Ufomammut revient avec sous le bras rien moins que leur huitième opus, très judicieusement nommé « 8 ». Oui pour l’originalité on repassera (et ne me lancez pas sur la symbolique ras-des-pâquerettes de ce supposé signe « infini »…). La curiosité est entière avant d’enfourner ce disque : le trio transalpin n’a plus à démontrer ses compétences de songwriting, étalées avec magnificence et arrogance tout au long de Eve, et plus encore le bipède Oro. Avec son dernier album Ecate, comme aculé dans les cordes, il avait joué la carte de l’efficacité absolue, froide et brute, l’album faisant encore aujourd’hui, plus de deux ans après, l’impression de se retrouver dans un laminoir lancinant, une machine à broyer industrielle sans pitié. Difficile d’imaginer le groupe pousser plus loin sa musique dans cette voie. Obligés de se renouveler, encore ?…
Après plusieurs dizaines d’écoutes, force est de répondre par l’affirmative. Toujours aussi hermétique, la musique du groupe ne permet pas de se faire un avis très tranché dès les premières écoutes : il faut défricher, éviter les rafales d’obus, écouter encore, encaisser les coups de massue, appuyer sur « repeat », se relever des passages de rouleau compresseur, et repartir au front, encore et encore, pour mériter le Saint Graal. Ce n’est qu’au prix de ces itérations que se dessinent les traits saillants des nouvelles compositions du groupe, et surtout les finesses de sa production. Car la clé de ce « 8 » est double, et s’articule autour d’un songwriting redoutable et d’une production soignée.
Un trouble apparaît cependant dès l’écoute de « Babel », morceau introductif : on sait comme Ufomammut crée habituellement un lien entre ses albums, le premier titre de chacun de ses disques étant supposé faire écho au dernier morceau du précédent. Or là, même si le groupe confirme l’existence de ce lien, il est difficile à son écoute de rattacher ce titre inspiré de la célèbre séquence biblique au « Daemons » qui clôturait Ecate. Ce dernier, en quintessence de l’album, poussait dans ses retranchements cette volonté d’efficacité primale, simpliste et brutale. Or « Babel » est complexe, multiple, transpercé de nappes de claviers space et de chant presque clair (!!), s’appuyant sur une paire de riffs protéiformes tels que le groupe sait les façonner et les animer au fil d’un titre de plus de huit minutes, faisant évoluer sa rythmique en cours de route (quel formidable frappeur que ce Vita)… subtil ? N’exagérons pas. Quoi que… « Warsheep » confirme cette tendance, avec notamment un dernier tiers porté par une dynamique et une rythmique auxquelles le groupe nous a peu habitué. « Zodiac » qui embraye sans coupure pousse encore le bouchon plus loin. On entend des plans que ne renierait pas Mastodon, voire même par moments… Tool ! Trop tard, c’est dit. Car oui, Ufomammut est revenu à des tendances clairement plus organiques, et une production plus riche, le tout étayant des structures toujours aussi complexes, limite progressives. Alors qu’il poussait ses riffs et ses rythmiques jusqu’à l’étouffement sur Ecate, le groupe passe ici perpétuellement d’une séquence à l’autre, provoquant l’impression d’être sans arrêt déstabilisé, mais toujours intéressé et stimulé.
Bon, que les fans se rassurent néanmoins : le trio n’a pas complètement changé de braquet et sa musique est toujours reconnaissable entre mille. Rythmiques marteau-piqueur et riffs massue s’entendent dans une joyeuse atmosphère de doom industriel bien bourrin. Vous lardez tout ça de rares lignes vocales, de basse et guitare ultra-saturées, vous saupoudrez de quelques claviers et samples bien sentis, et vous vous sentirez en territoire finalement bien connu. Mais force est de reconnaître que tout en recyclant des éléments déjà maîtrisés, le groupe vise juste et propose, finalement, de l’inédit, à l’image de ce « Psyrcle » qui vient clore l’album de toute sa majesté : lancé sur une séquence typique (un riff asséné sur une rythmique lancinante sur plusieurs minutes), le titre est transpercé en son milieu d’une fulgurance guitariste fuzzée, puis retombe sur ses pattes pour finir sur une conclusion riche en émotion, aidé en cela par des samples qui rappelleront les grandes heures du Hans Zimmer de « The Thin Red Line ».
Il est bien difficile de se sortir de cet album riche et addictif. Ses 45 minutes en paraissent au moins le double tant l’album foisonne de plans variés, de sonorités, d’idées… Ufomammut ne trahit pas son ADN, capitalise sur ses points forts, et pour autant, sans se réinventer complètement, propose avec 8 une synthèse parfaite de son parcours. Il ne s’agit peut-être pas de son album le plus audacieux, ni le plus surprenant (ceux qui ont vu le groupe en live ces derniers temps avaient pu prendre la mesure de leur puissance : les italiens en avaient encore sous la pédale, c’était une évidence) ; pour autant, 8 se pose comme œuvre totale, synthèse et point culminant d’un genre musical dont eux seuls détiennent la recette. Et déjà, on attend de voir ce qu’ils nous réserveront la prochaine fois… mais en attendant, on appuie encore une fois sur « repeat ».
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