Le sludge est affaire de chaos. Le genre entier repose sur le rejet d’une société égoïste et excluante, sur un refus de la norme. C’est le black metal pour ceux qui sortent de chez eux et voient le monde tel qu’il est. Pour qui nihilisme n’est pas un prête-nom pour racisme. Le rejet de la société et non de l’individu. Et sans le chaos, le sludge risque les mêmes affres que le punk. C’est la porte ouverte aux mélodies (premier pas vers la pop), c’est la possibilité de s’assagir, de prendre conscience de son embourgeoisement. Des angoisses qui traversent plus l’auditeur que les membres d’EyeHateGod qui, désormais cinquantenaires, ont plus d’une fois regardé la tempête droit dans les yeux et se sont toujours sorti des griffes du mandarin.
Avec A History Of Nomadic Behavior, EyeHateGod semble avoir pour la première fois trahi le contrat moral qui le lie à son auditeur en proposant une production… propre. « Je n’ai quasiment aucun souvenir des enregistrements précédents, vu dans quel état j’étais en studio » se défend un Mike Williams ayant retrouvé la/le foi(e). Mais sommes nous prêt à accorder à EHG le droit à la sérénité ? Parce que le sludge sans larsen ni distorsion sonne comme du blues. Le vague à l’âme. Les maux bleus. Mais EyeHateGod, collectif aux trente années au service du chaos pour six rares albums, n’a pas droit à la rédemption. Celle pourtant accordée à Dax Riggs sorti de son bain d’acide pour réenchanter la Louisiane de son blues corrosif. Mais pas EHG. Jamais. Comment pardonner le riff de « The Trial Of Johnny Cancer » ? C’est le chaos qu’on assassine, c’est un miroir que l’on nous met sous le nez, révélant cernes et cheveux blanc. Le visage d’un cadre intermédiaire dans le tertiaire. Eyehategod ne sont certes pas les premiers à avoir lâché. C’est notre colère par procuration dont le groupe nous prive. Parce que nous avons un genou à terre et allons chaque jour à l’école ou au travail. Mike Williams ne dit d’ailleurs rien d’autre sur « Every Thing, Every Day ». Il est vrai que le son de guitare a souvent de quoi faire sourciller. Plus que la production « assagie » il est là le véritable scandale de cet album : les riffs ne sont pas à la hauteur. Jimmy Bower, que l’on sait avoir traversé quelques difficultés d’ordre psychique ces derniers mois, livre ici une partition bien trop faible face à la qualité habituellement proposée. « Fake What’s Yours » démarre plutôt bien, vraiment, avant de patauger les pieds dans la boue ; « Current Situation » nous extirpe d’un passage bruitiste, EHG jusqu’au bout du larsen, par un riff qu’aurait refusé le plus opportuniste des groupes de stoner grec. Non vraiment quelqu’un semble avoir coupé le power de Bower. Pas une accélération punk hardcore, pas un break fracassant la rythmique avec anarchie, pas un titre (à part peut être « High Risk Trigger ») qui pourrait prétendre à s’insérer sur l’album précédent (sans nom – 2014). Pourtant ce nouvel album a de nombreuses qualités à défendre. Notamment en ce qui concerne les prestations vocales de Williams, jetant ses idées dans le désordre de son esprit, créant, par la juxtaposition des thématiques, le canevas de sa sourde colère. Toujours précis, parfois génial, Williams rappelle qu’il est le chaos, en toute circonstance sans que cela ne suffise malheureusement pour pallier à la désertion de Bower (« The Outer Banks », cas d’école de cette dichotomie d’implication, avec pourtant l’un des seuls passages accélérés du disque). Quelle terrible frustration.
Encore ébranlé par le souvenir des nombreux concerts d’anthologie donnés par le groupe (de ce côté Paris a été plutôt gâté, entre la conquête express de Glazart un soir de grand retard et la défaite de la musique), il ne reste plus qu’à espérer que cette panne de courant ne soit que passagère, et que le prochain album du groupe nous mette de nouveau… Chaos.
Point vinyle :
Century média fait dans le noir bien sûr et trois petites éditions limitées : 200 copies en gris, 200 en Bottle Green et 300 en magenta. Les LPs couleur, le seul plaisir restant au cadre intermédiaire dans le tertiaire. J’en ai pris un de chaque.
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