Le trio ukrainien traîne depuis leurs débuts il y a plus de cinq ans une réputation de besogneux durs à cuire, bouffant de la scène comme un yorkshire se jette sur une côte de bœuf après une semaine de jeûne (on vous laisse quelques secondes sur cette image… Non, de rien). Après deux albums assez troublants et un recueil digital de jams et autres captations studio hétéroclites, les voilà revenus avec un nouveau disque plus mûr, plus abouti et, n’y allons pas par quatre chemins, meilleur encore.
Assez paradoxalement, le titre le plus accrocheur de l’album, le dévastateur “Here Comes The Robots” est probablement le moins intéressant (ce qui, en soit, en dit déjà long). Car ce disque est une ribambelle de compos bariolées, audacieuses, originales, qui ne sacrifient jamais la puissance et la lourdeur au profit de l’inventivité. Ainsi, dans une veine aussi dynamique que son prédécesseur, “Wound” développe un titre rock accrocheur qui ajoute la corde “groove” à l’arc du trio, un arc qui n’en manquait pas, de cordes, leurs deux albums précédents l’ont bien montré. “Rituals of the Sun” baisse d’un ton (pas qu’un, en fait) pour se vautrer dans des méandres doom lents et subtilement glaireux. Le chant de Igor surnage encore, s’essayant ici à un registre profond et grandiloquent loin d’être ridicule. L’exercice de style, frondeur mais honnête et respectueux d’un genre auquel ils empruntent les principaux fondements, s’avère réussi. Le Heavy Rock “YFS” et ses discrètes harmonies de clavier montre que la facette “mid-tempo” catchy ne leur est pas non plus étrangère. Mais c’est avec le puissant “Silkworm Confessions” que les choses se corsent. Niveau puissance, on monte encore d’un cran, à l’image de ce riff mastoc qui charpente le morceau. A partir du premier tiers (le titre fait neuf minutes), la chanson part en vrille, naviguant entre des eaux changeantes, pour venir se stabiliser sur un plateau au tempo plus lourd, propice à des harmonies instrumentales que l’on peut qualifier de “téméraires”, ou a minima atypiques. Épique, à l’image du quart d’heure de “Black Church” qui vient clôturer ce morceau de bravoure, un titre à la rythmique travaillée, entre le martial et le tribal, abritant quelques expérimentations soniques désarmantes, pour mieux accoucher d’une conclusion fluette, portée par une nappe de clavier qui amènera le titre jusqu’à sa conclusion, accueillant temporairement un torrent de grattes qui viendra s’éteindre petit à petit…
A un certain moment, ce n’est plus les instruments et la technique musicale qui comptent mais la qualité des compositions. Non pas que nos trois gaillards soient des manches derrière leurs manches (!!) et leurs baguettes, loin de là. Mais est-ce vraiment important quand, de manière aussi insolente, un groupe peut proposer une telle maturité dans son travail d’écriture ? Une maturité précoce en l’occurrence, au vu de la jeunesse de nos trois Est-européens, qui se reposent surtout en apparence sur deux leviers essentiels : une culture musicale riche, qu’ils synthétisent sans jamais plagier, mais aussi une fougue décomplexée que l’on retrouve effectivement (attention, cliché socio-politique dans 3 secondes… 3-2-1) dans pas mal de ces groupes en provenance de pays “géo-politiquement complexes”, dira-t-on pudiquement. Débridé, sans frein culturel, le groupe se lâche et privilégie le plaisir.
Un grief quand même : un album aussi riche ne reposant que sur six chansons, c’est à la limite entre la naïveté et le sadisme. On ne vous en remercie pas messieurs. Quoi qu’il en soit, on a bien pris notre pied. Lorsque l’on connaît aussi le talent du groupe sur scène, où leur musique prend une toute autre dimension, notre principale aspiration est de les revoir sur les planches, vite.
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