Ahab – The Boats of The Glen Carrig


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Avec un genre aussi codifié que celui du funeral doom, il n’est pas chose aisée d’éviter l’écueil de la répétition, de la standardisation, bref, de l’ennui. Les allemands d’Ahab, experts en navigation et équipés de leur meilleure boussole ont su habilement éviter cette regrettable trajectoire, grâce à un savoir faire original. Vouant une véritable fascination pour l’univers marin, à tel point que le groupe se définit comme pratiquant de « nautik doom », Ahab nous propose depuis ses débuts des concepts albums basés sur des récits de ce genre. Melville et son Moby Dick évidemment, Edgar Poe sur The Giant, et William Hope Hodgson pour ce nouveau The Boats Of The Glen Carrig, dont le titre est entièrement tiré d’un texte de l’auteur. Ce roman d’horreur fantastique nous relate les pérégrinations d’un groupe de naufragés devant faire face à diverses monstruosités océaniques et calvaires marins, du genre pieuvre géante tapie dans l’ombre qui ne se contentera pas d’un petit jet d’encre si on vient l’emmerder. C’est installé dans cette ambiance sympathique et fanfaronne que l’on se lance dans l’écoute du dernier Ahab.

Avec The Giant sorti en 2012, le groupe avait rompu avec son funeral doom d’origine en ajoutant de nombreux passages purement atmosphériques et en atténuant l’envergure massive des riffs, ce qui avait hérissé le poil des premiers fans doomsters. Pourtant, le groupe avait insufflé une vraie bouffée d’air frais à sa musique. L’inquiétante créature sous-marine vivant jusqu’ici dans les eaux profondes est alors devenue amphibienne, et s’est mise à remonter de temps en temps à la surface pour pouvoir aérer son doom pachydermique, le sauvant de la noyade dans les eaux de la lassitude. C’est donc un Ahab plus mélodique, moins monotone mais aussi moins lourd que l’on avait eu le plaisir de découvrir sur cet album, qui nous avait mis l’eau à la bouche – notez la parfaite adéquation de l’expression – pour la suite des événements.

Dès l’écoute du titre inaugural, « The Isle », on comprend rapidement que l’album se situe dans la pure continuité de son prédécesseur. Pas de retour aux origines avec un doom lourd et pesant, mais une volonté de poursuivre la voie entrouverte sur  The Giant. On retrouve donc la même formule gagnante, faite de succession d’ambiances planantes survolées par un chant clair, à un growling posé d’épais riffs balançant du steak (de thon). En somme, nous soufflera Lucas élève en classe de CM1, la parfaite métaphore du calme olympien des eaux et de la tempête. Le morceau suivant intitulé « The Thing That Made Search » nous fait languir plus de trois minutes sur le même schéma que précédemment, avant de décoller et de nous offrir un riff sincèrement jouissif porté par un chant guttural en pleine forme. Force est de constater qu’Ahab excelle dans ses moments de déchainement mais semble peiner un peu plus lorsqu’il s’agit de planter un décor onirique et rêveur. Ces passages atmosphériques construits autour de quelques arpèges farcis de reverb et de delay à en exploser, souffrent parfois d’une simplicité excessive et d’un son bien trop mielleux, à la limite du niais. C’est frustrant, d’autant plus que l’on sait que le groupe est capable de bien mieux, et qu’il pourrait nous offrir un bien plus beau voyage. Surtout avec la somptueuse voix claire de Daniel, si reposante. « Red Foam (The Great Storm) », comme son nom l’indique, est là pour nous secouer et c’est les bras grands ouverts que nous l’accueillons. Sur ce morceau le plus rapide et le plus court jamais composé par le groupe, on se laisse volontiers tabasser par les méchantes vagues aux lames acérées. Ahab tente ici une petite incursion doom sludge que l’on commençait déjà à fleurer sur The Giant, et c’est loin de déplaire.

Passant d’un extrême à l’autre avec joie, « The Weedmen » est le morceau le plus lent et long du groupe. On s’approche du Ahab des débuts, où le tempo sous Lexomyl, la résonance titanesque des guitares et une basse à faire trembler le plancher océanique esquissent une parfaite ambiance de fin du monde. Dans cette mer de désespoir, de petites accalmies viennent nous trouver de manière inattendue. Un lointain larsen, un accord étincelant, une batterie assagie qui retient ses coups… Ces petits passages sonnent juste et ne dénotent pas pour autant avec l’ensemble, contrairement aux moments durant lesquels le groupe s’essaie et se vautre dans un excès de sentimentalisme où le charme opère difficilement. Le dernier titre, « To Mourn Job », nous le prouve encore une fois. Le groupe devrait faire preuve de plus de retenue ou de finesse quand il s’agit de calmer le jeu, au risque de devenir grossier et d’abimer la cohérence à son œuvre. Ce morceau nous permet en tout cas d’apprécier la petite barbichette de Kerry King que l’on aperçoit discrètement pointer derrière le cabestan. Le groupe est définitivement doué pour chiner le bon riff.

Écouter un disque d’Ahab reste une expérience sensorielle particulière. L’approche de la composition par la littérature altère la musique, elle la charge d’émotions, d’images, de bruits, d’odeur. Ahab utilise les mots des livres pour assoir une ambiance très prenante et faire voyager le plus loin possible. C’est ce qui fait la force majeure de ce groupe et qui rend son écoute toujours  riche en émotion. The Boats Of Glen Carrig ne présente aucune prise de risque particulière par rapport à son ainée, et possède même quelques imperfections pouvant parfois lasser l’auditeur. Mais il n’échappe pas pour autant à la règle : quiconque mettra la main sur ce disque sera fatalement projeté au royaume de Poséidon. Et rendre visite aux Dieux, ça ne se refuse pas.

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