On retrouve avec plaisir cette belle salle qu’est le Rocher de Palmer, ou plutôt ce beau complexe avec plusieurs salles, où ce soir Sunn O))) occupe la plus grande, la 1200 (qui porte le nom de sa capacité d’accueil, pratique…). Il n’y aura pas 1200 personnes ce soir, mais le remplissage de la salle est très correct, la salle étant à deux tiers remplie environ.
Ce n’est pas encore le cas lorsque le trio France monte sur scène. Le batteur pose sa rythmique, un beat assez classique, sur lequel très vite se cale une basse minimaliste. La base rythmique, sommaire, ainsi posée, c’est avec une sorte de vieille vielle à roue que le troisième larron vient apporter ce qui peut s’apparenter à un instrument lead. Produisant un flux ininterrompu de sonorités aux limites de la dissonance, répétitives, telles des jérémiades tour à tour mélancoliques ou énervées, il apporte l’élément différenciant du trio. Car France (en provenance de la mégalopole Roanne, haut patronnage du rock français) produit un drone plutôt efficace et classique, décliné à l’extrême : le beat de batterie de ne flêchit pas pendant 45 minutes (ou en tout cas pas de manière perceptible), la basse roborative reste sur un apport mélodique limité à 1 ou 2 notes différentes (pour schématiser), le tout soutenant, imperturbablement, les stridences de la vielle du troisième larron. France a le mérite de proposer un drone dénué de machines, une sorte de version “analogue” de ce genre musical, complètement joué à la main. Le résultat apporte juste assez de lancinance groovy pour amener à une gentille trance, et l’intérêt du public est globalement maintenu sur la durée, ce qui en soit est une belle performance. Pas inintéressant…
Mais le public est venu pour Sunn O))), aucune ambiguïté. Tee-shirts, discussions, tout nous ramène à l’événement du jour : le choc de retrouver le mythique duo, tellement rare sur scène, en France, et en particulier à Bordeaux. Après une dizaine de minutes de machines à fumées qui crachent leurs volutes en silence, le groupe investit la scène comme toujours, en robes de bure, les uns derrière les autres, chacun se plaçant, dans la pénombre et la fumée, à leur instrument. Anderson (“stage right guitarist”) prend vite son rôle de lead, et évolue jusqu’au centre de la vaste scène mise à disposition du duo-quintette (3 musiciens accompagnent nos deux compères sur cette tournée). Étonnamment mobile, le 6-cordiste attire de fait les regards du public, d’autant plus que ses collègues sont complètement statiques, et perdus dans des nappes dense de fumées, à l’image de SOMA (“stage left guitarist”) bien calé à son poste, coincé entre ses retours et son clavier d’effets. C’est pourtant ce dernier qui mène la bataille ; perdu dans ses volutes, il organise les différents mouvements, maintient la cohérence de l’ensemble, et plus généralement tient la barre du navire.
Musicalement, dire que l’on est surpris serait aussi mensonger que stupide ; Sunn O))) fait du Sunn O))). Et ce soir, il le fait bien. La principale surprise tient à la teneur de la déflagration : moins pire qu’à l’habitude ! On a connu des sets d’une heure durant lesquels on sentait plusieurs de nos organes vibrer à des fréquences clairement anormales, nos jambes faiblir sous le coup, le front plisser sous l’effort que nos petits tympans ne pouvaient pas assimiler seuls. Sur sa totalité, ce soir, le concert est moins physique. Musiciens calmés ? Limitations sonores plus fermes ? Un peu des deux sans doute, mais une bonne part d’intention quand même.
Difficile de parler de set list avec un concert de Sunn O))). On capte des mouvements ici ou là qui nous ramènent ponctuellement à leur forme initiale, sur disque : il me semblera au fil du set entendre un peu de Black One, un peu de Flight of the Behemoth, quelques volutes du nouveau Life Metal (en particulier avec le déjà classique “Novae” dont plusieurs bribes sont disséquées ce soir, emmenées par des nappes de Moog qui se rapprochent de l’orgue emphatique de la version du disque)… mais rien n’est moins sûr ! 🙂 Puis dès que la situation devient trop stable, la paire de six-cordistes s’entend pour organiser la lente progression vers une nouvelle séquence, à travers un ou deux riffs vaguement dissonants, qui ouvrent un nouvel univers. Le public (un aréopage constitué de trve métalleux, jeunes et moins jeunes, étudiants, hipsters, …) sourit, globalement hébété et hypnotisé, certains ondulent gentiment, les yeux fermés… Le potentiel hypnotique du set joue à plein.
Le dernier tiers du concert est probablement le plus intéressant, introduit par une séquence calme (son clair, larmes de trombone, crissements de cordes, reverb a gogo…) avec quelques montées en tension écrasantes qui nous rappellent les sets les plus puissants du groupe. Ainsi amené, avec méthode, l’effet est décuplé et plusieurs fois on reste ébahi par le raz de marée. C’est aussi sur cette séquence que la basse se fait le plus entendre, ainsi que des apports instrumentaux plus décisifs et variés : le Moog de Tos prend une place de lead à plusieurs occasions, et le cinquième musicien joue du trombone à coulisse pour des apports stridents du meilleur effet. Le final au bout d’une heure et demie de set est étouffant et époustouflant.
On a même droit à un rappel d’une petite demi-heure, séquence de pur drone déstructurée, où le Moog est mis en avant, toujours sous la houlette d’un SOMA qui balance ses plans heavy à un public trop heureux de prendre une dernière rasade pour la route.
Sunn O))) est en très grande forme, et, sans parler de transformation, son évolution semble aller dans un sens particulièrement intéressant.