La nouvelle tombait au moment où cet album atterrissait dans les bacs: Hypnos 69 a jetté l’éponge suite à des dissencions internes relatives à la volonté de certains membres de limiter leur investissement dans le groupe. Voir un bon groupe disparaître n’est jamais agréable, d’autant plus que les Belges commençaient à récolter les fruits d’une dizaine d’années passées à se remettre continuellement en question pour évoluer, empruntant des voies que peu de groupes stoner auraient osés explorer, quitte à délaisser les recettes faciles à base de riffs recyclés. The Intrigue of Perception, l’album précédent, en avait déconcerté plus d’un par ses aspects jazzy un peu mou du genou qui occultaient les talents de guitariste sulfureux de Steve Houtmeyers. Nous n’étions pas encore prêt à un changement de cap aussi brutal mais après coup, on comprend que cet album était une étape obligatoire avant la réalisation de ce qui se révèle comme le véritable chef-d’œuvre d’Hypnos 69.
The Eclectic Measure est un album ambitieux en bien des aspects. Sur le fond d’abord, les textes traitant de l’éternel combat entre le bien et le mal sur fond de mythes en se basant sur « The Seven Sermons to the Dead », un ouvrage de Carl Jung (père de la psychanalyse moderne aux côtés de Freud) qui traite de la quête de la connaissance de soi-même à travers l’analyse de son subconscient. La première règle de cette démarche consiste à tous détruire dans le but de recréer, ce qu’Hypnos 69 applique à son écriture pour nous livrer un album d’une richesse incroyable qui n’a plus grand chose à faire avec le stoner et qu’on pourrait qualifier de rock progressif même si le terme reste vague. La liste impressionnante des instruments utilisés (outre les instruments classiques, on retrouve évidemment le saxo mais également de la clarinette, du hammond, du moog, du fender rhoads, du mellotron …) offre des arrangements inédits qui, et c’est leur plus belle réussite, ne viennent jamais encombrer des morceaux facilement assimilables. L’album se répartit entre titres alambiqués et longs intermèdes plutôt acoustiques qui lui confèrent une beauté sombre et envoûtante, ce qui n’empêche pas l’électricité de reprendre ses droits à maintes reprises. La construction de pièces comme I and You and Me pt.2 ou Ominous force le respect en faisant s’imbriquer des éléments à priori inconciliables pour un résultat tout en fluidité, une caractéristique de l’album qui fait qu’il ne peut s’écouter que dans son ensemble, même si chaque titre prit indépendamment relève du tour de force. En dehors du soin particulier apporté à l’écriture de titres qui méritent une écoute attentive pour dévoiler tous leurs secrets, on assiste à un véritable florilège de la part de Steve Houtmeyers. Que ce soit dans les riffs immédiats, les notes pures ou les solos magnifiques, la palette de textures et d’émotions délivrées est immense et tout frôle ici la perfection sans jamais verser dans la démonstration technique. Les autres ne sont bien sur pas en reste, la rythmique imaginative débordant largement de son rôle de simple faire-valoir pour un guitariste inspiré tandis que le saxo, très judicieusement utilisé, soutient les parties de guitare qu’il vient doubler lorsqu’il ne dialogue pas avec celle-ci comme sur The Antagonist, un des titres les plus directs de l’album.
Ceux qui ne jurent que par les brûlots de trois minutes expédiés avec rage resteront évidemment sur leur faim, The Eclectic Measure étant le genre d’album qui demande un minimum d’effort et d’ouverture d’esprit même s’il comporte son lot de passages imparables. Par contre, il fait partie de ceux dont on ne se lasse pas après quelques écoutes et qu’on se plait chaque fois à redécouvrir. Reste à espérer qu’il ne constitue pas le testament définitif d’un groupe qui a encore beaucoup de choses à dire.
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