Réveil en mode festival, débarbouillage des carcasses, malbouffe de circonstance, débriefing complet de la journée de la veille sur un coin de parking en piétinant avec les potes, plein de boissons chimiques (pour être raccord avec le lieu et en forme jusqu’au bout de la night) et départ à pieds (nous sommes assez branchés sport au sein de la rédac’) pour une journée qui s’annonce des plus denses. Le soleil est même de la partie, la fête promet d’être folle avec plus de douze heure de riffs à s’enfiler d’affilée vu la non-superposition de performances artistiques qui nous convainc toujours autant.
MY HOME ON TREES
C’est peu dire que les yeux collent ce matin. La bouche est pâteuse et les sens retournés. Mais au diable la vieillerie et la gueule de bois ! Ici c’est le Up in Smoke et il n’y a, pour ainsi dire, aucune place pour se questionner sur le temps qui passe et ses méfaits sur la charpente osseuse. A tel point, que nous voici déjà devant les italiens de My Home on Trees la pinte à la main et les tympans prêts à en découdre. Le quatuor relève la lourde tâche d’ouvrir ce deuxième jour de festival avec un sang-froid certain et les pédales de fuzz au plancher. Même si musicalement les compositions semblent quelques peu linéaires, la frontwoman Laura Mancini fait feu de tout son coffre et sa puissance vocale pour offrir une entrée en matière honorable. Nous voici bien réveillés…
The NECROMANCERS
… en tout cas suffisamment pour apprécier l’arrivée sur la scène extérieure du seul représentant français de cette édition, j’ai nommé les poitevins de The Necromancers. Armés de leur premier bel album, nouvellement signés chez Ripple Music, on va pouvoir se faire une idée plus précise du combo. Ce dernier arrivant quasiment de nulle part, on pouvait légitimement se poser des questions. Bien vite balayées ma foi ! Malgré une entame un poil timide, le quatuor aura explosé les doutes en moins de triton qu’il n’en faut. C’est carré, massif, et mis à part des problèmes récurrents sur le volume de la voix (un écueil que l’on retrouvera le long des deux jours sur la scène extérieure), ça joue, ça a de la couille et du slip aux entournures. On sent que les jours précédents en compagnie de Monkey3 leur ont fait du bien à la mise en place. Les influences multiples du quatuor se jouent de nous et c’est un éventail de 30 ans de métal qui se déploie devant nos yeux tout rougeoyant. Bref, la place des français sur ce fest n’est pas usurpée et l’on vient de découvrir un fier représentant de la scène hexagonale. C’est d’ailleurs devant un parterre heureux et conquis, le poing levé, que les gonzes nous quittent après un set plus que réussit.
SATAN’S SATYRS
Tout enjoués par ce très bon set des français, on se dirige vers le premier concert de la journée prenant place sur la main stage. Satan’s Satyrs est manifestement un groupe qui divise au sein du public, si l’on en juge par les discussions de comptoir. En ce qui concerne votre serviteur, la cause est entendue : Satan’s Satyrs en live, c’est de la balle ! Forcément, il faut suivre le combo dans son trip pour adhérer complètement, faute de quoi l’on peut avoir l’impression d’être confrontés à une troupe de grands guignols. Mais la troupe de Clayton Burgess, par ailleurs le bassiste d’Electric Wizard (largement plus introverti dans ce contexte…), est à fond dans la mouvance vintage retro-hard rock, tendance fun fin des 70’s : débardeurs léopard moulants, rythmiques cavalcades, pattes d’eph’ et soli à gogo résument en gros notre affaire. Vous entretenez ça par un live show complètement débridé (mais sérieux et solide, c’est pas du Spinal Tap), des musiciens survitaminés, des titres percutants et une vraie sincérité, et vous obtenez l’un des moments les plus fun de la journée ! Donc on va arrêter les prises de tête, on se décoince, on sourit et on profite ! It’s all fun !
ZATOKREV
Retour en extérieur pour une sensation d’un tout autre registre. Ces régionaux de l’étape sont pour la première fois à l’affiche du festival ; nous concédons évidemment qu’il ne s’agit en aucun cas d’une formation de stoner certifiée ou labélisée, mais putain la fessée que nous nous sommes prise. Nous n’étions, par ailleurs, pas les seuls à goûter à la chose car bien que pas dans le style, les aguerris guerriers bâlois ont sacrément fait remuer les nuques devant la petite scène. Ils se sont fait plaisir et ont surtout fait un sacré plaisir au public qui a goûté à leur metal hyper sludge et foutrement pugnace. Le jeu de scène très rôdé et la maîtrise parfaite de leurs compos ont permis à Zatokrev de ramasser quelques suiveurs de plus à leur cause au passage. Une mention spéciale au métronome qui leur sert de batteur, lequel a emmené ses deux compères chevelus (et experts en danse de la nuque) ainsi qu’au gratteux sans cheveu, mais au pédalier de psychopathe, à un niveau ahurissant de violence qui a provoqué d’énormes turgescences dans les calbuts des Lourds de l’assistance. Merci Messieurs.
BEASTMAKER
Direction la grande scène pour s’acoquiner avec les californiens de Beastmaker. Et y pas à tortiller, le savoir-faire américain en terme de live c’est « queq’chose quand même ma bonne dame ». Et que j’t’harangue la foule juste comme il faut, et que j’te balance un riff hyper efficace pour commencer, et pif c’est parti pour du bon gros rock, bien hard, avec du solo tout suintant. Même péter une corde et la changer en 30 secondes semble faire partie intégrante du show. On ne s’ennuie clairement pas, la bière nous semble plus fraîche au fil des chœurs. Le trio finira de nous achever avec un duo “Voodoo Priestess” / “You Must Sin” qui nous laissera le sourire collé aux joues et la pinte à la main (encore ?! J’ai dû en reprendre pendant le set sans m’en rendre compte tellement c’était californien c’t’affaire!)
TONER LOW
Bon, là, clairement, on entre avec le groupe suivant dans de la joie plus introspective, dans le bonheur éthéré et lancinant, où prendre le temps est bien plus heavy que n’importe quel riff downtuned. Toner Low va nous offrir une véritable éloge à la lenteur où chaque note vous enveloppe, vous prend et s’insinue dans votre système respiratoire telle cette merveilleuse taf de beuh que vous venez d’inhaler. C’est les yeux fermés et le front limite collé à la scène que je me laisse envahir par le son Toner Low, une véritable découverte pour moi (mieux vaut tard que jamais me direz-vous), un voyage au pays de la musique physique, sensorielle. Le but ici n’est pas de faire étalage de son savoir-faire technique mais bien de provoquer, de faire réagir les sens du spectateur. Mission accomplie en tout point par le trio, jusqu’à l’apparition d’un crétin naturiste sur scène qui n’aura de cesse de nous montrer ce qui n’est clairement pas son profil le plus avantageux lors de ce deuxième jour. Il m’aura d’ailleurs bien pourri ce set et celui de Church plus tard. Un anus c’est marrant deux secondes, mais j’ai déjà vu l’intégrale du Seigneur des Anneaux et ça s’essouffle clairement sur la durée. Bref, Toner Low c’est la giga classe et peu de groupes arriveront à ce niveau lors du week-end.
SONS OF MORPHEUS
On commence à bien connaître ce trio helvétique qu’on a déjà vu en première partie de Karma to Burn et lors des Volcano Sessions cette année. Au programme ? Du rock plus que du stoner, mais gros et gras comme les gonades d’un taureau, du shred, du funambulisme de manche et là où quelques fois cet étalage pouvait passer pour prétentieux, force est de reconnaître que ce soir, sur la grande scène de la Z7 et profitant d’un système son adéquat, la formule des fils de fonctionne en plein. On se prend une énergie qu’on ne leur connaissait pas forcément, le public est réceptif et ça chaloupe dans la fosse. Rien de tel pour nous sortir de la torpeur léthale dans laquelle nous avait plongé Toner Low. Mission accomplie pour Sons Of Morpheus qui aura réussi à requinquer autant qu’une bonne grosse Wurst un soir de cuite.
CHURCH OF MISERY
On ne va pas se mentir, on vit un moment un peu paradoxal avec le set de Church of Misery : le groupe nippon est l’un des plus attendus du week-end, et pourtant… on craignait quand même le pire. Car oui, en quelques mois Tatsu Mikami a d’abord viré TOUS les musiciens du groupe, puis enregistré un (très bon) album avec une poignée de mercenaires du metal U.S., les a virés aussi, et a re-composé un nouveau groupe (version japonaise encore) pour partir sur les routes. Entre chaos, doute et envie, on se cale donc au premier rang pour voir arriver les très polis nippons. Ni une ni deux, les lascars dégainent l’une de leurs plus belles cartouches, “El Padrino” dès l’intro. Couillu… mais ça marche ! Très vite l’ambiance monte dans le public, bien aidée par un frontman exhubérant et théatral, et néanmoins impeccable vocaliste. Les titres défilent et la vaste assemblée réunie en extérieur en cette belle journée, sous un soleil couchant plein de symbole (amis du cliché, bonjour) déguste chaque morceau, alternant classiques et nouveaux titres (dont un “Make them die slowly” que l’on voit bien figurer pour longtemps dans la set list de référence du combo). Un spectateur en fauteuil roulant est hissé sur la scène pour une séquence qui passe en quelques minutes du moment émouvant au passage un peu lourd quand il est rejoint par le connard exhibitionniste qui a déjà sévi lors du set de Toner Low (et traumatisé quelques éminents représentants de notre estimée rédaction). Le groupe n’en perd ni sa bonne humeur (très communicative) ni sa concentration (ce guitariste est imperturbable) et termine son set carré en ayant convaincu les septiques et conquis le reste du public.
STONED JESUS
Difficile d’effectuer une rupture plus abrupte que celle de quitter les Nippons (pas mauvais) et leurs plans barrés sur la petite scène et se retrouver derrière les crashs de la grande scène pour le trio venu d’Ukraine. La bande d’Igor est de retour au Up In Smoke deux ans après sa dernière apparition lors de ce fest, mais sans avoir sorti de nouvel album puisque « The Harvest » était commercialisé quelques temps avant l’édition 2015. On concède que le show dispensé alors était particulier en raison des péripéties liées à un problème de passeport qui avait vu deux batteurs mercenaires venus leur prêter main forte. C’est sans grande attente que nous nous sommes radinés et avons suivi ce show durant lequel, comme sur toute cette tournée, le trio reprend en intégralité son album “culte” Seven Thunders Roar, par le menu. Encore plus en place que par le passé, les Ukrainiens occupent désormais beaucoup plus l’espace à disposition rompant un tantinet avec la focalisation totale que leur leader générait jadis de manière quasi unanime. Pieds sur les retours, danses envoûtées et forcément « I’m The Mountain » : la formule est sobre, mais elle est efficace. Les amateurs de sensation point trop forte en ont pour leur fric alors que les bourrins se tapent une spécialité culinaire locale en attendant la suite de la sauvagerie.
LOWRIDER
C’est un étrange mélange d’excitation et d’appréhension qui nous étreint au moment du set de Lowrider sur la petite scène du fest. Excitation car nous reste en mémoire leur concert mémorable au Hellfest, leur générosité et ces compositions magnifiant la fuzz depuis 20 ans ; appréhension aussi car nous revient en mémoire leur set pas glop au Desertfest de Londres et leur propension à capitaliser en ce moment sur un vieil album et ne pas se fouler pour sortir quelque chose de neuf. Et la nostalgie gâteuse est un mal insidieux qui ronge la scène stoner depuis quelques temps déjà. Les lumières baissent en intensité, y a d’la fuzz qui crépite dans les amplis. Boom ! “Caravan” en ouverture et c’est tout le Up in Smoke qui chavire. Ambiance totale, musiciens au taquet le sourire aux lèvres et cette impression que Ode To Io est un album taillé pour le live. Y a pas à tortiller, c’est efficace et le concert va être, pour moi, le meilleur de tout le festival. Les tubes s’enchaînent sans faiblir. Lowrider fait du Lowrider et c’est pour ça qu’on les aime. On ne leur demandera jamais de révolutionner le genre et telle n’est pas leur prétention. Petite sucrerie réservée à un public d’aficionados, le quatuor propose un nouveau titre inédit, mid tempo séduisant – à confirmer sur disque… Les guitares finissent de mourir sur “Lameneshma” et c’est toute une foule qui hurle sa joie. Un putain de concert, ouais. Y a du copeaux de crâne en bord de scène, des affaires éparpillées partout au sol, témoins de la violence du bonheur qui nous a assailli. Plus tard, au cours d’une discussion impromptue, Peder, le bassiste, nous avouera que c’est par crainte de décevoir qu’ils repoussent le prochain album sans cesse. Aucune velléité mercantile dans cette attente, le gonze à l’air aussi sincère que quand il joue, moi ça me suffit pour me convaincre.
ORANGE GOBLIN
Difficile de venir se placer après La Prestation des légendes venues du froid, mais on peut compter sur les Britanniques pour assurer (ils ont du métier les bougres). Ces types ne sont pas tombés de la dernière bécane et c’est clairement l’assurance de s’en payer une bonne tranche que de les voir sur scène ! On jappe donc d’impatience quand résonne la bande-son introduisant les Londoniens et on ne va – une fois de plus – pas être déçu. Le quatuor va envoyer du tout bon en dépassant son temps de jeu et Ben Ward, en maître de cérémonie impeccable, a une fois de plus dépensé une folle énergie pour enflammer le public qui s’était déjà cogné du riff depuis une tripotée d’heures ; bien évidemment, ça a marché et ça a été le carton plein du côté de l’audience qui en redemandait même (fallait voir le pit bouillonnant sur des brulots comme “They Come Back”). En envoyant le lemmyesque « The Devil’s Whip » en deuxième position, les Anglais ont vite mis les choses aux poings et par là même pas trop été desservis par la performance de la formation les ayant précédés. Ne prenant pas de réel risque question setlist (« Saruman’s Wish », « Quincy The Pigboy » ou « Red Tide Rising »), Orange Goblin nous a à nouveau confirmé tout le bien que nous pensons de cette formation dans la place depuis le début de l’ère stoner (ou presque).
WINDHAND
Headlinant la petite scène entre deux formations mythiques, les Ricains experts es-doom ont vu converger une foule compacte pour assister à leur sabbat même si les goblins avaient un peu explosé la montre. Le collectif de Richmond, Virginie, a ses fans et ceux-là se pressaient devant la scène pour se trémousser avec lourdeur sur la bande-son plombée qui allait être déroulée avec tout le savoir-faire qui a fait leur réputation (en plus que d’être signé chez Relpase ; ça aide aussi question notoriété). Un bémol toutefois au sujet de la qualité du son qui ne mettait pas assez en avant les parties vocales de leur frontwoman ; pas assez poussée, ses vocalises – certes bien hallucinées – se noyaient dans le magma sonore qui sert de terrain de jeu à ses beaux malades. Généreuse en groupes de doom, la programmation de la journée a carrément bien marché à Bâle et les aficionados de musique barrée en avaient pour le compte lorsque les Etasuniens ont coupé leurs amplis pour laisser place aux légendes vieillissante qui allaient se produire sur la main stage.
SAINT VITUS
Ne le cachons pas : quand on voit les papis Scott Reagers et Dave Chandler se préparer quelques minutes avant de monter sur scène, l’un vouté et l’autre marchant avec des béquilles, notre enthousiasme est un peu douché. Fast rewind quelques mois/années plus tôt : Scott Reagers est rappelé à l’arrache par un groupe en galère, victime d’une défection un peu brutale d’un Wino devenu persona non grata en Europe (et conséquemment au sein du groupe). Le bonhomme retrouve les planches après quelques décennies d’anonymat, et arbore son look de bon père (grand-père ?) de famille et un sourire de gamin. Les mois ont passé, et la crinière du vocaliste a poussé (pour un résultat un peu chaotique) et on les attend un peu au tournant. Autre surprise : exit le nonchalant Mark Adams à la basse, on retrouve le puissant Pat Bruders (Crowbar, Down…) à la 4-cordes. Dit autrement, ceux qui étaient restés bloqués sur la formation “classique” du combo en sont pour leurs frais : seul Dave Chandler répond présent ! Le groupe assume toutefois, et débite une set list presque exclusivement constituée de titres issus des albums de Reagers. Pas le choix le plus évident, le public d’aficionados étant largement constitué de fans de Wino (sauf Tatsu Mikami de Church of Misery, qui monte sur scène en joie, légèrement imbibé…), qui s’exprimeront d’ailleurs pleinement sur la conclusion avec les classiques “Look Behind You” et “Born Too Late”. Scéniquement, Reagers est bien dedans mais c’est encore Henry Vasquez, avec son kit à même le sol, qui emballe par son exubérance scénique et son aisance. Chandler fait du Chandler, Reagers fait le taf, Bruders est bien dedans en remplaçant (?) de luxe… Un bon set, sans flamboyance, avec un groupe pas si mal dans ses baskets, mais pas forcément non plus où on aurait aimé le trouver… (même si le Saint Vitus de nos rêves appartient au passé).
La journée se clôture gentiment et la tonalité de cette édition 2017 du Up in Smoke se dessine ou se confirme : quelque part entre générosité et épicurisme, baignant dans une ambiance bon enfant et conviviale, c’est cette année encore avec le cœur lourd que l’on quitte tout le monde et que l’on se remémore sur le chemin du retour la quantité impressionnante de concerts vus en deux journées, avec une programmation aux petits oignons, mixant découvertes et valeurs sûres. On signe direct pour l’édition 2018 !
Chris, Flaux & Laurent
———————— NOTRE VIDEO REPORT DU JOUR 2 ————————
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