Même si les bases du projet sont très explicites (les noms des deux formations le composant figurent dans son titre) rappelons qu’il s’agit ici du volume II d’un partenariat dont le premier disque est sorti il y a cinq ans maintenant. D’un côté : Bell Witch, le duo à l’origine de l’incontestable pierre angulaire du Funeral Doom, avec son écrasant Mirror Reaper en 2017 (on ne vas pas vous en ressasser les tenants et aboutissants, et on vous encourage à vous pencher sur la question si vous êtes passé à côté…). De l’autre côté, un projet musical « one man band », Aerial Ruin, derrière lequel se cache Erik Moggridge, non seulement un ami de longue date de Bell Witch, mais surtout un partenaire de composition de toujours pour le duo. Dès lors, il faut appréhender ce projet partagé comme la volonté commune de faire émerger une tierce entité musicale de la part de ces musiciens.
A l’image du Volume I, la production commune de ces deux entités musicales produit une musique qui se situe… pile entre les deux ! Pour faire très schématique, Stygian Bough repose sur une base doom lente et un travail d’écriture très élaboré (la marque de Bell Witch), et y injecte des sonorités plus aériennes (aux influences folk au sens pur, bien loin des clichés de la guitare sèche au coin du feu), mélodiques, un chant clair, et des thématiques plus mystiques (des apports liés à l’entité Aerial Ruin).
Le résultat est donc une musique moins introspective et oppressante que le Funeral Doom très sombre de Bell Witch, mais plutôt un doom mélodique, très lent et souvent mélancolique, incarné ici sur quatre titres massifs (entre 11 et 19 minutes).
Même si l’on est prévenu, pourtant, la première mesure (et même les premières secondes) du disque sur « Waves Became the Sky » a failli nous sortir complètement du projet : une progression mélodique sur trois notes (riff ?) avec un chant en harmonie aux atours quasi-cléricaux… les clichés les plus caricaturaux et éculés sont là, jetés en pâture aux chroniqueurs blasés qui n’aura pas à en écouter plus pour classer le disque. Avec force abnégation, on pousse un peu, pour prendre la juste mesure de l’objet. Et autant prévenir tout de suite : il faut vraiment écouter copieusement le disque pour en appréhender la teneur ; on vous le dit souvent, mais c’est, ici plus qu’ailleurs, primordial. Sur ce premier titre par exemple, même si la trame mélodique est la même pendant douze minutes (les mêmes notes), les variations sont aussi nombreuses que subtiles, progressivement amenées, avec en particulier une transition en milieu de titre, pour préparer un dernier tiers qui, s’il n’est pas cataclysmique non plus (on est dans le monde du pas feutré sur un lit de décibels), propose une toute autre densité.
Chacun des titres a sa propre touche, développant son ambiance propre. On mentionnera notamment « King of the Wood », avec sa première moitié majestueuse, où les harmonies soutenues par le jeu de basse 6-cordes de Dylan Desmond font des merveilles, et sa seconde moitié plus sombre et complexe. Enfin, après un « From Dominion » moins ambitieux (un peu ampoulé dans son interprétation, surtout pour son segment central très aérien et sa conclusion) mais néanmoins efficace, « The Told and the Leadened » vient clôturer avec majesté ce disque : au long de ses 19 minutes, il prend l’auditeur par la main et l’emmène dans les méandres les plus sombres (son premier tiers, en gros), chaotiques ensuite, avant de faire jaillir la lumière (autour du second tiers) pour enfin le lâcher, inquiet, dans un environnement incertain voire agressif et hostile. Ça a l’air cliché ? Écoutez, vous verrez.
En conclusion, ce rappel, primordial : ce disque se digère TRÈS lentement. Il faut lui consacrer du temps, pour progressivement lui faire confiance, se laisser amadouer puis envoûter, voire hypnotiser. Il faut aussi le faire bénéficier d’un système sonore correct, pour valoriser le travail de production remarquable d’un autre ancien partenaire, qui fait son retour dans l’équation : Billy Anderson. Le dispositif instrumental a beau être simple sur le papier (une guitare, une basse, une batterie), leur enchevêtrement, plus ou moins complexe, et plus ou moins dense, leurs sons (acoustique, saturé, en solo ou rythmique…), l’articulation des séquences (avec un rôle décisif à nouveau du discret mais prodigieux batteur Jesse Shreibman), et le jeu sur les lignes de chant (clair, harmonies…) rendent l’écoute au casque passionnante. Bref, un disque compliqué à appréhender, difficile à catégoriser, mais qui saura ravir les audacieux – à l’image de son prédécesseur.
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