On ne sait jamais vraiment quoi attendre d’un nouveau Sunn O))), au-delà de l’événement en soi. Pour l’auditeur qui en fait l’acquisition, c’est généralement un gros point d’interrogation qui met systématiquement plusieurs jours ou semaines à se décanter.
On peut évidemment se projeter sur une « tendance » au regard de la discographie du groupe. Ce prisme apporte déjà son lot de perspectives : après un ode à la noirceur bien nommé Black One, puis une démonstration en songwriting obscur à travers un Monoliths & Dimensions qui repoussait en tous sens le cadre conventionnel, le duo protéiforme s’était montré plus « canalisé » avec un Kannon qui proposait un triptyque massif et plus homogène. Une formule qui appuyait la maturité du groupe, et affirmait sa vision extrême de la musique – et en même temps un exercice en nuances dans un cadre drone qui apparaît par nature au profane comme monolithique et statique (à ce titre, les collaborations Terrestrials et Soused qui ont amené la transition à Kannon semblent, avec le recul, avoir été des éléments plus structurants qu’il n’y paraît).
En tous les cas, cette évolution trouve sa continuité dans Life Metal : l’objet est une démonstration de densité et en même temps de cohérence. Une cohérence sonore d’abord : le duo a beau s’être fait plaisir en terme de subtilités de sons de guitares, effets, amplis, etc… l’auditeur un peu simpliste – à l’image de votre serviteur – n’y verra pas d’énorme nuance sonore dans les sons de guitare(s), qui sont quasiment le fil rouge instrumental de la galette. Plus globalement, la production de ces quatre monolithes musicaux (quatre plages, 1h10min au garrot… un beau bébé à digérer !) restitue cette cohérence de fond – ce qui était probablement l’un des résultats attendus par l’enregistrement « très analogue » (une démarche particulièrement intéressante pour un album de drone) obtenu en recourant aux services de Steve Albini.
Cette base étant établie, les différents morceaux vont finir de donner le ton du disque. Quatre morceaux donc, comme autant d’expériences différentes. Le premier titre et aussi le plus accessible, « Between Sleipnir’s Breath », déroule son riff majestueux et ses harmonies de leads aériennes, qui pavent le chemin aux vocaux de Hildur Guðnadóttir, en chœurs, qui apportent une sensibilité inédite à ce morceau puissant : le contraste entre la fragilité de la voix de la musicienne islandaise associée au son de guitare pachydermique, en fond, est d’une grande efficacité (une technique déjà entendue chez Sunn O)))… avec d’autres types de chant !). La seconde pièce maîtresse est « Troubled Air », où chaque accord de guitare est amené aux frontières vibrantes du feedback, poussées dans leurs retranchements par un SOMA toujours sur la brèche. Force du morceau, il est accompagné du clavier/Moog de TOS mais aussi d’un arrangement d’orgue grandiloquent (mais pas prépondérant) pour un apport mélodique bienvenu, qui empêche constamment le titre de pencher « du côté sombre ». Classieux et puissant.
S’ensuit le plus « classique » (toutes proportions gardées) « Aurora », morceau le moins accrocheur de l’album, qui déroule ses 19 minutes d’échanges intriqués entre les six-cordes de Anderson et O’Malley et une fin abrupte plutôt surprenante (ils avaient pourtant le temps de structurer une fin plus « soft »…). On a du mal à qualifier un morceau de 20 minutes de « titre de transition » mais on n’en est quand même pas loin… Surtout que la pièce qui vient clôturer l’album, « Novae », est l’un des points d’orgue du disque. Long de presque une demi-heure, il installe d’abord une ambiance sournoise à base de riffs bien catchy et d’orgue (plus l’haldorophone de Guðnadóttir qui pleure en fond), puis décolle plus loin petit à petit vers une atmosphère bien moins suffocante au milieu du morceau. Là, toute l’instrumentation s’interrompt pour écouter barrir (si si) le violoncelle de l’islandaise, qui amène un segment de drone bruitiste de dix bonnes minutes, comme une respiration, avant un retour en clôture à un riffing plus « traditionnel ».
Inutile de préciser que l’on ressort lessivé de l’écoute attentive (car une écoute « en musique de fond » est aussi possible, mais de moindre intérêt) et répétée de Life Metal. Comme toujours avec Sunn O))), les sourires goguenards de l’auditeur s’enchaînent avec les froncement de sourcils dubitatifs et les yeux écarquillés de surprise, en particulier dans les premières écoutes. Mais sur Life Metal au même titre que pour Kannon, l’écoute intégrale du disque devient vite une séquence intéressante en soi, au-delà de l’écoute ponctuelle d’un ou l’autre de ses titres. On aime l’album ou pas, mais on l’aimera comme un tout, et pas certains titres et pas d’autres. L’ambiance générale, moins traumatique et pesante que sur leurs albums précédents, rend les choses d’autant plus intéressantes, et oblige à se concentrer sur la musique elle-même, un drone puissant, exigeant, esthétique, basé sur les instruments et les musiciens, plutôt que sur les machines et la technique. Et dans ce secteur, Sunn O))) règne en maître.
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