« Entendre des gens qui n’étaient pas nés lors de la sortie d’Epicus (Doomicus Metallicus/1986) chanter les paroles des chansons à tue-tête, c’est la meilleure chose qu’un musicien puisse voir depuis une scène ». Mats « Mappe » Björkman revient à peine du DesertFest à Gand et il lui tarde déjà de retourner jouer live. Il a tout de même pris le temps de nous parler du nouvel album de Candlemass, Sweet Evil Sun, et de ce qu’il appelle le « Candlemass 2022 ». Une demie-heure qu’on aurait aimé voir durer le double.
Treize albums pour Candlemass, onze pour toi, une flopée d’EPs, qu’est-ce qui vous motive encore, en tant que groupe, en tant qu’individus, dans Candlemass?
Tant qu’on trouve ça fun et surtout tant que les gens veulent nous écouter, on ne manquera pas de motivation pour le faire ! La motivation, c’est de voir une nouvelle génération de fans écouter Candlemass. On devient à mon sens de plus en plus populaire. Il y a beaucoup de respect pour Candlemass et lorsque nous sentons ce respect de la part des spectateurs, alors la motivation est là. Evidemment nous ne faisons pas un nouvel album dans l’idée qu’il sera joué en boucle à la radio, ça on s’en moque, on ne veut que le meilleur pour Candlemass. Lorsqu’on s’est séparé de Messiah [Marcolin, l’un des chanteurs historiques du groupe, sur plusieurs périodes, revenu en 2004 et parti en 2006], les gens nous ont demandé si ça signifiait la fin du groupe. Non ! Si on n’a pas envie d’arrêter, on n’arrête pas ! Robert Lowe a été engagé et on s’est dit « si personne n’aime l’idée peu importe, nous, on aime ! » Nous faisons ça depuis tant d’années tu sais. Maintenant que Johan [Längquist, chanteur sur Epicus Doomicus Metallicus en 1986 et de retour dans le groupe depuis 2018] est de retour, comme un membre à part entière de Candlemass, les moments passés ensemble sont fantastiques, sur scène bien sûr mais en dehors aussi. Nous avons tous plus ou moins 60 ans aujourd’hui, tu connais l’adage : on ne vit qu’une fois, alors autant en profiter ! Si les gens aiment le nouvel album, alors c’est que du bonus.
Je me souviens de Rob Halford plaisantant dans les années 90 sur le fait qu’il ne se voyait pas, à 70 ans, faire le guignol en cuir à chanter « Breaking The Law » sur scène. Par chance il le fait encore ! As-tu le souvenir d’avoir eu ce genre de discussion avec le groupe ?
Bien sûr ! Encore une fois nous voulons faire ce qui nous plaît ! Evidement que l’avis des autres compte, je ne vais pas te faire croire que ça nous passe au-dessus. Si tu fais un album, tu t’intéresses un minimum à ce que les gens en pensent, mais comparé aux 70’s ou 80’s… [il marque une pause] En 2022, on doit faire du Candlemass 2022. T’auras toujours des gens pour nous parler de Messiah, mais c’était il y a 30 ans [il se réfère donc là à la période 1986 – 1991]. Est-ce qu’on peut arrêter de me parler de ça, s’il vous plaît? C’était il y a presque 20 ans [il semble désormais se référer à la période 2004 – 2006]. On doit avancer, on a Johan de retour, on boucle la boucle, je n’ai aucun doute sur ce que nous faisons. Bien sûr que l’avis des autres est important, mais on est Candlemass 2022. Si tu aimes, alors tu aimes Candlemass. Si ça ne te plaît pas, il te reste nos vieux albums. Finalement c’est comme pour Black Sabbath, regarde ce qu’ils ont fait durant la période Tony Martin : ça reste Black Sabbath mais ils ont fait en sorte de poursuivre leur carrière, malgré ce que les gens en ont pensé. Et c’est ce qu’on fait aussi.
Parlons de Sweet Evil Sun. C’est peu de dire que le retour de Johan Längquist a redonné un second souffle à Candlemass. Vous avez refait une tournée, et plus encore, des albums ! Après The Door To Doom, c’était l’occasion de découvrir comment travailler avec ce chanteur avec qui vous aviez brièvement collaboré en 86. Comment ça se passe la composition avec lui ?
Lorsqu’il est venu chanter sur Epicus (Doomicus Metallicus) en 86, c’était juste pour nous dépanner. Il connaissait notre batteur de l’époque [Matz Ekström], Il est arrivé à la dernière minute, a juste appris les textes en deux semaines et a enregistré l’album. Et ç’a été pareil avec The Door To Doom [2019]. L’album était fini, enregistré même avec Mats [Levén, chanteur entre 2015 et 2018]. Il était censé sortir en novembre [2018] mais on s’est séparé de Mats en août et nous… [il marque une pause] Nous on a toujours voulu que Johan revienne et ce depuis le départ de Messiah. Mais ça n’a jamais été le bon moment, soit pour lui soit pour nous. Donc nous avons continué notre route avec d’autres chanteurs. Mais là les étoiles se sont alignées. Je l’ai appelé un soir pour lui demander de passer au studio dès le lendemain, histoire qu’il se teste sur un titre. Il a aimé ça et a enregistré de nouvelles parties vocales pour The Door To Doom. Pour Sweet Evil Sun c’est la première fois qu’il a été impliqué dans tout le processus d’un album de Candlemass. Depuis les premières maquettes il y a un an et il a pu mettre sa patte sur les titres. Il est pour la première fois le chanteur d’un album de Candlemass auquel il a participé de A à Z.
On a désormais un nom pour le « Doom Jam » du live de confinement Green Valley, qui est devenu l’intro de « Crucified ». C’est donc le premier titre que vous avez composé pour l’album ?
Ce « Doom Jam » était un riff composé il y a quelques années et on trouvait ça sympa de le jouer pour ce live de confinement. Ça faisait un peu de nouveauté. C’était un peu la première graine de ce nouvel album, mais c’était juste un jam. « Crucified » n’était pas composée à ce moment-là. C’était juste un truc fun qu’on voulait proposer sur notre live de confinement.
Je trouve à cet album un aspect dramatique, presque théâtral, notamment dans le chant de Längquist, très interprétatif. Je n’ai pas le sentiment d’un concept album, mais je sens quand même quelque chose de très personnel, entre deux lectures, deux interprétations.
Les paroles de l’album parlent du monde tel qu’il est aujourd’hui. Prends la chanson « Sweet Evil Sun », ça parle du fait que le monde est à la fois beau et triste. Tu trouves le soleil « doux », il fait beau mais tu sais qu’un peu plus loin il y a des guerres. Il y a tant de chaos dans le monde. Et ce doux soleil que tu regardes a aussi un côté « diabolique ». Toutes les autres chansons ont ce sens caché. « Sweet Evil Sun » donne le ton à ce que l’album veut raconter.
Dans “Scandinavian Gods” vous semblez prendre une certaine distance avec la mythologie nordique, en remettant plutôt l’homme au centre du propos.
Dans un sens oui. Mais cette chanson est un peu à part. Elle ne devait pas être sur l’album en vérité. Leif [Edling, bassiste et compositeur du groupe] me dit un jour, alors que l’album est terminé, qu’il a un titre en plus, un truc simple, un peu à la « Take On The World » de Judas Priest [Killing Machine / 1979]. Ça ne sonne pas vraiment Candlemass mais on l’aime beaucoup, d’où l’idée de le réserver pour une sortie particulière. C’est le label [Napalm Records] qui a insisté pour le mettre sur l’album. Ils l’ont même voulu en single. Ça nous a un peu embêté au départ parce qu’on trouvait que ce morceau ne se mariait pas avec le reste de l’album, il n’était vraiment pas programmée pour figurer dessus. Mais Napalm voulait vraiment ce titre alors on a réorganisé l’album pour lui faire une place. On avait peur de la réaction des gens, d’entendre qu’on avait changé de direction musicale, mais 99% des retours ont été positifs. Nous pensions que ce n’était pas du Candlemass mais c’est du Candlemass 2022 au final ! Nous l’avons sorti, on en est fiers, même si ce n’est pas le morceau le plus représentatif de l’album.
Peux-tu m’en dire un peu plus sur le passage narratif à la fin de « Battle Angel ». C’est Kenneth Anger, cinéaste sulfureux ayant de multiples connexions avec le rock et l’occultisme qui a été choisi. Vous partagez déjà avec son univers un titre : « Lucifer Rising » (sur l’EP du même nom sorti en 2008), également le nom d’un film d’Anger dont la BO a été composée par Bobby Beausoleil, l’un des meurtriers de la secte Manson.
C’est un ami à nous, qui avait fait le clip du morceau « Bewitched », vraiment connu aux USA et un de mes plus anciens amis [il parle de Jonas Åkerlund, ancien batteur de Bathory et réalisateur à succès de clips, pour Rammstein, Metallica ou Lady Gaga] qui nous a mis en contact avec lui. L’idée était d’avoir un featuring sur cet album, un peu comme pour Tony Iommi sur The Door To Doom et nous avons pu rentrer en contact avec Kenneth Anger grâce à Jonas. Tu sais Kenneth a 97 ans [95 en vérité], il ne peut même plus sortir de chez lui. Ça n’a pas été facile de le faire enregistrer. C’est bien sûr connecté à « Lucifer Rising », pas forcément directement au film mais il y a une connexion. Nous voulions le faire avec lui pour surprendre les gens, sortir des sentiers battus. Un solo d’Iommi c’est une connexion évidente pour les gens : Sabbath, le doom, Candlemass. Quitte à avoir un nouvel invité, nous voulions quelque chose de plus surprenant.
Ça rappelle forcément Orson Welles et Manowar…
Bien sûr ! Bien vu ! Un classique. C’est en effet dans l’esprit de ce que ce que Manowar a voulu faire sur Battle Hymns. Différent mais pareil si tu vois ce que je veux dire.
Parlons live, en dehors de 12 dates avec Ghost, il ne semble pas que vous ayez envie de repartir en tournée. Mais vos apparitions en festival ou dates événements sont de plus en plus fréquentes. Comment te sens-tu avec ce rythme ?
Tobias [Forge, chanteur de Ghost], est un ami doublé d’un grand fan de Candlemass et cette tournée nous a été très bénéfique. Que du bon temps. Mais le groupe ne veut plus tourner. Nous en avons parlé dès la reformation, nus avons tous des familles, certains ont un travail à côté. On ne fait que des dates par-ci par-là. Mais regarde cette année nous nous sommes retrouvés à partir aux USA pour trois concerts, revenir en Europe et repartir aux USA pour deux dates supplémentaires [entre fin avril et début juin 2022]. C’est également fatiguant. L’année prochaine ce sera différent : nous ne ferons pas de longues tournées mais on pourra enchaîner 5 concerts d’affilée. Nous jouerons bien plus en 2023 c’est promis. On a vraiment envie de défendre ce nouvel album.
Le 27 octobre dernier, tu es monté sur scène avec Anvil pour jouer « Metal On Metal » (au Slaktkyrkan, à Stockholm) et tu as été rejoint en milieu de morceau par Messiah Marcolin. C’est la première fois depuis 16 ans que tu partages la scène avec lui. L’histoire de Messiah et Candlemass est faite de hauts et de bas, quelle est la nature de vos relations aujourd’hui ?
Messiah et moi sommes amis depuis toujours. On ne se voit pas tous les jours, on ne travaille pas ensemble, ça non, mais on est clairement amis. Après toutes ces années, un vrai respect mutuel s’est installé. Lorsque les musiciens d’Anvil, que nous connaissons depuis longtemps nous ont demandé de monter sur scène avec eux nous avons immédiatement accepté et décidé de le faire ensemble. On s’est bien éclaté et le lendemain nous avons vu l’article sur Blabbermouth et les proportions que ça avait pris. Spéculez autant que vous voulez, il ne sera pas le nouveau chanteur de Candlemass. On est au clair et Messiah aussi. C’est une histoire terminée.
Peut-être pouvons nous spéculer sur un concert spécial, pourquoi pas pour les 40 ans du groupe en 2026, avec plusieurs de vos anciens chanteurs, comme cela avait été le cas pour vos 20 ans en 2007 ainsi qu’au Roadburn en 2011. Avec Messiah donc et pourquoi pas Rob Lowe, si l’état de vos relations le permet ?
Je ne te dis pas oui mais je ne dis pas non. Ça peut arriver. Je ne dis pas oui là maintenant mais pourquoi pas… Une chose est claire : ni Messiah ni Rob ne reviendront jamais dans Candlemass. Nous n’avons rien contre eux, ils ont fait du très bon boulot lorsqu’ils étaient dans le groupe mais c’est de l’histoire ancienne. Johan sera le dernier chanteur du groupe, il restera jusqu’à la retraite de Candlemass. C’est ma seule certitude à ce jour.
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