acheter à Paris. Le son est gros, le riff est lourd et le bassiste joue aux doigts et a l’œil rivé sur les spectateurs, déjà nombreux à garnir la salle. Leur stoner rock est de facture classique, rond comme un ballon et donne le ton du week-end. Deux nouvelles chansons sont jouées, et le public dit merci avec la nuque. Et puis bon, le chanteur guitariste a un tee-shirt Black Sabbath, donc c’est validé. En même temps, qui refuserait 40 minutes sous la couette avec une Big Muff ?
La suite se passe au Club, avec FÁTIMA en version acoustique. Fátima a grimpé de nombreuses marches de l’underground avec ses trois premiers albums et notamment Fossil, le petit dernier, aussi attachant que référencé. Un petit bonbon qu’il nous faudra déguster en acoustique, la faute à pas de chance, le batteur s’étant esquinté les doigts de la main gauche, en faisant quelque chose d’esquintant, probablement. Ce dernier tient tout de même son rang mais, à deux doigts de pouvoir taper fort, il tape le jam avec ses collègues, dans une configuration qui nous transporte immédiatement 30 ans auparavant, à l’époque des MTV Unplugged. La ressemblance entre le timbre vocal d’Antoine Villetti et celui de Kurt Cobain accentue forcément la sensation. 45 minutes hors du temps, dans ce temple de nouveau sacralisé.
Mais qui a libéré BARABBAS ?!?! Les bandits investissent la scène principale et savez-vous ce qu’ils font du public ? « De La Viande », évidemment. Les titres de leur dernier et excellent album La Mort Appelle Tous Les Vivants se mêlent aux meilleurs extraits de leurs deux précédents albums et cet évangile électrique, au pouvoir salvateur, nous purifie par la force du « Saint Riff Rédempteur ». Bref, en un mot comme en cent, Barabbas a crucifié l’Empreinte et rappelé qu’il n’y a pas beaucoup d’équivalents sur scène, en ce moment, dans les sphères doom.
THE NECROMANCERS est un groupe qui a grimpé vite et doit désormais gérer sa carrière, ainsi que définir la coloration qu’il souhaite donner à sa musique. Parti d’un rock occulte, rétro/satanico/acide, le groupe tend vers quelque chose de plus heavy, tout en gardant une appétence mélodique plutôt intéressante. Leur live du soir déborde d’enthousiasme et s’il manque une petite étincelle (un peu d’entrain par ci, un peu de coffre par là), le public du Club ne boude pas son plaisir et remue bien du croupion!
CONAN ? Quels sont tes hobbys ? Boarf j’ai toujours aimé écraser mes ennemis, je n’ai rien contre le fait de les voir ramper devant moi, éventuellement entendre les lamentations de leurs femmes, mais je ne vous cache pas que mon truc c’est surtout le gros doom des cavernes. 22h30, Conan transforme le petit lac de l’Empreinte en gros marais putride pour une heure de boue aux vertues apaisantes. Le trio ouvre avec « Levitation Hoax » titre issu de son dernier et très bon album, puis pioche dans sa longue discographie de quoi réduire la salle en bouillie. Mission accomplie, à l’heure de déverser ses spectateurs vers les RER et le parking, l’Empreinte toute entière tremble encore de la déflagration sonore qu’elle vient de subir. Et nous avec.
Dimanche 23 avril…
…au soir, de retour au temple (de Savigny-Le) et à l’Empreinte pour une seconde fournée de fuzz.
La soirée commence pourtant par un extrait de « Grand Paris » de Medine, avant que BRUSQUE ne prennent la scène d’assaut. Le duo est devenu trio, pour trois fois plus de sludge/doom/post trucs gras. Leur premier album, Boîte Noire, est à l’honneur et le boucan perpétré par le groupe remplit de joie l’assistance, venue, de toute façon, pour se faire molester.
La suite se joue au Club où MAUVAISE FOI lance un sample du très sain d’esprit Bone Crusher dans le film Deadbeat At Dawn puis décide de nous saper le moral pour les 45 prochaines minutes. Leur sludge convoque EyeHategod, Acid Bath ou n’importe quelle autre saleté du genre, le tempo est à l’agonie et nous aussi. C’est la poutre, la joie de crever entre amis. Je ne m’attendais pas à un tel niveau de maîtrise et de noirceur. Bravo, tout simplement.
7 albums – nommés de un à sept – de stoner instrumental aux inflexions psychédéliques, voilà ce que propose, depuis 2001, la formation allemande ROTOR. Si tout ça paraît opaque, c’est parce que c’est par le live qu’il faut commencer, histoire de prendre dans le bas ventre le son robotique du groupe, du riff qui tournoie à la section rythmique qui flamboie. Et le concert de ce soir a tout simplement des allures de démonstration.
A peine le temps de dire « geschwindigkeitsüberschreitung », soit « excès de vitesse » en allemand, et nous voici au Club pour le concert de DJIIN, l’une des belles surprises de ce festival. Dans une ambiance aussi chaotique que frénétique, le groupe met la petite salle en sueur, au son d’une harpe électrique que Chloé Panhaleux maltraite comme Hendrix le faisait avec sa guitare. Les Rennais sont complètement allumés et régalent avec quelques extraits de Meandering Soul, sorti chez Nasoni Records, label allemand réputé pour l’audace de ses choix.
La suite et fin du festival a lieu sur la scène principale que les grecs de 1000 MODS investissent en conquérants. J’ai beau ne pas goûter spécialement leur stoner basique, je me dois de reconnaître que la salle est en feu et que je suis moi-même en train de gigoter debout sur une table. Le groupe semble pourtant un peu fatigué, à l’image de la voix de Dany G. sérieusement endommagée par la grosse tournée que les hellènes (qui s’appellent hellènes) effectuent en ce moment, mais la musique du quatuor emporte tout sur son passage notamment quand résonne le riff de « Super Van Vacation ».
Lorsque l’heure est venue de rejoindre les rails ou les roues de son moyen de locomotion, le public du Grand Paris Sludge Festival a la tête pleine de fuzz et ne souhaite qu’une seule chose : revivre tout ça encore une fois. En attendant de savoir si le festival va se pérenniser (il y a intérêt !), sachez tout de même qu’il est possible de voir ou revoir l’intégralité des concerts sur ma chaîne Youtube :
JOUR 1 :
JOUR 2 :
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