Anvers (ou Antwerpen en néerlandais), la ville au savoir-faire diamantaire légendaire, est aussi un trésor architectural, un havre de paix à l’accueil chaleureux et un véritable repère pour les créateurs de mode et les designers. Et une nouvelle corde vient de s’ajouter à l’arc anversois, un festival heavy/rock/psych/doom : le Desertfest.
Personne n’aurait songé à la capitale des Flandres comme possible base d’installation pour le Desertfest déjà présent à Londres et à Berlin. Sur le papier la ville n’a pas l’air d’avoir beaucoup en commun avec ces deux bouillonnantes capitales européennes. Pourtant du 10 au 12 octobre c’est bien là qu’un nouveau rassemblement de stoneheads a eu lieu. Justement ce courant musical qui nous est si cher en a bien cure des idées préconçues et si le soleil du désert et ses tempêtes de sable nous portent jusqu’en Belgique nous ne pouvons que nous précipiter pour participer à la première édition du nouveau né de la famille Deserfest !
L’affiche est aux petits oignons, la ville facile d’accès et l’organisation a bien fait les choses en faisant des partenariats avec des hôtels proches. Une fois installé dans notre camp de base qui voit défiler une variété de T-shirts d’inspiration stoner, un tour de la ville s’impose et nous voilà rassurés, les Truckfighters sont arrivés et attendent sagement à la sortie de la gare. Les terrasses se remplissent d’amateurs de bons sons et de bières. Bref on y est bien à Anvers. Cette sérénité apparente ne nous empêche pas de nous pointer une heure à l’avance histoire de prendre la température, maîtriser les temps de trajet, récupérer notre bracelet (précieux sésame de ces trois jours à venir) et attendre… Il n’y a pas foule devant le Trix en cette fin d’après midi, on n’aura aucun mal à pénétrer dans ce complexe musical qui abrite pour le weekend le festival.
Les portes s’ouvrent, une visite s’impose. 30 minutes avant le premier concert, profitons qu’il n’y ait pas trop de monde pour faire le plein de jetons, qui serviront de monnaie d’échange contre bières et collations, et maîtriser l’espace. Le Trix est un complexe sobre, un bar où la Vulture Stage a été installé, un étage avec une salle « club » (et un autre bar) où la Canyon Stage a élu domicile et une grande salle de concert (avec son bar) où la « mainstage » baptisée Desert Stage prend place. Un jardin avec ces roulottes pour se sustenter et boire cocktails et boissons chaudes, ne manque qu’à trouver les stands de merch paisiblement installés autour d’un escalier qui mène aux salles de répet inaccessibles pour l’occasion. Tout cela est bien agencé, nous voilà rassurés, même si un petit pincement au cœur se fait ressentir face à la « minimum syndicale » offre des stands de merch. Mais nous ne sommes pas venus que pour refaire notre garde robe et notre déco intérieure, bière en main allons nous poster devant la Vulture Stage et que les festivités commencent :
WITCHRIDER
Lourde tâche qui revient à Witchriders que d’ouvrir un festival. Les gens sont en train de rentrer, de prendre leurs repères et faut envoyer la sauce alors que l’audience en est encore à marquer son territoire. Signé sur Fuzzorama le label de Truckfighters, les quatre jeunes autrichiens se lancent dans un set bien maîtrisé où tout leur attachement pour les classiques du rock/stoner ressort, et principalement l’ombre des premiers QOTSA… Le chanteur/guitariste en est même à reprendre les tics et attitudes du grand rouquin. Ca déroule, ça joue, de belles inspirations mélodiques, de bons moments de riffs plus efficaces, manque un peu de folie pour achever de conquérir le public pourtant déjà très réceptif et encourageant pour ceux qui ouvrent là le fest. Il y a du potentiel à cultiver de toute évidence.
THE PICTURE BOOKS
Rha dur ce running order, les sets des groupes se chevauchent et 10 minutes en commun ça suffit pour gâcher un live. On se précipite à l’étage pour voir la fin de show de The Picture Books, duo guitare/batterie de bikers plein d’amour. A peine arrivés que ça claque. Guitare sur-saturée qui déchaine ces riffs graisseux supportée par une batterie martiale. Ca transpire l’huile de moteur, ça arrache comme la peau sur du bitume. Un set très intense, les deux ne sont pas là pour compter fleurettes mais bien pour mettre à nu leurs moteurs. Comme si les White Stripes avaient des tripes et les coui»#es de les mettre sur la table. Pas de pur stoner mais un vrai moment de rock n’roll.
Dans la vie il faut faire des choix. Aucun moyen de savoir si l’on fait le bon mais ce weekend quoi qu’il se passe on ne pourra pas tout voir, tout faire. C’est terrible mais le running order est ainsi fait. Autant de bons groupes, ça aurait été étonnant que tout s’enchaîne si facilement surtout pour une première édition. Tout voir est synonyme de rater des débuts et des fins de sets à outrance. Alors plutôt que la quantité, il faut viser la qualité (à mes yeux) et donc miser sur comment assister à un maximum de set complet.
Pause dîner et un coup d’œil vers la Desert Stage où Blues Pills semble ravir une salle comble de fans. On assiste ainsi à un joli moment de jam, on voit que la prêtresse du groupe a fait péter la robe rouge et est comme toujours très en voix. L’intro de « Devil Man » qui suit nous le confirme et on se dirige vers la Vulture Stage où d’autres protégés de Fuzzorama s’apprêtent à faire parler la poudre.
VALLEY OF THE SUN
Découvert pour ma part en première partie de Truckfighters lors de leur tournée de début d’année, c’est avec grand plaisir que je me retrouve nez à nez avec le groupe en mode « un cm de plus et je suis sur scène avec eux ». Changement de bassiste pour le power trio américain mais toujours la même puissance et énergie qui se dégagent. Le terme « power trio » leur sied à merveille, leur stoner à fortes inspirations hard des 90’s fait mouche. On sent que le groupe est encore en mode conquête et d’une grande humilité à remercier très sincèrement la ferveur du public qui répond à leur musique de headbang et de clappements de mains fournis. Le son déboîte, l’énergie que dégage le batteur assomme, la basse groove et la guitare tranche dans tout ça. Ce ne sont pas des débutants et ça se sent, la taille de la scène reflétant malheureusement leur notoriété, il n’y a aucun doute que sur une scène plus imposante l’unanimité serait la même. Riffs, breaks, solos s’enchaînent et nous déchaînent. Une claque tout en sobriété.
TRUCKFIGHTERS
Il est maintenant temps d’aller voir les patrons du label du jour. Direction la salle principale déjà bien remplie. Le festival est sold out et ça se sent, la circulation entre les scènes est néanmoins aisée, on attrape des bières partout et – détail technique important – des écrans répartis dans chaque scène affichent le programme du jour : si jamais vous avez perdu votre livret ou que vous n’arrivez pas à vous relever de la baffe du précédent concert, c’est super pratique. Les suédois débarquent et comme à l’accoutumée font de leur live une expérience physique intense. Le son semble un poil faiblard en début de set, mais très vite on comprend qu’en Belgique on ne plaisante pas avec les limitations de décibels et qu’enchainer un énorme show dans une grand salle après avoir été à deux mètres des amplis dans le bar, forcément ça joue sur la perception de puissance. Néanmoins aujourd’hui rien n’arrête le rouleau compresseur Truckfighters. Setlist rodée et efficace qui met en valeur le dernier né (pour la première fois en live le groupe nous interprètera « Mastodont »), sans oublier de piocher un petit peu dans les autres fournées du groupe. Finalement le plus original c’est savoir qui est derrière la batterie… Enzo est toujours derrière les fûts et est certainement le batteur qui leur correspond le mieux. Même débauche d’énergie, un jeu précis mais fourni, une dégaine de touriste qui va à la piscine (pieds nus et serviette à l’appui), bref aujourd’hui le trio est en pleine forme et en pleine possession de ses moyens. Il semble loin le petit trio de suédois fraîchement débarqué avec son desert cruiser sous le bras. Truckfighters c’est maintenant un gros nom du stoner, une tête d’affiche, une machine bien huilée qui continue de vouloir grandir. Le groupe se permet de plus en plus de faire durer les intros tout comme les outros, de faire chanter le public à leur place et de caler en fin de set une version toujours plus dense et énorme de leur titre phare. La classe au dessus en quelque sorte.
THE VINTAGE CARAVAN
Les gros noms c’est bien, mais l’avantage des festivals c’est de découvrir aussi les noms de demain voire même ceux d’après demain. Où se situe The Vintage Caravan dans tout ça, on se le demande. Véritable phénomène de par la jeunesse des protagonistes venus tout droit d’Islande (oui oui l’autre pays du… bah du froid), quand nous revenons dans la Vulture Stage celle-ci déborde et surtout exulte. Le trio rappelle l’énergie d’un autre trio tout juste précédemment vu. Ces trois là ont tout compris, ils donnent tout sur scène. Le bassiste se promène dans la foule, les cheveux volent, ça communique avec le public. Ca transpire l’envie de plaire et de partager. Leur stoner 60’s/70’s parfaitement exécuté (à en dégoûter les plus vieux musiciens) dégage une énergie et une folie contagieuse. L’euphorie est collective, à en regretter d’avoir raté le début du set. Ils ont leur personnalité sur scène, reste à la peaufiner pour l’aspect musical et bientôt ces trois là seront sur des scènes bien plus grandes. Ce soir ils nous ont convaincu qu’il faudra compter sur eux dans les prochaines années. Une leçon d’envie !
KADAVAR
Les heures défilent, on ne sait plus où donner de l’esgourde. C’est le premier jour et on en a déjà pris plein les mirettes. Pour clore la journée va falloir du costaud et je ne sais pas si c’est ce qu’avait en tête l’orga mais grand bien leur a pris de placer Kadavar en ultime tête d’affiche du soir. Là faut pas tortiller des fesses pour comprendre que ce soir, le groupe ne fera pas de prisonnier. Le son est rond, allie puissance et précision, les riffs sortent limpides au milieu de la déflagration des cymbales martelées pleine puissance tout en groove soutenu par la basse. Le groupe semble en état de grâce dans ces conditions. C’est une démonstration de machines bâties pour le live qui s’exécute ce soir à Anvers et Kadavar est l’image même du groupe qui maîtrise. Une prestance scénique folle, sans en faire des caisses, des morceaux taillés pour être balancés pleine balle dans la tête du public et ce petit quelque chose d’unique qui fait la différence que je nommerai la cohésion du groupe. Démonstration est faite que sans prétention ni artifice, qu’ avec beaucoup de sincérité et d’efficacité un groupe peut vous mettre une baffe. Setlist variée, communication au minimum avec la foule, Kadavar grave dans nos mémoires la première soirée du Desertfest Anvers comme une pure réussite.
Ca ne fait qu’une journée, vivement les suivantes mais faite qu’elles soient à la hauteur… et elles le seront.
[A SUIVRE…]
[Photos : daMusic.be]