Même si ces dernières semaines furent rythmées par les sorties “pluri-médias” autour de cette série “Live in the Mojave Desert”, un rappel succinct du dispositif apparaît utile : Ryan Jones, amateur de stoner et organisateur des festivals Stoned and Dusted dans le désert californien, s’est vu fort marri (et un peu frustré) de voir le COVID venir l’empêcher de tenir son événement annuel. Pas défaitiste, et après un galop d’essai opéré grâce au film/DVD live “Live at Giant Rock” de Yawning Man (chronique ici), le bonhomme engage avec son asso un projet ambitieux, mais parfaitement adapté à cette période de confinement quasi-généralisé : il va faire jouer 5 groupes de son choix dans le même contexte (un spot idyllique dans le désert de Mojave), sans public, mais avec caméras et ingés son. Il proposera ensuite ces live en film (streaming événementiel), disques, et probablement DVD bientôt. Sans les flux vidéo (trois vidéos ont été chroniquées dans nos pages, les liens sont ci-dessous), les versions audio perdent évidemment une dimension importante (le contexte incroyable du lieu, les effets visuels…). Par ailleurs, il reste difficile de parler de ” disque live” comme l’entend l’usage, car il n’y a pas de public ! Néanmoins, la captation est effectuée d’un bloc, en direct, sans overdubs, ce qui justifie sans ambigüité le qualificatif. Les disques sortent les uns après les autres sur ce mois d’avril, on vous en propose donc une dissection “en bloc”, disque par disque, ci-dessous.
EARTHLESS
Pas de meilleure entrée en matière possible que de faire jouer Earthless : au delà de la légitimité apportée de fait par les géants du jam rock US, la musique du groupe se prête parfaitement au contexte d’isolation en plein désert. Le trio US n’a pas usé trop d’encre à rédiger la set list du concert : trois chansons seulement… pour plus d’1h15 de concert quand même ! Le duo “Violence of the Red Sea” / “Sonic Prayer” a beau ne pas vraiment surprendre, l’interprétation est simplement somptueuse. La prise de son est stupéfiante, ce qui, jumelée à une maîtrise de plus en plus remarquable chez Earthless, rend probablement ce disque le meilleur de leurs sorties live (le groupe en a déjà une poignée).
On ne va pas vous décrire Earthless par le menu, mais la place accordée à la base rythmique dans le spectre sonore est juste impeccable, laissant à l’insolent Isaiah Mitchell tout loisir de proposer des soli/impro de plusieurs dizaines de minute en complète roue libre, avec un talent qui laisse pantois (le gars n’en met pas une à côté).
Le groupe finit son album par un morceau plus rare, “Lost in the Cold Sun”, étirant les 20 minutes originelles de ce titre en rien moins qu’une plage de 40 minutes ! Le titre, plus lent que les autres sur sa première moitié, est l’occasion d’explorer quelques facettes un peu plus orientales de la musique du combo, mais la même recette est appliquée. Le constat global ne change donc pas : ce live est en tout point remarquable, et rend bien honneur aux qualités musicales du trio californien.
Note : 8,5/10
NEBULA
Nebula n’a pas de vrais live dans sa discographie, lui, contrairement à Earthless, mais il a déjà un “live sans public” (Peel Sessions). Mais bon, 13 années sont passées dessus, quelques ajustements de line up, un gros break, et quelques albums… donc autant le dire : le terrain est propice. D’autant plus que l’on connaît le talent de Nebula en live : le groupe sait s’appuyer sur sa solide discographie pour décliner des séries de titres et les adapter à l’humeur du jour, avec une forte dose d’impro, toutes proportions gardées (toujours l’ombre d’Earthless, même si le genre musical n’est pas très proche). Le set du jour dure 50 minutes, un créneau ramassé dans lequel le trio arrive à rentrer 10 titres, dans une interprétation tout simplement parfaite pour le format : on n’est jamais dans l’interprétation stricte des morceaux d’origine, mais on ne dérive jamais non plus dans les jams risquées de 15 minutes.
Côté set list, le trio californien (qui est venu en voisin) a largement choisi de mettre à l’honneur son récent LP, Holy Shit – pas forcément une mauvaise idée, on connaît la qualité du disque. Mais il n’oublie pas d’injecter quelques classiques (“To the Center”, “Giant”…) voire même quelques raretés (“Perfect Rapture”) pour apporter tout le piquant que l’on retrouve toujours sur leurs prestations scéniques. Le reste de la recette est connu : Tom Davies dresse une chape rythmique solide et des bases mélodiques impeccables pour permettre à Eddie Glass de se lancer dans des soli plus ou moins structurés, mêlant blues et space rock (cette Wah-wah…), souvent sur la brèche mais finalement toujours propres.
Encore une fois bien aidés par une mise en son au cordeau, ce live, moins impressionnant que celui de leurs prédécesseurs dans l’exercice, apporte en revanche une image très fidèle des prestations live du groupe : imprévisibles, vivantes (quelques discrets pains ici ou là), efficaces et souvent jouissives.
Note : 8/10
SPIRIT MOTHER
Le groupe le moins connu de la série est probablement Spirit Mother : le jeune quatuor n’a même pas un album entier sous le bras, mais ils parviennent quand même à assurer un set de 35 min (pour 10 compos quand même), belle perf. Musicalement, le groupe a bien des arguments à faire valoir, même si le genre musical pratiqué laissera sur sa faim les amateurs de gras et de fuzz : le groupe évolue dans une sorte de rock vaguement psyché ici ou là, piochant dans pas mal de genres musicaux. Ils se distinguent surtout par l’apport d’un instrument à corde assez atypique, avec une violoniste qui apporte une dimension vraiment à part à la musique du quatuor, c’est indéniable. Ça sonne un peu comme un gimmick au début, mais finalement l’ambiance qui en ressort est très particulière, ça fonctionne bien.
Soyons honnêtes : j’étais prêt à mépriser ce disque, la première écoute me faisant penser à un de ces groupes de rock indé vaguement goth avec un violon-gadget utilisé pour cacher la misère. Mais il n’aura fallu qu’une poignée d’écoutes pour me faire attraper par plusieurs des compos très efficaces de ce jeune quatuor finalement assez prometteur (même si leur rattachement à notre “scène” musicale reste questionnable). A suivre.
Note : 7/10
STÖNER
Probablement la galette la plus attendue (ou en tout cas la plus hypée) de la série, ce live constitue la première sortie sur disque de Stöner, groupe formé par le duo Brant Bjork / Nick Oliveri (avec le batteur de Brant pour finaliser le line-up). Passons outre le sobriquet, trouvé après quelques onéreuses sessions de brainstorming avec un cabinet de consultants en marketing, et concentrons-nous sur la musique : on s’attendait à une sorte d’hybride improbable entre la musique de nos deux musiciens emblématiques, ben on n’a rien de tout cela – Stöner sonne en réalité comme un disque de Brant Bjork avec la basse mixée un peu plus fort que d’habitude ! Ça en est presque gênant, les apports de Oliveri sont absolument transparents et sans relief : hormis sa basse trop saturée, on n’entend que les compos de Bjork. D’ailleurs, gageons que le disque aurait sonné pareil (mieux ?) avec le même mix de basse appliqué à Dave Dinsmore, par exemple, le bassiste habituel de Brant. Seul morceau d’engeance Oliveri-enne, l’insignifiant “Evel Never Dies”, seul titre chanté (beuglé) par le grand chauve, saura satisfaire les amateurs de riffs indigents et de mélodies insipides – une compo qui trouverait sans problème sa place dans l’un des multiples disques interchangeables de sa discographie.
Mais au global, ça marche bien, ou en tout cas plusieurs titres fonctionnent très bien. On citera par exemple le bien groovy “The Older Kids”et surtout le superbe “Stand Down”. Sans parler du gros “Tribe / Fly Girl” (13 min) qui ravira les amateurs des plans jams et impros du grand guitariste frisé. Il y a aussi quelques titres en deçà, à l’image de ce geignard “Own Yer Blues”.
Mais au global, le disque passe bien, et même s’il est inégal, une poignée de titres justifie de faire figurer ce live à une place honorable dans la discographie de Brant Bjork.
Note : 7.5/10
MOUNTAIN TAMER
Le dernier disque de la série met en avant un autre groupe moins connu, même si le trio californien a quelques années au compteur. En tous les cas, en terme de style musical, Mountain Tamer est peut-être le groupe pour lequel l’intégration dans le contexte paraît la plus naturelle : leur musique psyché et les ambiances vaporeuses développées par le groupe rendent le tout bien trippant. Niveau concert, on peut néanmoins être surpris : le groupe nous délivre sur moins de 40 minutes de concert 6 des 7 titres de son dernier album (excellent, il est vrai, on vous en avait d’ailleurs parlé ici), dans le désordre certes, et avec quelques petites adaptations ou digressions, mais globalement assez fidèlement à l’enregistrement original. Du coup, la pertinence du live n’est pas forcément évidente… Le set se termine par deux extraits de leur avant-dernier disque, un peu plus “matures” en terme d’interprétation live, mais pas fulgurantes non plus.
Le sentiment est donc plus mitigé avec ce cinquième disque : le groupe est bon, les morceaux sont bons, mais la valeur ajoutée de leur passage en live “audio only” n’est pas forcément décisive. Le disque ne peut même pas faire office de “best of” de leur carrière, étant essentiellement une resucée de leur dernier (et récent) album. Dommage, le groupe semble mériter mieux, en particulier dans un contexte de “vrai” live probablement… à tester (dans quelques mois…).
Note : 6.5/10
Si l’on devait faire un bilan de cette opération pour la partie “audio”, il serait largement positif : chaque disque est différent, et le line up global est quand même remarquable (de la valeur sûre, du vrai groupe “découverte”, des inédits…). Ramené au contexte (pour rappel il s’agit d’une pure opération “100% COVID”), force est de constater que le package proposé est non seulement parfaitement adapté, mais foncièrement original, ne ressemblant finalement à rien d’autre. Alors quand en plus la qualité (musicale et auditive, le son étant nickel de bout en bout) est au rendez-vous, il devient difficile de trouver de gros défauts au projet. Ne gâchons pas notre plaisir, donc, et replongeons nous dans ces live “décalés”…
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