La fatigue commence à marquer les corps en ce troisième jour de festival, mais la dopamine produite par une affiche stoner / doom survitaminée et quelques surprises vont bientôt régler ce problème. Un point de satisfaction ce matin en arrivant sur le site : même si le pays est au point culminant de son épisode caniculaire, un “toit” de nuages semble un peu protéger Clisson des assauts du soleil, ce qui se confirmera dans la journée et la rendra bien moins difficile que la veille…
Notre live report en video :
Howard
Pour lancer les hostilités sur la Valley, le trio parisien démarre son set en toute décontraction, soufflant dans ce que nous appellerons un biniouotron (soit une pipe électronique qui fonctionne sur le principe du kazoo) avant d’allumer le feu sur les planches. Howard, qui a réduit la place du clavier dans sa musique, évolue entre différents styles qu’il est difficile de répertorier ici. Le chanteur JM fait l’annonce de sa non binarité et entraîne le public derrière lui dans un circle pit de tendresse et un fier wall of Love. On ressort de là sans la certitude d’avoir réellement vu un concert de metal, mais qu’importe car la foule nombreuse repart avec le sourire aux lèvres et des arcs en ciel dans les yeux.
The Midnight Ghost Train
S’il y a un groupe à la carrière chaotique, c’est bien The Midnight Ghost Train. Depuis une dizaine d’années, le groupe a connu diverses pauses (voire des arrêts “définitifs”), des mini tournées ou concerts ici ou là, évidemment des changements de personnel autour de Steve Moss, etc… Et pour 2025, cette mini-tournée européenne autour du Hellfest est annoncée comme (probablement) la dernière du groupe ! A l’heure du concert, Steve Moss arrive avec le sourire, mais… repart en coulisses immédiatement. Une corde cassée apparemment… Moins de deux minutes plus tard, il revient, sans impact donc, et nous aurons mis à profit ce temps de pause pour découvrir que la composition du groupe avait complètement changé, nouveau batteur et nouveau bassiste – ce dernier étant en fait Chuy Smit, le guitariste de Sons of Node, le groupe néérlandais qui accompagne TMGT sur cette tournée ! Bref, Moss fait vrombir le fuzz obèse de sa guitare et lance un furieux “Along the Chasm”. Enchaîné à ce rageur “Gladstone” cher à nos cœurs puis à ce glorieux “BC Trucker”, on comprend vite que cette tournée hommage à l’album Cold Was the Ground qui fête ses 10 ans ne fait pas les choses à moitié, et toutes les compos originales du groupe aujourd’hui en seront issues ! Pas de quoi se plaindre, cet album étant probablement leur plus abouti et réussi. Les premières minutes nous font re-découvrir ce son de guitare glaireux et saturé emblématique qui porte des riffs taillés pour décorner des bœufs, le chant guttural et hargneux de Moss, et un sourire mi-satisfait, mi-nostalgique nous gagne. La section rythmique s’en sort avec les honneurs, et même si l’on regrette un peu les gigues de pachydermes qu’échangeaient Moss et Mike Boyne en faisant vibrer les planches à coups de pieds sur le sol, le trio sous sa forme du jour ne manque pas d’énergie. Pour finir sur une note un peu mitigée, le groupe bouffe complètement son créneau, empiétant de presque 10 minutes sur l’horaire de fin prévu (nos hommages aux techniciens qui doivent rattraper le retard ensuite…). Globalement toutefois, un retour gagnant de TMGT, et un vrai plaisir pour les spectateurs.
Mars Red Sky
Le statut de Mars Red Sky depuis quelques années au sein de la scène française et européenne justifie des invitations régulières au Hellfest. En outre, le trio girondin est un habitué des tournées intensives et des concerts de tous ordres (clubs, grandes salles, festivals…), on n’est donc pas étonné de les voir prendre la scène avec leur aisance habituelle, sans pression apparente. Autre constante avec le groupe : on vient les voir pour se faire envoûter et écraser par leur musique, et pas pour les regarder danser la gigue. Ils savent occuper une scène, ils ne sont pas figés (il faut voir Mat derrière ses fûts qui tient difficilement en place…), Jimmy échange pas mal avec le public entre les morceaux (“Salut les Vieilles Charrues !“) mais c’est la musique qui prime. Et côté musique, donc, on a affaire à un groupe en totale maîtrise de son sujet. Élaborer un set de 40 minutes quand on a 5 albums et plusieurs EPs dans sa discographie est compliqué. Mais ils parviennent à proposer un savant mélange de titres nouveaux (“The Final Round”, le plus audacieux “Maps of Inferno”, qui passe bien…) et de classiques (“Apex III” impeccable, “The Light Beyond”, le final obligatoire sur “Strong Reflection”). Peu de risques de tomber à côté quand on a ce type de compos en rayon… Le public est bien dedans, bénéficiant encore une fois d’un son classieux. Nonchalant (les nuages sont appréciés, mais la chaleur est quand même là, ainsi que la fatigue), il ondule au gré des lignes de basse et se laisse bercer par les vocaux enivrants et les leads de Julien. Ce dernier est impeccable aujourd’hui, parfaitement juste dans son chant (on sait comme c’est un marqueur important de la musique de Mars Red Sky) et son jeu de guitare. Très bon concert.
Witchfinder
Les rumeurs bruissent en coulisse depuis notre arrivée sur site ce matin, et se confirment sur les réseaux officiels du festival moins d’une paire d’heures avant : Stoned Jesus, prévu sur ce créneau, a rencontré un soucis d’enregistrement de leur matériel sur leur vol et ne pourront pas être sur site à l’heure pour le créneau prévu. Au débotté, pour remplacer le groupe ukrainien au pied levé, l’orga a mis le grappin sur un des groupes pertinents stylistiquement pour la Valley, qui était « dans les murs » … et sur ce coup du sort, c’est Witchfinder qui remporte le pompon ! Le quatuor évoluait la veille dans la petite Purple House, et ont été informés le matin-même de l’opportunité. A en juger par le sourire des doomsters auvergnats qui arrivent backstage, ce n’est pas vraiment une mauvaise nouvelle. Évidemment, avec un délai de prévenance si court et un auditoire pas vraiment similaire à celui de Stoned Jesus, la Valley ne fait pas le plein, même si le remplissage est très honnête au vu des circonstances, avec pas mal de fougueux supporters de la troupe au milieu ! Sur scène, la seule vraie surprise ne concerne pas la musique (2 concerts de Witchfinder en 2 jours : on commence à être rodés) mais la robustesse scénique : le groupe, sans préparation, assure crânement un set solide, sans fioriture, et ne montre pas de signe de nervosité. Leur set list repose pour beaucoup sur leur second album Hazy Rites, et l’ensemble s’enchaîne sans baisse de régime, leur doom puissant fonctionnant bien auprès du public composé d’amateurs mais aussi de curieux (voire même de surpris, avec certains qui n’ont peut-être pas encore eu l’info de la défection de Stoned Jesus…). Une opportunité sur laquelle le groupe a bien capitalisé !
Conan
A priori, la perspective d’un énième concert de Conan ne sonne pas forcément pour vos serviteurs, un peu blasés et un peu usés, comme le point fort de la journée, en ce milieu d’après-midi. Pourtant, le trio anglais emmené par Jon Davis va délivrer sous nos yeux une excellente performance. Désormais épaulés par le vétéran David Ryley à la basse (discret mais impeccablement lourd), qui vient enrober la frappe de mule de Johnny King derrière ses futs, Conan lance les hostilités sur des extraits de son nouveau disque, puis bifurque assez vite vers ce qui ressemble à la recette d’un set solide et dévastateur : « Levitation Hoax », les classiques « Hawk as a Weapon », « Satsumo » et « Foehammer » tous enchaînés… les dégâts sur le public sont considérables. Bien armés par un son bulldozer, et par un Davis en bonne forme (on a parfois connu son chant moins assuré qu’aujourd’hui), la prestation du jour ne souffre d’aucune faiblesse, bien au contraire. Le final sur le terrible « Volt Thrower » vient achever les premiers rangs aux cervicales endolories, et on ne comprend pas trop ce qui s’est passé. Conan a été excellent aujourd’hui.
Du côté de la Purple House…
Sons of NodeHeureuse découverte que ce jeune groupe néerlandais (présent ici par opportunité, étant en tournée avec The Midnight Ghost Train), qui propose un stoner costaud et aux nuances sludgy très bien fichu. Énergiques malgré la chaleur, le groupe ravit un public assez nombreux au vu de la faible notoriété du combo. Au débotté les Hollandais se voient passer de trio à quartette grâce à l’amicale participation de Steve Moss de The Midnight Ghost Train qui vient ajouter ce s’il faut de gras à leur doom déjà généreusement destructeur. Il faut dire que les deux groupes sont proches depuis plusieurs années, et leur tournée commune nous permet donc de prendre notre pied sur un “Carbon Remains” où Steve tient la voix ainsi qu’une reprise de Tom Waits – “Goin’ Out West”. Décidément cette édition du Hellfest est propice aux bonnes surprises! |
Du côté de la Purple House…
DragunovLe duo de post metal français se présente dans la cage pour ce qui était initialement prévu pour être le dernier concert du jour dans la Purple House. Même si le soleil fut moins rude que la veille aujourd’hui, et que l’organisation a essayé d’aérer au maximum, la température dépasse les 35° à l’intérieur et l’atmosphère est moite… Les conditions parfaites pour que le groupe nantais fasse vrombir la machine à riffs et à blast beats pendant 45 minutes. Le public est furieux (on verra un circle pit se former autour de la cage) et prend son pied. Les musiciens torses nus donnent de leur personne et l’on ressort de la salle humides mais souriants. Très bon set. |
My Sleeping Karma
Il y a deux ans, Steffen, batteur emblématique de My Sleeping Karma et membre fondateur du groupe, décédait après un long combat contre la maladie. Connaissant son importance dans la formation allemande et la synergie entre les musiciens, il était tout à fait probable que ce sinistre événement ne signe la fin du groupe. Il y a quelques mois encore, on n’espérait plus vraiment voir le groupe à nouveau sur les planches ou sur disque – jusqu’à fin d’année dernière, où ils ont annoncé la re-naissance du groupe, complété par un jeune batteur ami de longue date du groupe. Difficile de décrire l’ambiance qui règne dans le public, en attendant que le quatuor monte sur les planches, où se mêlent excitation, joie, doutes, émotion… C’est avec le sourire et la désormais rituelle étreinte de plusieurs secondes que le groupe monte sur les planches, et engage l’épique “Brahama”. Il serait faux de dire que le groupe n’a pas changé et que tout est comme avant. Les interactions entre les membres du groupe sont toujours là, les sourires échangés (avec le nouveau batteur aussi d’ailleurs)… Mais forcément l’alchimie est différente. Est-ce que ça nuit à la prestation ? Franchement pas, l’ambiance est parfaite, un sentiment de joie et de plénitude se répand du premier au dernier rang de cette Valley très bien remplie, tandis qu’un peu plus tard le puissant “Ephedra” retentit dans les amplis, générant force headbang et danses dans le public. Notons au passage que le nouveau batteur André s’en sort avec grand talent. Seppi et Matte sont impeccables en front de scène, souriants et immergés dans leur jeu, ils occupent bien la place et interagissent copieusement avec le public (Matte leur adresse souvent quelques mots entre les chansons). “Maya Shakti”, audacieux extrait du dernier album du groupe, passe parfaitement en milieu de set. Juste après, le groupe dédie le classique et délicat “Ahimsa” à Steffen, et l’émotion est palpable, dans les regards des musiciens mais aussi du public, où les yeux humides se mêlent aux sourires… Le groupe finit évidemment avec “Hymn 72” et les milliers de personnes qui ont assisté au concert repartent, eux, plus heureux et plus légers. Rares sont les groupes à produire un tel effet. Splendide.
Du côté de la Purple House…
Stoned jesusStoned Jesus a du céder sa place sur la Valley (à Witchfinder – voir plus haut) à cause de tracas aéroportuaire et se retrouve en conséquence enfermé dans la cage de la Purple House un peu plus tard dans l’après-midi – c’est mieux que rien. Pensez-vous que cela gêne les Ukrainiens et leur public ? Que nenni ! On bourre la tente de fans (la masse de personnes bloquées devant l’entrée à l’extérieur dans l’espoir de pouvoir rentrer est éloquente), on enferme le groupe derrière les grillages et c’est parti pour un set explosif qui ferait couler les murs de sueur si ceux-ci n’était pas tapissés de fourrure synthétique. Le set est solide et Stoned Jesus file tout droit jusqu’à “I’m The Mountain”, suscitant toujours cette même irrationnelle réaction du public. Le concert prend une tournure hystérique… qui est le fou qui a pu se dire qu’il serait judicieux de faire jouer un tel groupe sur cette scène ? Un fou bien malin semble t-il car le public n’en peut plus de plaisir, et le groupe tout autant que lui annonce qu’il vit là l’un des meilleurs sets de sa carrière. En outre, le trio improvise le tournage d’un clip pour un de ses nouveaux titres au milieu de la cage… Du grand n’importe quoi, où Igor balance une de ses pompes dans le public – on espère que l’acquéreur est un fétichiste du groupe et des pieds ! |
Windhand
On est assez excités à la perspective de retrouver les trop rares Windhand fouler les planches. Rares sur scène, les doomsters américains le sont aussi sur disque, leur dernier album datant de plus de 7 ans maintenant… Première surprise, de nouveaux membres font partie du groupe : Thomas Hamilton, que l’on connaissait derrière la guitare de Druglord, s’est emparé de la basse, et Leanne Martz de la seconde guitare. Cette dernière, qui ne vient pas de très loin puisque recrutée par Dorthia Cottrell pour l’accompagner sur son projet dark-folk, apporte un vrai bonus à la formation, faisant preuve d’une fougue et d’une énergie qui font du bien à un groupe par ailleurs un peu morne sur scène. Il faut dire que la musique du combo ne se prête pas à la gaudriole et à enchaîner les double salto depuis le kit de batterie surélevé : le doom de Windhand est toujours aussi lent et ténébreux, et le public est venu pour ça, headbanguant au ralenti pendant tout le set. On espérait un peu de nouveauté (un inédit, signe de l’écriture d’un nouveau disque ?) mais que nenni : le groupe compose une set list sans risque, avec ses titres les plus connus. Forcément, réécouter des pièces comme “Amaranth”, son riff fuzzé énorme avec double guitare, le chant hanté de Cottrell, qui dodeline sur la scène, c’est toujours un kiff. Il en va de même pour ce final trois étoiles qui voient s’enchaîner “Cassock” et “Orchard” issus du superbe Soma. Mais au final, on reste dans quelque chose d’assez basique et sans relief. Ce set aurait pu être joué à l’identique il y a 6 ou 7 ans, on aurait autant apprécié. Allez, Windhand, il faut tenter quelque chose, se remettre un peu en question ou… proposer un nouveau disque ?
Have a Nice Life
Le gang du Connecticut synthétise les années quatre-vingt pour en extraire un post-tout empreint de nappes synthétiques, de lignes de basse carrées, de bandes-son glauques, des passages EBM et des cris colériques lors de passages transpirants l’urgence. Le public est moins nombreux pour entamer ce virage stylistique à La Valley (on croise le public présent la veille pour Crippled Black Phœnix) qui va l’apporter jusqu’au milieu de la nuit. Échappant à notre style de prédilection, le set des Ricains appuyé par des lights aux petits oignons fait son effet auprès d’amateurs de sensations propices à se trémousser bercés dans leur enfance avec la trilogie mythique de The Cure, leur adolescence boutonneuse avec Michael Stipe dont la tessiture vocale est proche et leur trentaine avec les chants désespérés de Band Of Horses (on est loin du stoner). « Deep, deep » sera le point d’orgue de ce set avec l’intensité qu’apporte le frontman en vivant sa musique. Un final grandiose vient ponctuer ce dernier show de leur tournée européenne quand le groupe lâche toute son énergie sur une ligne de basse impeccable (clairement un atout de cette formation pour l’exercice live) rappelant « The Caterpillar » de la bande à Bob Smith.
Russian Circles
Le trio américain de post metal a copieusement tourné ces derniers mois, y compris via une salve de dates en France notamment ; il n’y a donc pas vraiment de parfum “événementiel” qui vient entourer cette prestation. De plus, le groupe est rodé et… assez prévisible, et l’on sait à peu près avant même que le concert commence ce que l’on va trouver : Mike Sullivan va interpréter ses parties de guitare statique, debout, l’air pénétré par sa musique, droit comme un I quasiment tout le concert, Dave Turncrantz va taper fort et de manière métronomique sur ses futs, et Brian Cook, empêché par ses matériels (pédales, claviers…) va rester dans son coin à gauche, à headbanguer comme un furieux. Le tout baignera dans un océan de lights sombres (!), si possible en contre jour. Guess what ? C’est exactement ce qu’on a eu ! Heureusement, la surprise est venue de la set list… ah ben non. Que des classiques ! L’enchaînement “309” / “Harper Lewis”, puissant et efficace, nous fait déjà imaginer une set list sans surprise, ce qui se confirmera assez vite. Tout au plus les plus récents “Betrayal” et “Gnosis” qui viennent clôturer le set sont un peu moins connus, mais pour le reste, du classique, avec une mention particulière pour un efficace “Mota”, mêlant mélodie et riffing massif en final. Le set défile ainsi sans déplaisir, efficace en diable, doté d’un son colossal au cœur de la nuit, mais, donc, sans surprise.
Ce final solide mais moins excitant que les soirs de la veille ou de l’avant-veille nous va bien pour clôturer cette troisième journée, et la liste incroyable de concerts à nouveau vus aujourd’hui nous étourdit presque tandis que nous rejoignons notre lit bien aimé… en attendant la dernière journée !
[A SUIVRE…]
Textes & Photos : Chris, Laurent, Sidney Résurrection
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