L’ascension du trio du Kansas depuis quelques années n’est pas tant spectaculaire qu’elle apparaît inéluctable : après un premier album réussi mais passé un peu inaperçu, le groupe sort un second album, “Buffalo” encore meilleur, qu’ils décident d’aller vendre sur la route, en bouffant du bitume et des planches, contaminant les pires rades ou les meilleurs festivals spécialisés, passant des mois et des mois à trois dans leur petite bagnole, blindée d’amplis et de guitares (on a des preuves…). L’énergie du groupe en concert laisse des marques indélébiles auprès d’un public subjugué. A ce stade, The Midnight Ghost Train a alors atteint ce statut de tuerie live, une réputation hors de proportion au regard de l’accueil réservé à leurs disques – et ce n’est pas la sortie un peu improvisée de ce live au Roadburn qui a changé la donne. Non, à ce stade, la bande à Steve Moss l’a bien compris, il faut rétablir le sacro-saint équilibre universel, et sortir un album à la hauteur des ambitions désormais assumées du combo. Pour mettre toutes les chances de son côté, ils signent avec Napalm Records et intègrent le solide roster du désormais quasi-hégémonique label autrichien (de gros moyens de prod, un soutien promo important, une distribution solide…). Puis, sûr d’eux et dans un trip intègre, ils se collent dans un studio de Georgie équipé à 100% de matos old school, enregistrent sur bandes (oui oui) leur nouveau bébé, avant de faire masteriser la bête chez un ingé son texan spécialisé là aussi dans le mastering analogique. Et nous voilà donc, quelques mois plus tard, la gorge sèche mais la bave aux lèvres, en appuyant sur “play” pour la première d’une longue série d’écoutes…
Premier choc (et même si ce damné MP3 ne rend pas hommage à la chaîne du son analogique opérée par ces esthètes du gras sonique), le son est gros. Non : GROS. On n’attendait rien de moins, faut dire, mais là, la prod est au rendez-vous. L’efficacité musicale de la formule du combo était déjà connue, mais c’est la “tenue dans le temps” qui était questionnable jusqu’ici chez les productions vinyliques du trio : seule une poignée de leurs compos résistaient à l’épreuve du temps jusqu’ici – même si leur puissance en live n’était jamais remise en question. Mais sur ce “Cold Was the Ground”, point de grief : le travail de composition, sans doute issu d’un processus un peu inversé (du live vers le disque), est remarquable. Le premier extrait de l’album, “Gladstone” (clin d’œil) avait botté quelques culs et déjà prouvé il y a quelques mois son efficacité en live… or après de nombreuses écoutes de l’album, il est toujours aussi véloce ! Rien de tel qu’un bon riff pour traverser l’usure du temps, faut dire. Même constat pour son successeur sur le disque, “B.C. Trucker”, lui aussi jouissif, au même titre que d’autres brûlots boogie graisseux tels que ce “Straight To The North” porté par un groove de basse impeccable, ou un “No. 227” dantesque doté d’une sorte de riff à une note (… et demie…). Quand le combo s’engage dans des terrains plus difficiles, dans du mid-tempo par exemple, il s’en sort bien, car toujours équipé d’une grosse poignée de graisse dans une main, et d’un vieux matelas de groove bluesy sous le bras (voir “Arvonia” et son dernier tiers notamment, ou un “One Last Shelter” dantesque, rappelant que dans le trio, Brandon Burghart à la batterie n’est pas un maillon faible, même s’il est moins en visibilité). On y revient : groove, blues, gras, la sainte trinité en quelque sorte.
A l’heure des bilans, point de suspense artificiel : The Midnight Ghost Train est présent au rendez-vous. Le trio a capitalisé sur ses points forts, avec un album chargé d’énergie, de matière grasse et de groove. On n’en attendait pas moins – on est servi. “Cold Was The Ground” est leur meilleur album, il reprend de fait les points forts de ses albums précédents, et met les curseurs au taquet. On peut en revanche s’interroger sur la suite de la carrière vinylique du groupe : ils ont amené leur musique à un niveau d’efficacité optimum, mais niveau renouvellement et surprise, stylistiquement notamment, c’est light. Le prochain virage devra passer par une évolution musicale nécessaire pour construire la pérennité du combo – faute de quoi, le groupe prendra le risque de se répéter, et de n’être “qu’un” groupe live. Pas si mal en soi, mais pas un gage de pérennité non plus. Mais foin de prise de tête anticipée, jouissons du temps présent et montons le son, car “Cold Was The Ground”, en l’état, est joie, mandale et cholestérol auditif.
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