La tendance est là, il ne s’agit pas d’une mode, ni d’un revival : à n’en pas douter, le Glazart est ce soir le lieu de rassemblement hippie parisien. Tapis d’orient, bâtons d’encens, lampe à lave projetée sur la grosse caisse de la batterie et sur écran géant… j’aperçois même un t-shirt “Don’t worry, be hippie” ! Les quatre groupes présents (dont deux français et un suisse), avec chacun une identité propre, ont quelque chose en commun : la même intensité sonore et visuelle, au point de générer l’attraction de certains phénomènes atmosphériques, telle la tempête tropicale Nadine qui fera des siennes sur la scène durant toute la soirée. Quatre groupes aux qualités musicales indéniables, mais aussi et surtout des qualités humaines, ayant tous manifestement l’envie de partager avec le public des instants véritablement exceptionnels. Quel que soit le talent de ceux qui les composent et quelle que soit la manière dont ils l’expriment, les groupes présents dégagent quelque chose de beau, de grand et de fort ; ils ne sont pas non plus dénués d’une certaine noblesse, et ce n’est pas un hasard car dans ce temple où est célébrée ce soir une messe nocturne, véritable black sabbath, ils attestent tous à leur manière de l’héritage et de la continuité des Seventies ; et ce quelque chose a un nom : ça s’appelle le rock n’roll.
Grandloom démarre les hostilités dès 19h00 alors que les infos sur Facebook annonçaient 19h30, et l’intégralité du public n’est donc pas encore arrivée. Mais peu importe pour les allemands de jouer devant 200 ou 2000 personnes : Le groupe se donne à fond avec une intensité peu commune, et un son ENORME, enchaînant les titres sans laisser aucun répit. Une fois l’intégralité de leur album lancée sur les chapeaux de roue, ils ne s’arrêteront qu’une demi-heure plus tard, imposant un set carré et sobre, de l’énergie pure portée par des lignes de basse totalement déjantées (“Larry Fairy”), des riffs furieux (“Swamp”) et psychédéliques (“Paula’s Voodoo Groove”). Une prestation qui confirme le statut de Grandloom comme l’un des plus grands groupes stoner du moment.
Abrahma prend la suite et c’est une grosse claque ! Le public continue d’affluer, l’ambiance n’est plus la même : dès les premiers accords, c’est le feu aux poudres. On se demandait ce que valait Abrahma sur scène, après la parution de leur premier album (vendu 10 Euros sur place), et bien tous ceux qui étaient là ce soir ont saisi la différence : Abrahma est un groupe qui prend toute sa dimension en LIVE, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. De l’aveu même du guitariste (Nicolas Heller), le groupe n’a pas forcément eu le temps de trouver exactement LE son (pourtant déjà énorme !) lors de l’enregistrement de l’album, le live offrant l’occasion de forger mieux encore l’identité musicale d’Abrahma. Ce soir, le son est plus aérien, plus ample, moins “dark” que sur l’album, et du coup, les compos paraissent plus subtiles et gagnent en intensité. La puissance qui se dégage du disque est encore amplifiée sur scène, où la voix de Seb Bismuth, plus psychédélique, est lancée comme une incantation, en communion avec le public. La présence charismatique du chanteur-guitariste fait son effet, immédiat et sans concession : le public réagit au quart de tour et se lâche. La complicité entre les musiciens et le contact avec la salle sont vraiment forts, le plaisir ressenti est partagé, et le groupe en est manifestement satisfait. L’album dans son intégralité ne sera pas joué ce soir, les 71 minutes qu’il contient débordant allègrement le planning prévu par les organisateurs. Abrahma est un groupe à l’avenir prometteur dont on va entendre parler, c’est certain.
Glowsun n’est pas encore apparu que déjà l’atmosphère qui s’installe indique clairement que l’on ne va pas avoir à faire à un groupe ordinaire. Tapis oriental, bâtons d’encens au bord de la scène… Ambiance feutrée qui donne le ton pour la suite. On pourrait supposer qu’il s’agit là de simples artifices destinés à donner une certaine image orientée peace and love, alors qu’il s’agit d’un rituel qui est tout sauf désuet ou anodin : il est même émouvant, quelque part, il participe à la fête – car il s’agit bien d’une fête – avec le public, véritable filiation avec Led Zeppelin et les Seventies. Ce n’est pas de la nostalgie mal placée, ni l’apologie d’un “Âge d’Or” qui serait de retour, mais une continuité, qui s’inscrit dans l’Histoire du rock et pour certains, même, dans la Légende. Glowsun est certainement l’un des groupes français capable d’y entrer. Et puis le show démarre : la guitare semble vivante et lancer des cris venus du fin fond de l’espace ou de je ne sais quelle dimension, mais ce qui est certain, c’est que ça vient de sacrément loin ! La qualité du son est extraordinaire, Johan Jaccob s’en délecte, nous l’offre, nous la fait partager, s’en amuse avec son complice Ronan Chiron, impressionnant à la basse. Dès les premières mesures, le groupe génère une ambiance totalement irréelle et hallucinée, qui s’amplifie avec l’enchaînement d’autres compos certainement parmi les plus fortes de la soirée. Mais le spectacle n’a pas encore commencé : c’est quand l’atmosphère planante et les chants électriques deviennent tempête, puis orage, que le chanteur se lâche : le show est astronomique ! Comme ses acolytes, Johan Jaccob se donne à fond, fait corps avec son instrument et la musique et il s’éclate, en accomplissant ce que l’on pourrait qualifier une sorte de danse chamanique vraiment impressionnante.
D’autres personnes arrivent encore, certaines sont même munies de sacs à dos : on vient de loin pour voir Monkey 3 ! Dommage tout de même d’avoir raté l’occasion de voir les groupes précédents… Les fans sont venus en masse pour leur groupe favori. Là, plus question de tapis ni d’encens : à part le chapeau que porte Picasso, le bassiste, les rituels ont cédés la place aux plages rythmiques psychédéliques et aux sons électroniques distillés par le synthé, participant pour beaucoup à l’ambiance si particulière de Monkey3. Le seul artifice de la soirée est de taille : la sono est soudainement poussée à fond, au point que les sons graves fassent “drum n’ bass”, et rendent l’écoute finalement insupportable, même du fin fond de la salle (je ne porte jamais de bouchons dans les oreilles, par principe), ce qui incite un certain nombre de personnes à sortir fumer une cigarette ou respirer un peu d’air frais, d’autant que la salle est surchauffée. Les fans des Monkey3 se sont déplacés, mais pas seulement : une armada de photographes fait également son apparition, servant de couverture médiatique singulièrement incomparable avec celle des autres groupes. Tout comme le niveau sonore artificiellement augmenté, cela participe à la volonté manifeste de démontrer que Monkey 3 est un groupe “au-dessus du lot”, alors que techniquement et musicalement, il me semble que d’une part, la comparaison n’a pas lieu d’être, chaque groupe ayant en effet démontré ce soir une identité bien distincte, avec ses propres caractéristiques, et que de toute manière, au-delà de toute comparaison, il est injuste qu’un groupe, quel qu’il soit, bénéficie des faveurs de l’organisateur avec de tels procédés (passer en dernier, boostage en règle de la sono, déferlement de photographes). Bref, une attitude pour un groupe manifestement (auto ?)proclamé “star” au détriment des autres excellents groupes de la soirée, au moins aussi bons. Sans cette surenchère exagérée de puissance sonore, la reprise de “One of These Days”, de Pink Floyd, aurait pourtant valu à elle seule le déplacement.
Brad Burroughs