Kadavar, l’enfant chéri du rock rétro, emprunte depuis quelques albums un chemin singulier. De sa reprise de “Helter Skelter” sur Rough Times, en passant par le baroque For The Dead Travel Fast et jusqu’à The Isolation Tapes, le combo berlinois s’est recomposé, tant sur le plan musical que capillaire, puis structurel, passant en 2023 de trois à quatre musiciens grâce à l’ajout d’un nouveau guitariste. Le groupe a exploré des horizons musicaux plus exotiques, tout en gardant un lien avec ses racines ; en témoignent notamment deux splits, et plus particulièrement l’expérience Eldovar. Kadavar y a certes perdu une partie de son public historique, mais a su conquérir de nouveaux cœurs. The Isolation Tapes s’est hissé à la 10ème place des meilleures ventes allemandes : un succès incontestable. C’est maintenant l’heure de vérité. La sortie de I Just Want To Be A Sound sera-t-il l’album qui viendra clore une mue amorcée il y a plusieurs années? Pas besoin d’avoir appuyé sur “play” pour le savoir : l’habitué découvrira autre chose. Reste à savoir quoi. Et à ce stade, il est difficile d’en parler avec certitude.
I Just Want To Be A Sound tourne la page qui avait fait croire à beaucoup que l’orientation pop et easy listening de The Isolation Tapes n’était qu’un exutoire ponctuel dû aux affres du Covid. Ce nouvel opus confirme que Kadavar n’est plus un groupe de rock rétro. Mais abordons cet album pour ce qu’il est, et non pas pour ce que fut Kadavar.
I Just Want To Be A Sound est un album de pop. Un album avec du miel dedans, notamment grâce à l’omniprésence du chant de Lupus et à sa guitare qui explore mille mélodies éthérées, sublimées par la guitare discrète mais précieuse de Jascha. De la pop, oui, mais pas de la pop rock. L’album s’aventure dans des contrées singulières. Si “Let Me Be A Shadow” contient sa part de force, les distorsions sur les voix et les cordes rapprochent parfois le groupe d’un certain héritage de la French Touch. Rien d’électro certes, mais un goût pour l’écriture et la production à la fois moderne et rétro, qui, sur le titre “Star”, évoque le travail de la formation Air en son temps. “Sunday Morning” expérimente avec des samples discrets ; il entre en dialogue avec “Strange Thoughts”, instaurant une ambiance introspective.
Comme tout album pop, celui-ci ne se résume pas à une délicatesse (disons plutôt une noble mièvrerie). “Hysteria” met en valeur la basse de Simon Dragon, à la fois ronde et puissante, qui soutient un chant scandé. Ce n’est peut-être pas un déchaînement de violence, mais c’est un titre agressif et tendu, à l’image de chaque phrasé qui transcende “Let Me Be A Shadow”, où la frappe de Tiger vient intensifier encore un univers faussement calme, comme avec “Regeneration” et son introduction au rythme de samba.
Parmi les explorations, le rock’n’roll “Scar On My Guitar” mérite qu’on rompe notre principe d’analyse hors du contexte de la carrière de Kadavar. L’amoureux du groupe y retrouvera forcément des riffs cachés, des échos d’anciens titres, et peut-être une réponse à l’intro de “Regeneration”. C’est d’ailleurs un fil rouge qui nous conduit jusqu’au morceau conclusif “Until The End”, au goût de Beatles sous cithare, qui fort heureusement avale quelques vitamines dans son dernier tiers pour finir sur une touche plus lourde. Entre les clins d’œil au passé et ce titre final, n’y aurait-il pas une forme de rétrospective, voire d’anthologie cachée ? Pour beaucoup de fans de la première heure, si Kadavar devait avoir un album final, cela ne saurait être celui-là, mais le quartette mène sa barque sans s’encombrer des attentes de sa fan base et va en toute liberté là où il en a besoin.
Comment aborder cet album en tant qu’auditeur ? Avec beaucoup de résilience pour ceux qui ne jurent que par le vintage rock, avec beaucoup de bienveillance pour les connaisseurs du groupe. I Just Want To Be A Sound serait-il le dernier album de Kadavar que ces pages commenteront ? L’histoire leur appartient et ils en jouent selon leur bon gré comme en témoigne leur mutation. Quoi qu’il advienne Kadavar reste pour nous un groupe dont l’évolution aura été menée avec maestria, une transformation sans brutalité, servie par le talent nécessaire pour livrer un album d’une qualité, une fois encore, indéniable.
Au revoir messieurs, merci pour le chemin.
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