J’ai toujours aimé me faire surprendre par un groupe, une musique, un album. Vous savez, cet instant où l’on bascule dans un monde que l’on n’attendait pas, distraits que nous étions, occupés par quelques tâches qui semblent, maintenant, superflues. Voilà, je dois vous parler de « Eve » (prononcez Yves mais enlevez-lui la moustache) de Ufomammut. Cet album paru en 2010 et qui, désormais, résonne en moi comme un exutoire cathartique, nécessaire et régulier.
Lors de la première écoute, mes oreilles intriguées revenaient sans cesse sur le développement de cet album, sur son incroyable cohérence et son fil directeur froid, à vous foutre les jetons. « Rhôôôô, on dirait une seule chanson » me dis-je, « une seule et même composition, tentaculaire et progressive » pensais-je même. Bien vu l’aveugle. Quand Ufomammut parle de « Eve », il l’entrevoit comme un seul morceau, découpé en 5 parties pour des raisons pragmatiques.
Ainsi, les plages I, II, III, IV et V déroulent, sans qu’on y trouve une once d’éléments incohérents. Elles développent un doom puissant et aérien qui serpente sur des plages de calme avant de vous étouffer, python-esque métaphore, dans ses phases de furies telluriques. “Eve” est en soi une progression, une histoire, l’écho d’un floydien “Atom Earth Mother” pas si lointain. Aaah, la comparaison est lâchée ! Dès qu’un morceau un peu long développe du cristallin et du malsain, dès qu’un cerveau acidulé se penche sur un instrument, la référence aux anglais apparaît. Pourtant, elle est foutrement juste pour le trio italien. Ses vocaux incantatoires se perdant dans la réverbération, cette basse qui lie les 45 minutes de l’album morceau, ces montées orgiaques explosant le moindre cil auditif . Le premier chapitre, “I”, vous laisse chancelant comme une merde après 15 minutes d’attaques non-stop, de vagues d’assauts sonores exponentiellement bourrines. On titube, hagard, la nausée nous envahit quand les notes angoissantes du II ième chapitre nous prennent. Voix en arrière plan, notes dissonantes, samples directeurs, lignes simples de guitare et puis, à nouveau, une explosion de sludge psychédélique. La honte et l’excitation d’enfreindre la morale suinte par toutes les idées de cet album. Ralentissement. Oh, juste une respiration pour mieux nous scarifier le cerveau avec un III ème mouvement brutal, rêche, dégueulasse qui bascule dans le versant sombre du psychédélisme. Vous savez, ce moment où sous psychotrope, vous avez conscience d’être perché et qui entraîne inévitablement le bad-trip. Le dernier mouvement de « Eve » est un quart d’heure de combat intense, pas contre la machine, non, mais contre le créateur. Ufomammut pousse le volume encore plus loin, la hargne encore plus fort, ils font littéralement dégueuler le doom de la platine. Puis ils concluent ces 45 minutes blasphématoires par les trois notes angoissantes qui parcourent la galette de long en large à la recherche du Malin.
Oeuvre totale, morceau magistral, « Eve » est une plongée dans l’évolution de la brutalité, dans la beauté de la transgression. De penser que les italiens aient composé ce morceau fleuve en partant d’une meuf qui a mangé une pomme, je n’ose imaginer la B.O. qu’ils pourraient sortir pour la « Grande Bouffe » de Marco Ferreri. Gros album. Grosse performance. Gros Groupe.
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