L’année dernière, pour fêter ses 10 ans, le Roadburn Festival était passé à la vitesse supérieure, proposant une affiche de rêve propre à séduire autant les fans de revival 70’s que les amateurs de doom malsain. Cette édition fut un succès énorme, installant définitivement le Roadburn comme l’événement stoner européen incontournable. Pour relever le défi de faire aussi bien, si pas mieux, que lors de l’édition précédente, les organisateurs ont cette fois-ci joué la diversité en proposant une scène dédié au Space Rock, s’offrant le luxe de convier quelques pointures du genre, Hawkwind en tête. Premier résultat de cette initiative, le public nombreux (les deux jours sont complets depuis plusieurs semaines) se partage entre jeunes chevelus venus de l’Europe entière et quinquas pas toujours verts partageant un goût immodéré pour les psychotropes en tout genre.
Désireux de ne pas sacrifier sa vocation première, offrir une affiche mêlant groupes confirmés et jeunes pousses prometteuses, le festival s’étale désormais sur deux jours, proposant au total pas moins de 20 prestations réparties sur trois scènes. Le vendredi est donc consacré à la découverte avec Spaceship Landing, End of Level Boss et les deux locaux de l’étape, Astrosoniq et Toner Low tandis que le samedi, outre les dinosaures de la scène Space Rock, c’est la crème de la scène européenne qui a été convié à deux exceptions près, Brant Bjork & The Bros (qui, bien qu’américain pur jus, passe la moitié de l’année à sillonner l’Europe) et Solace dont c’est la première date de ce côté-ci de l’océan. On notera également la présence prsque incongrue de Leaf Hound, reformé par son charismatique chanteur Peter French avec l’aide de jeunes zicos fascinés par l’unique album du groupe, le cultissime « Grower of Mushroom » paru en … 1971 ! Autre innovation, le partenariat avec Orange Factory chargé d’assurer la programmation de la plus petite scène aux allures de club comme on les aime tant.
Malheureusement, victime de son succès croissant, le Roadburn Festival ne peut éviter les écueils inhérents à ce genre de manifestation. Circuler parmi 2.000 festivaliers dans le labyrinthe qu’est le 013 pour rejoindre des salles transformées en fournaises devient rapidement pénible. Atteindre un bar autour duquel sont agglutinées des hordes d’allemands braillards relève du défi et se coltiner la gastronomie hollandaise requière pas mal d’abnégation. On pourrait passer sur ces détails pratiques et insignifiants mais il reste un problème de taille, le chevauchement des concerts sur les trois scènes. Impossible d’assister intégralement à toutes les prestations, ce qui entraîne quelques choix cornéliens et quelques déceptions. Il faut donc se la jouer montre en main et se présenter à l’entrée des deux petites salles 15 minutes avant chaque concert pour avoir une chance de rentrer, à moins d’avoir envie de jouer des coudes pendant la moitié du set. Après quelques heures on se surprend même à regretter les petites salles à moitié vides auxquelles tout amateur de stoner est habitué.
Mais reprenons les choses a leur début. Suite à l’annulation de Capricorns et aux problèmes de santé de Dave Wyndorf, c’est Witchcraft qui ouvre les hostilités à 16h00 tapantes (les horaires seront d’ailleurs tous respectés à quelques minutes près). Les Suédois proposeront pendant une heure un set sans surprises, piochant dans leurs deux albums des morceaux qui se suivent et se ressemblent. Le son et l’interprétation sont impeccables, à tel point qu’en fermant les yeux, on pourrait croire qu’il s’agit d’un cd diffusé à très haut volume par la sono. Mis à part le look de berger pyrénéen du chanteur, il ne se passe absolument rien au niveau visuel, les musiciens restant trop statiques pour soulever l’intérêt du public. On saluera néanmoins la prestation vocale convaincante à condition de supporter cette accumulation de clichés, fond de commerce d’un groupe qui tente de sonner plus proto-doom que Pentagram à ses débuts, ce qu’il réussit au demeurant très bien, mais lui offre une marge de progression très restreinte.
Après un court détour par la scène principale où Spacehead semble enchaîner des titres linéaires très orientés guitares sur fond de projections psyché d’un autre âge, sorte d’archétype de la vision que je me fais du Space Rock, c’est le retour à la Green Room pour être certain de ne pas rater une miette du concert de Solace. Rob Hultz débarque à grandes enjambées, pur redneck dans toute sa splendeur, pour effectuer un soundcheck et on se régale déjà de ce son de basse énorme. L’actualité du groupe étant des plus mystérieuses (rumeurs de split en plein milieu de l’enregistrement du nouvel album), on n’est qu’à moitié étonné de constater qu’un petit mexicain trapu seconde Tommy Southard aux guitares. Après un long instrumental et quelques problèmes techniques, Jason rejoint le reste du groupe l’air hagard pour entamer un « Mad Dog » d’anthologie. Le son est énorme, les musicos parfaitement en place malgré le fait qu’ils n’aient plus joué ensemble depuis pas mal de temps. Pour rajouter un impact visuel et en raison de la taille réduite de la scène, ils jouent la plupart de temps à quatre de front, l’air conquérant. Et effectivement on est subjugué par cette puissance et cette efficacité, cet empilement de riffs rageurs, cette rythmique dévastatrice et les vocaux irréprochables d’un Jason qui s’enfilera Heineken sur Heineken (intitulé un morceau « King Alcohol » n’a rien d’anodin). Southard, visiblement heureux d’être là, s’en donne à cœur joie dans l’alternance de lead plombés et de solos ébouriffés sans jamais virer à la démonstration et c’est d’ailleurs ce qui séduit, l’impression que chacun se met au service du groupe malgré la présence de quelques egos qu’on suspecte sur-dimensionnés. La setlist pioche de façon équitable dans les deux albums mais offre également deux nouveaux morceaux qui apparaîtront peut-être un jour sur une hypothétique nouvelle sortie. En apothéose, Ben Ward vient donner de la voix sur « Forever My Queen », reprise de Pentagram décidément très à l’honneur aujourd’hui et après une petite heure, Solace peut quitter la scène avec le sentiment du devoir accompli, ayant délivré une prestation à la hauteur de nos attentes.
Orange Sunshine doit avoir commencé son set depuis vingt minutes quand je parviens à reprendre mes esprits. Après une remontée à contre-courant et une tentative avortée de se frayer un chemin vers le centre de la salle, je fais demi-tour vers la Green Room. Difficile en effet d’accrocher à la prestation des bataves en débarquant en plein milieu du concert censé être un hommage à Randy Holden (qui fut entre autre guitariste de Blue Cheer pendant quelques mois) mais qui en réalité n’est qu’une jam basée sur deux accords. Etrange de la part d’un groupe qui a sorti un chouette petit album très vintage dont il ne sera visiblement pas du tout question ce soir. Malheureusement, avoir quitté la Green Room était une erreur stratégique et c’est depuis le couloir que me parvient l’écho du concert de Leaf Hound. Difficile de juger de la qualité du come back dans ces conditions et pour pallier cette frustration, je décide d’écouter l’appel de mon estomac en me rabattant sur le stand de nourriture qui n’offrira qu’une très maigre compensation. Décidé à ne pas faire deux fois la même erreur, j’investis la Bat Cave à temps pour ne rien rater de The Heads, prudente résolution au vu de la vitesse à laquelle la salle se remplit.
Bientôt la suite ou comment se faire broyer les tympans, planer sans artifice, headbanger à se rompre le cou pour finir par tomber amoureux.
Jihem