Le dernier album de Bell Witch, Mirror Reaper, avait littéralement terrassé son monde en 2017, redéfinissant le funeral doom dans son sens le plus pur et le plus littéral, proposant une pièce monumentale marquée de bout en bout par le décès de son batteur Adrian Guerra. Dylan Desmond s’était alors adjoint les services de Jesse Schreibman pour re-constituer et refonder un duo basse-batterie dans la continuité. Eprouvant, puissant, le disque a posé un jalon difficile à surpasser. Quand ce nouveau disque a pointé le bout de son nez, dans une discrétion absolue (rendu disponible directement, sans vraie annonce promo préalable) on s’est donc naturellement jeté dessus. Vu comme la première pièce d’un triptyque, The Clandestine Gate se compose d’une seule plage de… 1h23min, soit très précisément la même durée que Mirror Reaper – encore une inclinaison à appréhender ce nouveau disque dans la continuité…
Problème : on avait oublié que dans l’intervalle (six ans, quand même…), le duo a vécu, s’est construit en tant que binome, a vécu le confinement et autres oyeusetés… et surtout s’est engagé dans une parenthèse musicale dans le cadre du projet Stygian Bough, avec leur ami Erik Moggridge, projet dans lequel leur musique se mélait à la tendance folk mélancolique de Moggridge pour un résultat forcément moins étouffant, plus mélodique aussi. Doit-on donc considérer Stygian Bough comme un élément structurant de la carrière de Bell Witch ? La réponse est forcément “un peu” positive à l’écoute de ce The Clandestine Gate. Mais pas tout à fait non plus, car il convient de le mettre en perspective avec leurs disques précédents, qui étaient (évidemment) moins sombres et profonds que Mirror Reaper. The Clandestine Gate est donc à considérer ni comme un retour aux sources, ni comme un virage musical, ni comme un disque dans une quelconque continuité… Il est la représentation d’un duo musicalement mature, ayant (ap)pris de ses diverses expériences (et notamment de Stygian Bough).
Concrètement, le disque présente un groupe qui s’émancipe un peu des bases du funeral doom. On pense au chant en premier lieu, que les deux musiciens se partagent, et qui voit réduire le recours au “classique” growl (surtout présent dans la deuxième moitié du disque), au profit de lignes vocales plus rares mais plus variées, comme des nappes instrumentales. Le son de basse évolue aussi (pour rappel : Desmond utilise une basse 6-cordes lui permettant de développer des sons bien plus denses et riches qu’une guitare standard), moins saturé et moins lourd. Mais le changement le plus significatif se trouve “en plus”, en réalité, avec l’apport de claviers plus amples que sur Mirror Reaper, soutenant plus largement des séquences entières (à commencer par cet orgue impressionnant en introduction). L’influence des musiques liturgiques se fait fortement entendre, qu’il s’agisse de l’orgue sus-mentionné, ou des choeurs qu’on croirait souvent émaner d’une sombre chapelle… Le travail de Billy Anderson à la production, toujours discret mais efficace dans la forme, s’est probablement avéré colossal…
Tout ceci étant pris en considération, le disque peut être appréhendé avec l’esprit ouvert. L’approche musicale proposée est plus fluide, plus linéaire, plus mélodique aussi, ne nous cachons pas derrière les mots. Les séquences puissantes sont liées par des plans d’orgue, des plages de calme généralement, les montées en tension sont subtilement construites et amenées… Passage probablement le plus prenant du disque, au bout d’une heure un arrangement orgue / cloche d’église (!) / notes de basses amène à une section de pur funeral doom puissant, où claviers et riff se donnent le change en rangs serrés, pour culminer sur un passage aérien emmené par un déluge de crash et d’orgue, pour redescendre en tension et préparer une cloture quasi acoustique de plusieurs minutes, longue respiration salvatrice.
Le disque est avalé d’une traite sans que l’on ne considère à aucun moment de temps faible. Il représente un duo en totale maîtrise de sa musique, élargissant son spectre à nouveau, pour toujours proposer une pierre importante à son édifice musical. The Clandestine Gate ne peut en revanche pas décemment s’envisager en tant que suite de Mirror Reaper, au risque de s’exposer à une profonde déception : l’environnement funeral doom, qui prenait son sens le plus profond avec leur disque précédent, se trouve quelque peu “dilué” dans un univers musical plus ouvert ici, plus mélodique fondamentalement. Quant à l’engagement “émotionnel” du disque, il est évidemment bien moindre, on est moins absorbé, et on en ressort moins “lessivé” aussi. Reste que ce disque constitue une pièce remarquable, un véritable tour de force d’inventivité et de profondeur, qui amène le doom de ses débuts vers des champs plus vastes et encore une fois plus audacieux.
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