Si l’on devait juger un collectif à sa capacité d’adaptation en situation de crise, les Fuzzoraptors remporteraient certainement une palme. Alors que Nekromant, leur tête d’affiche, vient d’annuler sa tournée en raison d’une vilaine fracture, et ce, vingt-quatre heures avant la date fatidique de l’événement, ils ne s’attardent guère davantage en apitoiement et nous dégotent un trio de remplacement pas piqué des hannetons. Trio du nom d’Homecoming Band qui aura le privilège d’ouvrir les hostilités devant la petite foule désormais caractéristique d’un 20 h à L’International.
Et c’est avec une joie croissante que je découvre ce groupe aux influences que ma propension à l’euphémisme qualifierait de variées. Déjà dans le style vestimentaire des loustics, on sent qu’il flotte un je ne sais quoi de non conventionnel. Car c’est en petite chemise boutonnée et cravate qu’Homecoming Band nous déroule son set. Et pour un groupe formé depuis à peine six mois, quel set, mes amis ! Déjà techniquement c’est irréprochable. Les années de conservatoire transpirent de la prestation de Théo qui, derrière sa batterie, offre un jeu fin dont la subtilité davantage propre aux standards du jazz s’accorde ici à merveille au Post métal du groupe. Ces deux copains ne sont pas en reste et surf avec aisance sur ses métriques démontées et ses habiles contretemps. L’imprévisibilité semble tenir une place majeure chez eux. À chaque début de morceau, le public hoche la tête en songeant naïvement pouvoir anticiper la suite. Hélas, il se fait invariablement faucher par une rupture aussi surprenante qu’inattendue, passant d’une intro black métal à un franc passage psyché, puis c’est un pont rock’n’roll qui survient, très vite suivi d’un enchainement de riffs à la lourdeur méritant qu’on se jette tous les uns sur les autres. Certains pourraient y voir des constructions casse-gueules mais Homecoming Band assume pleinement ses multiples aspirations et sait sublimer le meilleur de chaque style dans un distillat Stoner composé avec soin et finalement très rafraichissant.
Les rafraîchissements justement. À peine consommée la moitié d’une pinte qu’il faut redescendre pour accueillir le second groupe de la soirée. Les Parisiens de Harps qui bénéficient pour l’occasion d’un sous-sol commençant à bien se remplir. En avisant le T-shirt RATM de Matteo et la Bigmuff qu’il taquine du pied, je me dis que cette basse va salement groover. Toutefois, le trio évolue plus vers le Sludge mêlé de post-métal expérimental et aux teintes quand même franchement psychée. Un psyché étrangement perturbé par des lyrics qui nous sortiront à plusieurs reprises de la délicieuse rêverie dans laquelle la musique nous plonge. Ce que l’on ne peut guère retirer à Harps en revanche, c’est l’énergie avec laquelle ils jouent. Entre deux phrasés vocaux lâchés dans son micro, Julien s’agite comme un possédé ; sautant et tournant en prenant soin de serrer sa gratte pour éviter qu’elle ne se fracasse contre un mur. Cette dynamique se transmet à l’assistance qui ne manque pas de hocher la tête en témoignage d’assentiment. De quoi chauffer les esprits pour la suite des réjouissances.
Bon, on nous avait promis une soirée doom, et à l’aube de l’ultime performance de cette soirée, il semblerait que les vrais clients se proposent enfin de nous casser les genoux. Le public encore maigrelet lors du premier lâché de riffs ne tarde pas à gonfler les rangs jusqu’à emplir une bonne moitié du sous-sol. La puissance de Cities Of Mars se révèle alors, froide et lancinante. Le bassiste et chanteur, Danne Palm, plante ses appuis et se dresse devant son micro comme si un furieux vent de face menaçait de l’emporter. Pourtant, à l’arrivée de « Doors of darkmatter » on comprend que la tempête vient de l’intérieur ; du tréfonds de nos propres entrailles. Et apparemment, tant les lyrics hauts et incantatoires que la lourdeur du jeu appellent à en éveiller les démons cachés. « Envoy of murder » ne sera pas différent. La pesanteur de ce monument nous expose toute la dimension tellurique de la musique. Mars nous apparaît alors comme une planète en proie à de glaciales tempêtes ; une terre stérile où règne une hostilité de tous les instants. Ainsi, les titres de l’album Temporal Rifts s’enchaînent. Puis, comme de rigueur, les Suédois reviennent dans le passé. À l’annonce de « Celestial Mistress » titre éponyme du second EP, le public de L’International à présent brûlant ne masque plus sa joie. Et comment agir autrement ? Comme le disent si justement nos amis de Fuzzoraptors à propos de Cities Of Mars : « ils sont beaux, talentueux, sympas, pourquoi se priver ? ».
Si on peut regretter ce soir l’absence de Nekromant, on ne peut guère déplorer le caractère réussi de la soirée. On remercie chaudement ces trois groupes qui, en dépit des problèmes techniques et des booking de dernières minutes ont chacun su servir un show de qualité.