Il y a quelque chose d’irrationnel et en tout cas de difficilement compréhensible dans la soudaine notoriété de Sunn O))), concentrée autour de la sortie de ce nouvel album. Travail de promo remarquable ? Probable. Tant mieux. Hype exagérée ? Possible. Musique devenue plus accessible ? Naaan, faut pas déconner ! Mais au final, pas grand-chose à redire : « irrationnel », le groupe l’a toujours été, difficile à cerner dans son parcours, son évolution. Ce n’est pas maintenant, avec un septième « vrai » album sous le bras, qu’ils vont revenir dans des sentiers battus qu’ils n’ont jamais jusqu’ici ne serait-ce qu’effleuré…
Après un Monoliths & Dimensions qui avait rassasié son monde (beaucoup de choses, beaucoup de musique, beaucoup de nouveauté, beaucoup d’arrangements…), et une paire de disques collaboratifs tout aussi barrés, on imaginait clairement la surenchère poindre le nez pour ce Kannon, avec fatalement le risque du « trop ». On attendait notre duo de gratteux au tournant. Et bien non, virage à 90° toute ! On fait comme si de rien n’était, on re-bifurque dans une voie de la synthèse, de l’essentiel, et donc de la quintessence pour SOMA et Anderson. Trois chansons (et donc trois riffs, les connaisseurs comprendront…), 33 minutes. Maigrichon, ce Kannon ? Un peu, oui, en première approche. Ce n’est qu’après une demi-douzaine d’écoutes que l’on commence à percevoir tout le poids de l’album, et qu’on voit poindre l’ensevelissement auditif, purement et simplement : tel un explorateur hardi, on s’engage d’abord dans la moiteur du marécage instrumental élaboré par nos vicieux maîtres d’orchestre, pour se retrouver petit à petit évoluer laborieusement dans une rivière de boue argileuse jusqu’à la ceinture, éloignant tant bien que mal les toiles d’araignée de plus en plus tenaces et les diverses lianes et végétations devenant rapidement étouffantes… C’est un peu ça, l’effet de Kannon dans le temps. Là où Monoliths… nous balançait et nous bousculait en tous sens, Kannon trace droit : durant les premières heures, on digère la torpeur des bases musicales de chaque morceau, les trois gros leitmotivs du disque, qui s’enchaînent et s’emboîtent à la perfection. Puis petit à petit des strates supplémentaires s‘offrent à nos tympans et synapses désormais préparés au festin atmosphérique : discrètes apparitions de claviers (mais fort bienvenues, en ambiance, en appui aux à-plats guitaristiques …), lacérations vocales ou chants incantatoires (du troisième larron, le désormais indétrônable Attila Csihar, parfait ici, dévoué au support musical – voir ses d’abord discrètes « gutturalités chevrotantes » qui viennent supporter la montée en puissance de « Kannon 1 »), sons et instruments divers…
Chaque segment développe sa propre identité, sans pour autant (c’est coutumier chez eux) proposer une émotion ciblée, ni une ambiance un peu « radio-guidée » : tout cela reste froid émotionnellement, mais jamais sensitivement. Après un « Kannon 2 » porté par les incantations mi-religieuses mi-shamaniques du sœur Csihar, « Kannon 3 » crée un peu la (relative) surprise, se révélant moins grave en tonalité, plus propre aussi en terme d’arrangements, même si les dissonances harmonisées (oui, on dirait un oxymoron…) des guitares viennent perturber l’ordre ambiant, tout comme les déchirements vocaux de Csihar qui percent ici ou là. Jamais tranquilles !
Quoi qu’il en soit, non, Kannon n’est probablement pas le meilleur album de la dense (et chaotique) discographie de Sunn O))). Il est dans le peloton de tête, à coup sûr. Mais ça ne signifie pas que tout le monde doit/peut se jeter dessus (cf introduction : est-ce qu’autant de gens écoutent vraiment Sunn O))) désormais ??), il faut savoir à quoi s’attendre : on est toujours dans cette frontière inclassable entre doom « moderne » et drone pur, baignés d’expérimentations instrumentales perchées, ensevelis de grattes vrombissantes hantées de feedback. C’est lent et âpre. Pour vous dire, l’album compte probablement 70 fois moins de mesures qu’un album de Clutch (au hasard) et l’ensemble des partitions de guitare tient certainement sur une feuille de papier toilette (recto-verso, pour être gentil). On exagère… un peu. A ne pas mettre entre toutes les mains. En revanche, si vous êtes familier de ce courant musical, disponible mentalement pendant plusieurs jours (c’est l’un des albums les plus immersifs du groupe), vous devriez goûter ce disque, qui récompense de l’effort. Exigeant, barré mais puissant.
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