Sleep, Clutch, The Atomic Bitchwax, Down, Eyehategod, COC, Motorpsycho, Karma To Burn, Orange Goblin, Colour Haze, Truckfighters, Church Of Misery… Voici quelques noms seulement qui ont orné l’affiche de ce modeste festival espagnol depuis 2011. Difficile de faire mieux. Et l’événement a lieu dans l’excellente salle du Santana 27, à Bilbao, soit à peine plus d’une heure de route de la frontière… Ca parlait pas mal français dans la salle cette année, manifestement pas mal de « sudistes » n’ont pas manqué cette occase. Et nous non plus ! Pour des questions bassement logistiques, on n’aura pas pu assister à la soirée du samedi, probablement plus en vue (qui accueillait Wolfmother, Elder, Black Rainbows, Carousel et Electric Citizen), mais le vendredi soir avait des arguments massue à faire valoir…
SANTO ROSTRO
Un trio espagnol (andalou, à plusieurs centaines de kilomètres – on ne va donc pas vraiment les appeler « locaux ») a l’honneur d’entamer la soirée devant un public pour le moment clairsemé (20h, pour un espagnol, en gros c’est à peine la fin de la sieste…), mais qui grossit petit à petit. Sans être terrassés par l’originalité du combo, on note quand même une vraie volonté de synthétiser dans son doom des influences prog, noise ou un peu tout ce qui peut se cacher derrière l’étiquette « post-quelque chose ». Et ça fonctionne pas mal. Le set est carré, et la performance des ibères impeccable : ils tiennent bien la scène, signe tout de même d’une expérience scénique sinon intensive, en tout cas enrichissante. On passe un vrai bon moment durant la grosse demi-heure de concert. Efficace.
TROUBLE
Premier « gros morceau » de la soirée, les ricains de Trouble montent sur scène devant un public qui, manifestement, connaît ses classiques. Quoi qu’il en soit, le quintette ricain, après une période un peu « perturbée », a gagné ces quelques années en stabilité et a (re)construit une assise robuste grâce au vocaliste Kyle Thomas et au bassiste Rob Hultz (respectivement des anciens Alabama Thunderpussy et Solace, entre autres). Votre serviteur n’ayant pas eu l’occasion de voir le groupe depuis de très longues années, il est rassuré dès les premières minutes du set : on est loin du groupe de vieilles gloires passéistes et encore plus loin d’un groupe parodique (volontairement ou pas). Ca joue, et ça joue même foutrement bien ! La paire de bretteurs-fondateurs Franklin / Wartell est impeccable, on n’en attendait pas moins : riffs sur-heavy, soli incisifs, ils sont sur tous les fronts, sans parler de ces parties harmonisées parfaitement exécutées. Sosie officiel de James Hetfield, Thomas ne sonne pas comme le frontman de Metallica, ni comme son illustre prédécesseur Eric Wagner, en fait : sa puissance vocale remarquable, un peu plus teintée « metal », se fond désormais impeccablement dans le style du groupe. Le chanteur assume par ailleurs son rôle de frontman sans réserve, tout en se mettant en retrait derrière ses ainés pour mieux faire briller ces gloires du doom. Seul Rob Hultz assure ses lignes de basse sans trop en faire, relax dans son coin, taciturne. Le son, comme souvent dans cette salle, est au top, et permet de profiter des perles du groupe ricain, dont on mettra en avant le classique « At the end of my Daze » ou à l’autre extrême de leur discographie, un « When the sky comes down » qui montre que même sur leur dernière production, Trouble n’est pas venu pour enfiler des perles. Evidemment, la traditionnelle reprise de « Supernaut » de leurs parrains naturels mettra tout le monde d’accord, quelques instants avant la fin d’un set qui aura réalisé un quasi sans faute. Pour parfaire l’histoire, on retrouvera les zicos dans le public jusqu’à la fin de la soirée ensuite, discutant avec tout le monde, signant des disques et posant pour des dizaines de selfies avec le sourire.
CROWBAR
On a déjà assisté aux sets rouleau-compresseur de Crowbar aux deux Desertfest, où le quatuor a laissé des traces rugueuses, voire des meurtrissures auditives encore bien vives dans nos esprits. On est en tout cas mieux préparé à une nouvelle salve. Niveau mise en place, zéro surprise, Windstein se pose penaudement derrière son micro et foudroie le public de son regard de tueur froid dès les premiers accords posés, tandis que ses deux piliers Brunson et Golden se postent à ses côtés, de part et d’autre de la scène, la mâchoire serrée, prêts à en découdre. Et c’est parti ! Un son bulldozer, une set list qui relève plus de la cartouchière que de la liste de courses… il n’en faut pas beaucoup plus pour emporter le public. Un public toutefois qui ne remplit pas la très grande Santana 27 (capacité de 1500 personnes… même avec plusieurs centaines de personnes, ça ne déborde pas – le lendemain l’affiche rassemblera plus de monde encore), et avec un public espagnol pas forcément le plus prompt à slammer et animer le pit… donc niveau ferveur, on n’est pas non plus dans un club de 50 places surpeuplé où les gars se montent dessus en beuglant. Mais bon, ça se bouscule quand même gentiment, ça headbangue dru et plus généralement, ça s’éclate. Niveau set list, on est habitués, ça donne dans la charcuterie de compèt’, et dur de faire la fine bouche. Au-delà de l’improbable mais toujours efficace enchaînement « All I had (I gave) » / « Planets Collide », on notera entre autres un bon « To Build a Mountain », et tant d’autres bûches à encaisser que l’on perd vite le compte. Pas le concert du siècle pour le quatuor louisianais (on préfère quand même quand c’est la guerre dans le pit), mais un excellent cru, et une nouvelle preuve si besoin en était de la véritable machine à tuer qu’est devenu le groupe sur une scène. A noter, à l’image de leurs partenaires de tournée sus-mentionnés, les bonhommes viendront à la rencontre du public, informellement, pendant un bon moment, relax.
UNCLE ACID & THE DEADBEATS
Il devient difficile de voir l’oncle acide et ses bon-à-riens live, la faute à un groupe qui d’une part cultive un peu la rareté et la discrétion, et d’autre part ne joue pas le jeu « classique » des tournées habituelles pour des groupes de cet acabit. Le groupe de Kevin Starrs est par ailleurs cantonné à une diffusion vinylique toujours assez modeste, chez les confidentiels Rise Above, sans l’appui d’une major. Difficile en conséquence de « calibrer » et évaluer la notoriété de ce groupe, et donc de jauger sa place sur l’affiche. Sauf qu’il ne faut pas longtemps pour comprendre que la tête d’affiche est bien justifiée : dès les premiers accords de « Waiting for Blood » qui introduit aussi le dernier album du groupe, on prend la mesure de la superbe machine qui déroule sa mécanique bien huilée sous nos yeux. Doté d’un light show superbe (encore une constante de la soirée), on notera en particulier l’absence absolue de lights en façade durant leur set, plongeant les quatre zicos dans un anonymat quasi absolu (tandis qu’on distingue les autres, Starrs est continuellement dissimulé derrière sa tignasse). Le paquet est donc mis sur la musique, et là on est tout simplement confronté à une exécution pas éloignée de la perfection : mêmes sons de guitare que sur album, mêmes vocaux légèrement nasillards de Starrs (à noter les superbes parties en chœur impeccablement justes, parfaitement exécutées par le bassiste et le guitariste rythmique), mêmes arrangements… Rien à redire. Même les soli, quand ils ne sont pas copié-collés, restent d’une efficacité déroutante, et souvent propices à des duos de six-cordes enthousiasmants avec l’un des frères Rubinger (l’autre étant bien occupé à marteler ses futs). Anonymat ne signifiant pas timidité, l’incarnation musicale fonctionne et les gars vivent bien leur musique (les collègues de Starrs ne ressemblent plus à un tas de mercenaires aseptisés). Dans le public, phénomène presque inédit, ça… danse… partout, aux quatre coins de la salle. D’ailleurs, regard subjectif ou pas, la proportion féminine de l’assistance se fait plus présente, notamment dans les premiers rangs, où les rythmes chaloupés du combo font mouche, et où les têtes et les corps ondulent comme rarement on n’en est témoin. Remarquable efficacité. Niveau set list, rien à redire, quasiment le même nombre de titres issus de chacun des trois derniers superbes albums du groupes (et même un peu de « Vol. 1 »), avec des fulgurances sur le redoutable « Poison Apple », le langoureux « Desert Ceremony » ou le très QOTSA-esque « Inside ». Et que dire du vieux « Vampire Circus », emmené sur sa deuxième moitié par des soli et jams parfaitement jouissifs ? Après ce titre, qui marque la première (grosse) heure de set, la messe est presque dite, et le groupe se carapate discrétos pour reprendre son souffle… mais personne ne croit vraiment à la fin du set, et quelques minutes à peine ils reviennent pour quelques titres supplémentaires. Une belle claque, élégante, classieuse, et redoutablement efficace.
Le festival (sur sa première journée) s’achève donc sur cette succession de faits d’armes remarquable, et cette affiche superbe sur le papier aura tenu toutes ses promesses. Gageons que la journée du lendemain aura fait encore plus d’heureux. En tout cas nous on regardera avec toujours le même intérêt la constitution de l’affiche 2017.