Devenu depuis quelques années l’évènement incontournable du microcosme stoner européen, le Roadburn répartissait cette année, et ce pour la première fois de son histoire, sa programmation sur deux jours complets, preuve s’il en est que ce festival ne cesse de prendre de l’ampleur. Le programme et les bruits de couloirs annoncent d’ailleurs une formule en quatre jours pour l’année prochaine, ce qui devrait permettre à chacun de mieux profiter de la pléthore de groupes proposés à l’affiche. Les quelques 2200 chanceux venus de tous les coins d’Europe (on dénombrait cette année une dizaine de nationalités différentes parmi les membres du public) pour vénérer le riff sacré auront eu droit pour cette douzième édition à une sélection impressionnante de groupes « majeurs » et principalement américains complétée par un tas de formations de moindre envergure mais toutes aussi prêtes à en découdre pour marquer les esprits d’un public avide de découvertes. Qualité et éclectisme pourront une fois de plus définir une programmation offrant la possibilité à chacun de se faire son festival à la carte, avec tous les choix cornéliens et les flux croisés de fans assoiffés de bière et de décibels que cela suppose. Il n’y a pas de Chill Out Room au 013, seulement trois salles qui ne désemplissent presque jamais et un labyrinthe de couloirs offrants au festivalier l’opportunité de se restaurer, de compléter sa collection de vinyles, de discuter ou de se perdre. C’est d’ailleurs ce qui failli nous arriver malgré une préparation soigneuse et un timing parfait pour le concert de The Sword. Invités sur le tard à inaugurer cette grande communion qu’est le Roadburn, les meilleurs riffeurs du Texas n’ont pas vraiment amélioré leur communication depuis leur tournée avec Nebula mais ils remuent désormais un peu plus, ce qui pourrait créer l’illusion qu’ils sont devenus un bon groupe de scène. Même s’ils tronçonnent sévèrement, les membres de The Sword ressemblent toujours à une bande de gars sans histoires propulsés directement d’un petit bar d’Austin vers toutes les salles d’Europe sans avoir eu l’occasion de consulter le mode d’emploi au préalable. Reste bien évidemment la qualité des compos, ces enchaînements de riffs à faire headbanguer un paralytique, ce son de gratte plombé comme on l’aime et un batteur très rigide derrière ses fûts mais dont la frappe sèche placera d’emblée la barre très haute pour tous ceux qui lui succèderont sur les différentes scènes. Quelques nouvelles compos viennent enrichir une set list de laquelle ressortent les déjà classiques « Barael’s Blade » ou « Freya » et on se met à espérer que les tournées consécutives en première partie de Nebula et Clutch porteront bientôt leurs fruits et permettront aux membres de The Sword de gagner un peu d’assurance sur les planches.
On nous pardonnera de ne pas s’être trop attardés sur Orange Sunshine, les locaux de l’affiche déjà présent l’année dernière mais désormais invités à inaugurer la scène principale, dont on abandonnera rapidement le Hard Rock 70’s assez bien foutu pour aller jeter une oreille furtive sur Pharaoh Overlord. La Green Room n’est qu’à quelques brasses et la traversée du couloir qui sépare les deux salles se fait sans encombre. Les Finlandais, impassibles, répètent leurs riffs minimalistes inlassablement, hypnotisant un public encore frais. Sur le deuxième morceau, les trois guitaristes et le bassiste se mettent à tourner lentement sur eux-mêmes à des vitesses différentes, entamant des oscillations en suivant le crescendo de la musique. Impressionnant.
On se reprend un jus de fraises avant la retraversée du couloir pour le concert de Clutch qui devrait commencer dans cinq minutes (tous les concerts commenceront exactement à l’heure prévue, le Roadburn est une affaire qui roule). Les roadies s’affairent avec zèle mais sans énervement sur la scène de la grande salle, secondé par Eric Oblander, le chanteur de Five Horse Johnson venu checker lui-même son harmonica. Les amplis sont religieusement disposés et leur vue nous donne déjà le sourire aux lèvres. Les musicos montent sur scène et c’est un Neil Fannon en grande forme qui apparaît à son tour. L’orgue est bien présent mais se planque discrétos derrière le mur d’ampli vintage de 1er choix (à vendre sa mère!) du gratteux. Tout est parfaitement en place et le sens de la jam session est bien au rendez-vous. Ce groupe est maintenant tellement accompli et uni que l’homogénéité de leur musique peut d’ores et déjà être qualifiée de sublime et légendaire. Histoire de faire les fines bouches, on regrettera un peu les disparitions sur le côté de la scène de Neil Fallon lors des passages purement instrumentaux. Il faut dire que le bonhomme monopolise toute l’attention, Tim Sult et Dan Maines se la jouant profil bas pendant que JP Gaster bastonne allègrement, même si son jeu de scène reste très basique. Ce ne sont pas Oblander et Wino, venus faire des apparitions successives en fin de concert, qui parviendront à lui voler la vedette. Le choix des titres issus essentiellement des trois derniers albums pourrait prêter sujet à discussion, mais bon… là, ça s’appelle jouer les sales gosses nantis parce que le concert fut magnifique.
Blue Cheer… hum, sans doute la déception de ce festival. Ok, les morceaux sont très correctement exécutés et les vieux titres (je sais, ils sont tous vieux, mais certains sont vraiment TRES vieux) comme « Doctor Please » ou la reprise de « Summertimes Blues » parviennent à filer un début de frisson, mais nos papys nous apparaissent tellement poussifs, rouillés et mous du genou qu’on est en droit de penser qu’ils sont venus en bénéficiant de la carte Vermeille. Le perfecto de Dickie Peterson sent la naphtaline et s’en deviendrait presque pathétique lorsqu’il tente désespérément de retrouver la flamme, penché contre son ampli. Loin de nous l’idée de jouer les petits cons ulra-branchés, mais il est évident que leurs morceaux ont mal vieilli et la longue plage horaire qui leur est accordée (1h15) fait retomber le soufflé qui avait tellement bien pris avec les groupes précédents.
J’abandonne Blue Cheer et j’hésite entre la fin du concert de Sun Dial et celui de Siena Root qui va bientôt commencer. J’opte stratégiquement pour les Suédois, la Bat Cave étant probablement plus accessible. Siena Root est un des groupes les plus « abordables » de cette première journée et il est composé de deux vikings, d’une version baba cool de Buzzo et d’une chanteuse très éloignée des stéréotypes du métal féminin, tout ce beau monde étant rejoint à la moitié du set par un guitariste aux allures de Popeye affublés de dreadlocks lui tombant jusqu’au bas du dos. Bon groove, solos bluesy et batteur un rien cabotin, les titres vintage s’enchaînent, pas vraiment renversant d’originalité mais joués avec beaucoup de feeling. On oublie un instant le gigantisme du Roadburn, les performances hyper carrées exécutées sans communion avec le public depuis une scène inaccessible pour se laisser emporter par la voix chaleureuse de Sanya et les gentilles jams qui égrènent le concert. Le bassiste passe aux percus et le guitariste derrière le Hammond le temps d’un titre ambiance feu de camp au fond des bois et ce n’est pas sans regret que je quitte la salle pour subir le déluge Melvuisnesque une deuxième fois cette semaine (Les Melvins jouaient à l’Ancienne Belgique il y a trois jours) après le petit numéro de cracheur de feu du batteur qui surprendra tout le monde.
Big Business et The Melvins, deux groupes qui sonnent différemment mais qui comportent en leur sein les mêmes musicos dans un line-up un peu varié. Big Business comprend le grand et fort Jared Warren à la basse et au “chant” et son acolyte Coady Willis derrière les fûts. Sur quelques morceaux, Dale Crover, le batteur des Melvins, assure la noise guitar. Ce sont ensuite ces trois lascars que l’on retrouve dans les Melvins avec bien sûr le célèbre King Buzzo (et sa coupe à la Tahiti Bob) à la gratte et au micro et Crover derrière le deuxième kit symétriquement similaire à celui de Coady Willis. Attention! Les deux groupes sonnent très différemment. Si le set de Big Business relève plus de la mélopée enlevée par une section rythmique sans faille et les aboiements de Jared, les premières notes envoyées par King Buzzo lors de son apparition nous plongent directement dans l’univers bien particulier et personnel des Melvins. Mais revenons à Big Business, un duo basse-batterie nickel-chrome survolé par le chant très particulier (entre le cri, l’aboiement et l’exhortation à très haute voix) de Jared d’une stature très imposante même dans sa toge super kitsch à l’hawaïenne. Sur la majorité des titres, Dale Crover envoie le bois avec la six-cordes ou plutôt participe à la création des atmosphères typées du groupe. La set-list fait la part belle aux titres du petit nouveau, s’ouvrant sur un « Hands Up » très énervé ponctué de la seule intervention de la soirée à l’adresse du public. C’est évidement parfaitement en place et on comprend sans peine ce qui a poussé Buzzo à les incorporer à son groupe. Willis est monstrueux d’efficacité, Warren ne fait rien pour mettre de l’animation sur scène et reste planté derrière son micro, laissant à Crover le soin de torturer sa gratte dans tous les sens en brassant un peu d’air.
King Buzzo pointe sa truffe armé de sa sublime Les Paul noire (il avait son mi aigu ce soir-là) et Dale Crover va prendre place aux côtés de Willis pour « Another Fourth of July … Ruined » , une sorte de marche militaire déjantée qui donne un avant-goût de l’impact visuel et sonore des deux batteurs, sur lequel ils enchaînent sans temps mort « The Talking Horse », l’entité Big Business muant instantanément en la nouvelle incarnation des Melvins. Le set n’est plus une surprise, constitué de la majorité des titres de « (a) Senile Animal » et rehaussé d’extraits de l’ensemble de leur discographie avec une prédilection pour les titres rapides. Néanmoins, leur prestation est cette fois encore splendide et intense. On reste béat d’admiration devant le travail des deux batteurs parfaitement synchros et on n’ose pas imaginer le temps nécessaire passé en répet’ pour obtenir un tel résultat. Les deux stars de la soirée, ce sont bien eux, ces batteurs siamois qui assurent le show dans les moindres détails, à tel point qu’on en oublierait presque Buzzo s’il ne remuait pas sa crinière de temps à autre. On ne sait pas très bien comment ces mecs parviennent à tenir deux heures tous les soirs avec un set visiblement identique mais d’une précision et d’une intensité totalement bluffantes et l’ovation qu’ils recevront en fin de concert, se congratulant debout sur leurs sièges respectifs après la chansonnette mystérieuse poussée par Jared Warren, est amplement méritée. Ce soir, Tim Moss ne sera pas obligé d’aller coller des pains aux membres du public frustrés qu’il n’y ait pas de rappel, comme ce fut le cas à Bruxelles.
Il commence à y avoir du monde et le public maudit l’architecte qui a prévu des couloirs aussi étroits entre les trois différentes salles. Il est quand-même possible de se frayer un chemin vers la Bat Cave où se produit Rotor. Ce trio teuton joue dans la plus petite salle, ce qui ne fait que rajouter à l’atmosphère torride de leur musique instrumentale. La fuzz est maîtresse tout au long du set mais une observation attentive permet de découvrir un travail tout en finesse entre le crunch, la fuzz et la wah-wah pour la gratte. La section rythmique est impeccable et joue également avec des nuances très appréciables. Un petit tour par la Green Room pour voir les Danois de Causa Sui . Est-ce du a l’heure tardive et au fait d’avoir passé près de sept heures collés aux enceintes ? Toujours est-il que la sauce a du mal à prendre pour un groupe dont le premier album m’avait pourtant fait très forte impression. Le gratteux prend des allures de Jimi Hendrix au fur et à mesure des morceaux d’une longueur impressionnante en raison des soli exécutés dans une ambiance de jam psychédélique. Et après la précision de Buzzo & Co, on ne parvient jamais à accrocher à ces longs crescendos qui se terminent invariablement dans un déluge de notes et de fracas de cymbales. L’intro a elle-seule dure près de dix minutes et même si quelques passages plus soutenus parviendront à nous sortir de notre torpeur, les titres défilent sans laisser aucuns souvenirs impérissables. Le chanteur manque un peu de voix dans cet ensemble très intense mais assure malgré tout derrière ses belles lunettes et ses poses à la Morrisson.
Il est près de 1h30 lorsque nous quittons Tilburg en ayant raté près de la moitié des groupes à l’affiche et notamment tous les groupes à tendance psyché qui se sont succédés dans la Green Room, ce qui se répétera malheureusement le lendemain.
En croisant quelques tronches de déterré dès notre retour au 013 le samedi, on se dit que la décision pas très rock’n’roll de rentrer sur Bruxelles entre les deux jours de festival n’était pas une mauvaise idée. D’autant plus que si la veille certains concerts permettaient de se reposer les tympans (enfin, c’est très relatif), la programmation de ce samedi est très orientée lourd, voir lourd de chez lourd. C’est d’ailleurs Acid King qui ouvre les hostilités sur la scène principale, ce qui est un peu regrettable. Avec un show de 45 minutes en pleine après-midi sur une scène gigantesque, le trio de San Francisco n’aura pas vraiment l’occasion de délivrer une prestation inoubliable. Lori, malgré son talent indéniable n’est pas une bête de scène et on la sent un peu perdue au milieu de tout cet espace vide. Toujours flanquée de Rafa à la basse mais désormais accompagnée d’un nouveau batteur, elle enfilera les titres essentiellement issus du dernier album, qui commence à dater, sans grande conviction, s’adressant brièvement au public en fin de concert. En vieille routarde capable de s’adapter à toutes les situations, elle ne manquera néanmoins pas de balancer ses riffs poisseux et ses solos acides, servie par un son hyper puissant, tout en faisant passer toute la douleur du monde dans ses lamentations toujours aussi fascinantes. Dans une petite salle en fin de soirée, ce concert aurait été complètement différent et aurait même pu devenir un des grands moments du festival.
Dix minutes avant la fin du set, on bifurque rapidos vers ma salle où les Suisses de Monkey 3 doivent se produire. Petite rencontre avec Peter et Patrick de Buzzville Records qui accompagnent leurs poulains pour l’occasion. Le groupe nous offre un superbe concert fidèle à leur excellent petit dernier déjà dans les bacs. Le son de ce groupe est précis et puissant. Quand la disto s’enclenche et que la basse et la batterie embarquent aussi pour la grande descente, c’est le tour en rollercoaster garanti. Ca commence vraiment fort pour ce samedi et la température est proche d’une usine équipée de fours à chaud. La programmation est un peu casse-pieds car c’est encore dix minutes avant la fin du set que nous devons nous éclipser pour voir The Hidden Hand. Wino électrise la salle dès son entrée, même si fidèle à sa réputation d’icône qui ne s’est jamais pris le melon, il vient de faire le soundcheck de ses nombreuses guitares lui-même. Malgré la valse des batteurs, The Hidden Hand demeure une machine parfaitement huilée capable de délivrer des prestations scéniques tout à fait bluffantes. La précision rythmique de Bruce Falkinburg et Evan Tanner offre un écrin sur lequel Wino vient coucher son jeu flamboyant, si souvent imité mais rarement égalé. Toute la discographie est visitée, le groupe interprétant même « Welcome to Sunshine » issu du split avec Wolly Mammoth et délivrant une version cataclysmique de « The Crossing » sur laquelle Bruce se sort les tripes derrière le micro. Le Godfather of Doom y va bien sur de ses poses et grimaces mais on sent que tout çà n’est jamais calculé, la scène étant pour lui un exutoire lui permettant de vivre intensément sa musique. Cinquante minutes, c’est un peu court mais suffisant pour me rassurer sur la bonne forme d’un groupe que je reverrai pour un concert complet quelques jours plus tard.
Décidément, tout se joue entre la Main Stage et la Bat Cave puisque nous retournons fissa mater un peu Amenra. La petite salle est ultra-bondée et il devient donc très difficile de profiter pleinement du groupe et de se plonger dans sa musique. De bons échos sur les prestations passées d’Amenra ont été entendus. Malheureusement, cinq minutes depuis le fin fond de la salle ne permettront pas de se forger une opinion.. Red Sparowes a une démarche conceptuelle: ce groupe instrumental tente de donner sa vision d’horreur du Grand Bond en Avant de la Chine entre 1958 et 1961 qui fit 30 millions de mort par la famine et la persécution sous Mao Ze Dong. Agrémentés de projections sur ce thème à l’arrière-plan, Red Sparowes joue aussi sur les nuances et les montées en puissance. Bien que n’ayant pas pu écouter leurs albums attentivement avant le concert (avouons-le), leur set est très bien ficelé et évoque le chaos et la destruction de manière personnelle et sincère. Baignés dans une pénombre rougeâtre permanente, les trois guitaristes alignés sur scène, parmi lesquels on trouve notamment un membre d’Isis, tissent des motifs complexes qui culminent en explosions sonores et offrent paradoxalement un moment d’apaisement et d’introspection bienvenu avant d’entamer le reste de la soirée. Mal inspiré, je quitte la salle pour aller voir Orthodox dont les membres sont tous vêtus de bures les couvrant de la tête aux pieds et leur Doom ultra lent et répétitif me semble tout à fait stérile en comparaison de la richesse des textures de Red Sparowes.
Nos jambes doivent maintenant payer leur lourd tribut à la fatigue et l’atmosphère étouffante dans les couloirs du 013 n’améliore pas les choses. On s’impatiente à l’approche de la perf d’OM dès 20h, d’autant plus que les roadies nous mettent l’eau à la bouche en amenant des amplis de basse dantesques sur scène. OM grimpe sur scène avec cette touche lymphatique très typique de leur musique à la fois d’humeur lourde, sombre et lancinante. Les deux gaillards de feu Sleep ne pressent pas le pas et font monter la sauce tout en douceur. Pourquoi se presser alors que la prog nous accorde une heure complète? Ce qui pouvait être discutable pour Acid King devient une évidence pour Om, ils n’ont absolument rien à faire sur la grande scène. Hakius a installé sa batterie sur le côté gauche, ce qui laisse à Cisneros un espace démesuré qu’il se gardera bien d’arpenté. L’usage abusif de psychotropes semble avoir laissé des séquelles sur son organisme et il restera prostré derrière son micro pendant une heure, se traînant parfois devant la batterie d’où Hakius l’observe avec un air de psychopathe. Le regard perdu dans le vague, il psalmodie ses paroles mystiques aux allures de mantras (comment fait-il pour retenir des textes pareils avec la moitié des neurones visiblement cramés, c’est un mystère) pendant que ces doigts remuent sur le manche de sa Rickenbacker avec une économie de mouvement proche de la catatonie. C’est le degré zéro de la présence scénique même si on n’attendait pas grand chose de leur part à ce niveau-là et on s’emmerderait sec s’il n’y avait pas ces compos envoûtantes et hypnotiques aptes à nous propulser dans un univers parallèle. Les deux premiers morceaux sont visiblement issus des différents splits (j’avoue avoir beaucoup de mal à distinguer leurs compos malgré le fait qu’ils en aient très peu) et la deuxième partie du concert est constitué de l’intégralité de « Conference of the Birds », les infra basses ruinant complètement l’ambiance si particulière de « At Giza ». Sans gratte, les basses fréquences depuis la main stage prennent des allures de mini-secousses sismiques. C’est tellement fort que j’en ai le cur qui se soulève à chaque coup de bong (pardon, de basse), au point que je me tire après 3/4h en leur compagnie, non pas que le set soit mauvais mais leur ingé son doit avoir les basses fréquences de son ouïe tellement niquées qu’il est obligé de pousser tout à stock pour percevoir les sons. Vraiment dommage…
Pas de quoi pleurer pour autant puisque je m’éloigne fissa de la lourdeur des brumes oppressantes d’OM pour rejoindre le vol majestueux dans l’éther cher à Pelican. Pas évident de se mettre dans le trip en ayant raté les vingt premières minutes mais lorsque les grattes font parler la disto, c’est le re coup de réacteur salvateur qui me propulsent dans les cieux si délectables de leur post-rock instrumental trituré dans des riffs cinglants, des arpèges à vous faire pleurer et des impros subtiles sans tomber dans les travers de la prise de tête façon Causa Sui. Une nouvelle fois, après leur prestation luxembourgeoise une semaine auparavant, Pelican remet le couvert tout en subtilité et en patate. Décidément, ces types à l’allure si sobre et si humble sont épatants! Au même moment, Stinking Lizaveta se charge de mettre le feu à la Bat Cave exceptionnellement peu engorgée en raison du concert simultané du phénomène Pelican dans le Green Room. Groupe atypique et inclassable, ce trio américain quasi-instrumental (le guitariste « chante » parfois dans le micro de sa gratte et fait quelques voix), actif depuis dix ans et admiré par Steve Albini qui a produit deux de ses albums, fait ce qu’il appelle du Doom-Jazz et que l’on décrira comme un mix d’une kyrielle de courants musicaux à priori inconciliables. Atypiques, ils le sont à plus d’un titre en raison de l’utilisation d’une contre-basse électrique et d’une batteuse qui doit taper dans la quarantaine bien tassée, ce qui ne l’empêche pas de développer un jeu hyper technique avec une énergie et une dextérité proprement ahurissante. Malgré la chaleur, la fatigue et les tympans en bouillie, ils parviennent à me donner un sursaut d’énergie grâce à leur enthousiasme délirant même si leur musique n’est pas toujours des plus abordable. Le guitariste est particulièrement explosif, enchaînant des riffs inventifs et des solos fouillés, ne tenant pas en place et filant sa gratte à un membre du public pour un solo qu’il terminera lui-même avec les dents. Quand à la batteuse, un seul mot me vient à l’esprit : respect. Pour peu, l’impact visuel de son jeu vaudrait bien celui du tandem Crover-Willis de la veille, ce qui n’est pas un mince compliment.
Pas le tant de glander, je me sauve comme un voleur dès la dernière note pour aller voir Neurosis. Il y a du pour et du contre dans leur démarche. Trop triste émo pour certains, trop durs et noisy pour d’autres. Rien à secouer, même si ce groupe n’entre pas parfaitement dans les lignes éditoriales des zines stoner, il demeure néanmoins une référence difficile à classer. Il y a un constat sidérant à faire dès les premières notes: la qualité du son. On en a mater des groupes sur la main stage mais aucun d’entre eux n’a sonné comme cela. Le son est d’une puissance et d’un mix hors norme qui vous envoie dans les cordes au moindre envoi de bois. Lorsque les grattes balancent le jus, c’est une déferlante de puissance qui envahit la salle avec une célérité décoiffante. Le set est parfaitement exécuté et, dans ce déluge de patate, maîtrise parfaitement l’art du spleen et de la détresse humaine. Le public est raide mais en redemande et l’organisateur doit penser que le coup est bien réussi:Neurosis a bien été tourbillonnant du début jusqu’à la fin.
Pour clôturer ces deux jours d’orgie musicale, rien de tel qu’un concert de Colour Haze dans une Green Room où seuls les plus vaillants auront le courage de s’entasser pendant près de deux heures. Impossible de juger de la qualité de leur prestation, le set semble assez similaire à celui de la dernière tournée mais je suis épuisé et la seule chose dont je me souvienne, c’est de l’inhabituelle énergie déployée par Philipp Rasthoffer généralement plus discret. Est-ce dû aux dix minutes de méditation qu’il a effectué sur scène avant le concert, au désir d’achever tout le monde ou est-ce simplement ma perception qui commence à me jouer des tours ? Peu importe, je ne rêve plus que de calme et de confort jusqu’à la 13ième édition du Roadburn pour laquelle on espère néanmoins une programmation plus légère.
Thib & Jihem