Il est toujours difficile de se remettre d’un premier jour de festival. Malgré toute la bonne volonté du monde, les nombreuses bonnes résolutions (“jvais pas trop boire”, “jvais apprendre l’allemand”,…), il est finalement difficile de faire passer la barre qui nous éclate le front, celle qui vous dit “toi mon con, tu ne t’es pas respecté hier !”. Pourtant en ce 2ème round du Up in Smoke, il va falloir se requinquer, trouver les ressources nécessaires, parce que, on vous prévient, va y avoir du gros gros, du gras gras, du lourd lourd.
SPACE FISTERS
Et le premier sulfatage ne se fait pas attendre puisque le combo français (le seul sur cette édition) va nous ouvrir le fiacre en deux à grand coup de compo alambiquée. Car oui, les fulgurances stoner sont présentes chez le trio, elles permettent d’ailleurs de remettre un coup de boost au public qui répondra de plus en plus présent au fil des minutes. Mais ces fulgurances sont puissantes car elles sont mises en avant par l’amour de la déstructuration. Le trio y va de ces arythmies, puisant ses syncopes dans le math-rock, ouvrant sa musique à de plus vastes horizons. Les gonzes n’avaient pas joué le set depuis plus de quatre mois, et donc ? Bin rien, grosse perf. Une ouverture de 2ème jour parfaite. Respect.
SUN & THE WOLF
Après cette première prestation décapante, l’heure était venue de bouger nos popotins rebondis à l’intérieur de la salle pour assister à la première performance de la journée sur la grande scène. La chambre à coucher préférée des festivaliers orientés roots avait reprise ses allures de salle de concert baignée dans la pénombre et c’est le quatuor berlinois, auteur de « Salutations » cette année, qui a envoyé les premiers riffs saturés de la journée sur la Main Stage. Le rock – puisque c’est de ça dont il s’agit – aux accents à la fois indés et psychédéliques pratiqué par le quatuor teuton s’apparente par moments aux plans mi-seventies mi- alternatifs de Crippled Black Phoenix (vus cet été au Freak Valley et provoquant auprès du public les mêmes ressentis partagés). L’heure à laquelle se déroulait la performance et le style ni doom, ni stoner, ni toussa toussa n’a pas provoqué le délire auprès du public, mais certains – dont vos serviteurs – y ont particulièrement goûté. Une affaire allemande à suivre (pas comme les tribulations des bagnoles du peuple).
BLOODNSTUFF
Duo sur la petite scène en vue. BloodnStuff, c’est de l’américain, de la guitare loopée, de la batterie rentre-dedans et roule ma poule. Le style est efficace et direct, entraînant à l’image de ces 2 titres “Fire out the sea” et “Oh you petty failures”. Rien de bien novateur cependant et au bout de 4 morceaux la formule s’essouffle. Il faut de plus adhérer au chant “très américain” (normal me direz-vous) à classer entre Incubus et Fall Out Boy. Une semi-déception car le binôme joue juste et précis mais l’ensemble est un peu trop propret. Reste qu’une grosse baffe doom ou stoner cracra n’aurait pas servit le groupe suivant. On se dirige donc vers la grande scène, les sens ne demandant qu’à être chauffé à blanc.
MOANING CITIES
La bande de jeunes hippies débarqués de Bruxelles avait l’honneur de se produire sur la grande scène comme à Berlin lors de l’édition 2015 du Desertfest. Cette configuration s’avère très compatible avec le style pratiqué par ces francophones dont la performance n’aurait pas eu le rendu club que d’autres groupes – plus agressifs certes – avaient sur la Side Stage. La musique apaisée du groupe fonctionne plutôt bien dans la salle bâloise et visuellement le coup de la sitar en début de set ça pique toujours la curiosité des bipèdes peu familiers avec Moaning Cities. On ajoutera que visiblement ça la fait aussi d’avoir la batterie descendue de son podium – le groupe fera des émules par la suite – et une disposition à trois en ligne devant la batteuse aux pantalons de babas improbables. En quarante-cinq minutes la formation mixte est passée d’apaisée à délurée ! Le final furibard proposé par Moaning Cities a relevé sa performance et s’est inscrit comme une parfaite transition avec le duo mixte – et paritaire – qui lui succédera à l’extérieur quelques minutes plus tard.
POWDER FOR PIGEONS
Cohérence du running-order donc. Le duo australien déboule avec un stoner binaire très teinté de grunge et efficace. On commence à connaître la paire de zicos, ces derniers ayant posé leurs riffs à carreau au Rock in Bourlon ou au Crystoner Fest cette année. S’abat donc sur nous une set-list seattlesque aux riffs inspirés. Le chant est maîtrisé, et l’unité présente. On reste tout de même sur la même impression qu’avec BloodnStuff. La faute cette fois à un son moins calibré en façade, une batterie un peu linéaire et un manque de prise de risque. La musique est efficace, manque un peu de folie tout de même. La gymnastique vous est maintenant connue, vos gentils reporters tournent donc l’arrière train vers la grande scène.
MARBLEWOOD
Trois à la suite comme dirait l’illustre Julien ; trois formations intégrant autre chose que des couillus poilus se seront succédé en ce samedi après-midi dans la pas si progressiste que ça suisse alémanique (il n’est pas inutile d’étaler ici notre culturisme en informant la communauté stoner que les femelles n’ont le droit de voter partout en Suisse que depuis 1990 ou nonante comme on dit par ici). Le trio zurichois (c’est en Suisse si jamais) se pointa sur scène à l’heure de la collation (qu’est-ce qu’on peut bouffer comme saucisses par ici) et n’était clairement pas attendu. Dommage pour eux car leur style – certes un poil redondant – très groovy et pas bourrin pour un poil de cul n’a pas contribué à rameuter la foule à l’intérieur. Ni la disposition des membres alignés au plus proche du public, ni la batterie à paillettes et ni la charmante bassiste foutrement efficace n’ont pu inverser la tendance en matière de fréquentation. C’est pas franchement mérité pour ce tiercé empreint d’un style proche du jam, mais c’est ainsi et après le temps de jeu accordé le groupe a quitté la scène alors que le public surexcité se pressait contre les barrières de l’estrade extérieure.
BELZEBONG
Voilà, donc à ce moment, l’orga du Up in Smoke a dit “stop à la finesse, on va coller les polonais sur la petite scène histoire qu’ils roustent bien l’assistance comme il faut”. Mission accomplie, Belzebong balance son doom/blues/instrumental/opiacé, déclenchant un va et vient langoureux et collectif des nuques de l’assistance. Baigné d’une ambiance verte, le quatuor récite ses odes sabbathiennes pour le plus grand plaisir des afficionados du genre, assénant un rythme bluesy gros “comme ça”, déclamant l’éloge de l’impact comme personne. Dans Up in Smoke, il y a “SMOKE”. Dans Belzebong, il y a “BONG”. Le résultat est un aigle poilu (oui oui) qui plane à 10000. On est bien là. Allez ! Saucisse !
SAMSARA BLUES EXPERIMENT
Arrive le moment de déception. L’effet que donne le live de Samsara est le même qu’au Hellfest de cette année. Une impression de gâchis tant le groupe allemand a sortit de beaux albums, inspirés, inspirant mais où la perte de deuxième guitariste se fait Oh combien ressentir. En effet, là où devrait se trouver une base rythmique et pleine lors des solos, n’existe plus qu’une basse insuffisante. Dès lors chaque titre comporte un instant de creux faisant sortir le public du mood. On sent le soliste emprunté, gêné. Emprunté sur son clavier aussi. Gâchis oui, car les bougres ont du talent à revendre. Une finesse d’écriture qu’on trouve rarement, un savoir-faire dans la composition et l’exécution. Ce soir on est juste triste de voir le groupe tourner en rond et se perdre dans cette configuration.
MONOLORD
L’insoutenable légèreté de l’être. Parfaitement. On avait besoin d’une claque, d’un seau de saindoux après Samsara. Monolord l’a offerte. Sans fard. Le trio nordique s’est appliqué à alourdir l’ensemble de l’assistance par un quintal de notes grasses. La recette n’est pas originale mais la force du combo réside dans le fait de la suivre à la lettre. Une guirlande de 5 à 7 notes sur lesquelles on applique tous les effets inhérents au genre. Il n’y a qu’à prendre le “Empress Rising” monumental dont nous a gratifié le trio pour s’en rendre compte. 15 minutes de fuzz lourde, de wah malsaine, de supplications ozzyesques où l’étouffement confine à la jouissance. Un set gros comme un poing laissant l’arrière-train chancelant, les jambes fébriles et le souffle court. Chapeau bas messieurs.
MY SLEEPING KARMA
Après cette énième incursion en territoires heavy, l’heure était venue de rejoindre le parterre de la Main Stage pour le quatuor allemand transcendantal que nous adorons tant. Ces quatre chevaliers de l’apocalypse trépignaient d’attaquer leur show et ils n’étaient, de loin, pas les seuls à se réjouir. Seppi attaqua le show d’entrée en se trémoussant comme un beau diable et il ne cessa de se démener durant l’heure de jeu qui leur était accordée. Ce guitariste talentueux est de plus en plus extraverti ; il fini le set par malmener les consoles de son acolyte Norman en arborant un large sourire qui en disait long sur la satisfaction du bonhomme après sa performance de toute grande classe.
La formation instrumentale aura communié avec son public durant la totalité de son show et Matte empoignera le micro à quelques reprises pour communiquer verbalement dans la langue de Johann Wolfgang avec l’auditoire (qui était plutôt bien garni). Ce show constitua un des grands moments de ce millésime du UIS. Les compositions abouties de My Sleeping Karma – auteur cette année de l’extraordinaire « Moksha » – semblent être passées de lubies d’extra-terrestres au rayon des classiques du genre que nous vénérons. La virtuosité de ses membres ainsi que leur précision – chapeau à Steffen le métronome – alliées à leur créativité en ont fait, au fil des années, un classique du genre.
Cette deuxième prestation bâloise pour un Up In Smoke nous aura permis d’entendre des titres anciens, du temps où ce groupe hantait les petites scènes d’événements de ce type, et aussi du neuf issu de leur cinquième pièce. Une mention spéciale aux perles jouissives que sont « Ephedra » et « Psilocybe » tirées toutes deux de la magique quatrième pièce « Soma ». Une ovation générale salua les Teutons au terme de leur set et ce n’était que mérité. Mais nous n’eûmes guère le temps de nous pâmer durant des plombes car des choses plus lourdes reprenaient leurs quartiers au dehors et le hard ça n’attend pas !
BLACK RAINBOWS
L’efficacité. Le back to the future de la journée. Les italiens remettent ce soir la fuzz au centre du village, convoquant l’esprit du MC5, de Hawkind et Fu-manchu en une ribambelle de riffs stoner. Le trio emporte un public heureux, venue en masse pour l’obscure groupe américain en tête d’affiche. Les titres s’enchaînent, une bonne part issus du dernier skeud en date, Hawkdope. On ferme enfin les yeux. Se laissant porté par les compos simples et efficaces des italiens, les solos rock’n’roll. Ouais, il sont bons ces déliés, libres. La guitare hurle ses envies et finalement il est là le bonheur du stoner. Une bière fraîche à la main, entouré de potes, à écouter du son qui ne s’emmerde pas, ne se prends pas la tête. Merci messieurs pour cette grosse bouffée d’air frais ! Place maintenant à la dernière claque du festival. Je vous propose une dernière fois de tourner les talons vers la grande scène de la Z7 messieurs dames.
MELVINS
Bam ! Les Melvins – aussi pressentis pour d’autres événements mondains de l’automne stoner – étaient la tête d’affiche de cette deuxième et – déjà – dernière journée de festival. La grosse foule a (de manière fort étonnante) attendu sagement le milieu de la nuit pour se taper une bonne tranche du phénomène musical étasunien. La formation à géométrie variable n’a plus grand chose à prouver à qui que ce soit et elle peut se targuer de faire partie des références majeures de nombreux bâtards de la grande et belle famille du rock. Il ne s’agit clairement pas d’une formation stoner pur sucre (n’en déplaise à certains), mais leur présence sur l’affiche ne tient pas non plus de l’acte obscène voire iconoclaste. De ce grand fatras lorgnant vers le génie absolu, deux batteries ont été extirpées pour une formation à quatre orientée Big Business.
Les deux kits de tambours ont été placés de manière centrale sur la scène et, après une intro digne des lubies de ce culte, débarquent un fakir à la basse qui tiendra le flan gauche et King Buzzo affublé de sa robe dans la plus pure tradition des illuminati sur la droite. Ce maître de cérémonie, à la capillarité aussi délirante que sa musique, va mener le pow-wow d’une heure et demi durant lequel les batteurs ne cesseront presque jamais leurs martèlements tribaux. A quatre chanteurs, la formation va foutre un boulet énorme et terminer de la plus belle des manières ces festivités. Ces lascars ont sacrément du métier : ça se voit et surtout ça s’entend. On passera des plans à la Black Sabbath aux chants scouts avec la basse brandie de manière belliqueuse en frisant la transe dans le public. Quelques crowdsurfing des premiers rangs viendront même compléter le show intense proposé sur scène.
Les percussions omniprésentes s’arrêteront lorsque Buzz aura rangé son instrument (rapidement lustré par un tech à l’affût) et que l’enturbanné aura clôt de belle manière ce show en s’adonnant à ses vocalises – soutenues par une reverb impressionnante – depuis la foule. Il nous faudra ensuite plusieurs heures pour nous remettre de cette performance, extirper de nos têtes la masterpiece « Youth Of America » et effacer de nos visages des sourires béats dans le prolongement desquels coulait un léger filet de bave.
Voilà, le Up in Smoke cuvée 2015 est terminé. Ce fut intense, avec des gros hauts et des petits bas. Ce fut saucisse, avec un personnel de la sécu toujours aussi peu souriant et une orga toujours au poil. Ce fut fuzz, avec des performances de hautes volées et des sérigraphies de Elvisdead toujours classieuses. Familial, amical et intime, le Up in Smoke sédentaire se démarque vraiment par son identité. Et puis, vous en faites ce que vous voulez, mais Electric Wizard est annoncé pour 2016. Voilà. Bisous les loulous.
Flaux et Chris
Bravo pour ces chroniques, que je partage dans l’ensemble !! juste une toute petite rectification : POWDER FOR PIGEONS avait été pressenti pour le CRYSTONER SHOW mais n’y a pas joué finalement !! personnellement, j’ai trouvé la performance des MOANING CITIES tout à fait exaltante (les ayant vus trois fois en l’espace de 6 mois !) et c’est vrai que le personnel du Z7, notamment ceux de la garde-robe sont tout sauf sympa, souriant et coopératif ! les mecs de la sécurité étaient en revanche assez sympas et conciliants !! vivement l’année prochaine et que ce fut bon de revoir la grande famille stoner !
Merci pour la rectification 😉 J’étais persuadé qu’ils étaient passés. Mea Culpa et oui, c’est toujours bon de voir des chapeaux amicaux et cette grande famille de bourrins cools !