Bible Black Tyrant est avant tout le bébé de Aaron D.C. Edge, multi-instrumentiste barré, mono-maniaque du riff qui fait saigner et du mur du son, à l’initiative de plein de projets musicaux ces dernières années, qui ont rarement dépassé la production d’un album, voire d’un EP… On a en particulier entendu parler de lui quand le projet Lumbar a émergé il y a quelques années à l’occasion d’un album : largement vu comme un super-groupe avec Mike Scheidt (Yob) et Tad Doyle (Tad), le projet était en fait initié et porté par Edge, en maître d’œuvre discret d’un album qui aura néanmoins déçu au regard de son casting trois étoiles. Par ailleurs, Edge étant atteint de sclérose en plaque, et pièce maîtresse de chacun des projets, difficile de les envisager plus loin que sur albums, le musicien ne pouvant que difficilement envisager de se produire en live au vu de son handicap. C’est donc sur disque que l’on a le plus souvent l’opportunité de l’entendre, ce qui fut le cas il y a une paire d’années avec le premier disque de Bible Black Tyrant : Regret Beyond Death nous avait alors présenté une galette complexe, proposant une sorte de sludge à la froidure extrême, pas si loin du post rock, un disque hybride foisonnant d’idées et de sonorités. Doté d’un artwork dans le même concept (motif gris clair / gris foncé), on reçoit donc le second disque du groupe, trio presque devenu duo, puisque la formation s’est resserrée autour de Edge et Tyler Smith, batteur extraordinaire qui s’est notamment révélé sur le dernier Eagle Twin.
Ça commence âpre et sec avec « A Snowflake of Death’s Denial » qui laboure les tympans sur un riff bien craspec jumelé à un pattern de batterie martial, qui rappelle le Conan des débuts. Le tout est vite balayé par une séquence de plusieurs minutes où s’enchaînent des plans variés, sur un lit claquant de basse bien saturée, avant de se replonger vers un final reprenant le riff introductif. Un peu déboussolé, on se prend direct « Valorous » en pleine face, un glaviot sludge-doom pur-jus porté par une paire de riffs (couplet + refrain) définitifs et toujours un chant mélangeant avec une subtilité infinie déglutition grasse et aboiements hargneux. « Panic Inducer » prend la suite et porte bien son nom : le titre de 7 minutes enquille les ruptures de rythmes violentes et séquences WTF (ce violoncelle geignard explosé par ce déluge d’amplis), au risque de susciter chez l’auditeur sensible et non-averti toutes sortes de crises (cardiaque, d’angoisse, d’anxiété, de foi(e)…). Retour du violoncelle en intro de « Infinite Stages of Grief », une courte décharge de gros sludge qui tergiverse un peu moins. Et le tout se termine par un vilain « Sickening Thrum », larvé lui aussi de breaks vicieux en embuscade et d’une montagne de riffs salaces.
Le mini-album se résume donc finalement bien à la description aussi imparfaite de ces 5 coups de poings nerveux, piochant musicalement dans diverses variantes d’un sludge aussi gras que lent, mais jamais monolithique – loin s’en faut. Un dénominateur commun se dessine, basé sur des compos dénuées de toute forme traditionnelle de structure musicale, le tout embarqué avec cohérence par un socle sonore qui donne tout le liant à ce projet : des lignes vocales où se partagent agression et goût du gras, une mur de grattes présent sur tous les plans (riffs-montagnes, ambiances sonores variées, rythmiques foutraques) et un jeu de batterie balayant tous les registres, de la lourdeur basique des plans les plus dooms jusqu’aux plans les plus barrés. L’ensemble se révèle toutefois un peu court (moins de trente minutes, même aussi denses, c’est quand même juste), mais avec le recul plus massif encore que le premier album : plus homogène, plus mature, plus cohérent… Le propos est plus maîtrisé globalement, même si, paradoxalement, la musique de Bible Black Tyrant reste aussi imprévisible qu’insondable.
Ce disque vous l’aurez compris aura du mal à trouver sa place dans la discographie du fanatique exclusif de psyche rock tendance folk acoustique. Il trouvera en revanche tout son sens pour accompagner les porteurs d’idées noires et les amateurs d’ambiances crasses, ceux qui aiment écouter leur musique mâchoire serrée et nuque tendue. Une agression en règle, à la musicalité complexe.
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