ORQUESTA DEL DESIERTO – février 2002


Il en a fallu peu pour piquer notre curiosité… La vague rumeur d’un projet qui traînait dans l’air, appelé « Desert Orchestra » à l’époque, regroupant quelques noms mythiques : Pete Stahl, Mario Lalli, Alfredo Hernandez, entre autres, et cet inconnu, Dandy Brown, au milieu… Quelques investigations plus tard, on retrouvait ce même Dandy Brown impliqué dans un autre projet tout aussi hallucinant et excitant, « Hermano », avec John Garcia (Unida, ex-Kyuss), et une poignée de musiciens au moins aussi doués… Et puis bien vite, on s’aperçoit que le même Dandy Brown ne fait pas que participer à ces projets : il les a créés ! Il n’en fallait pas plus pour nous inciter à aller rencontrer le personnage sur son domaine, dans le désert californien, à Palm Springs, dans le studio où il mixait les bandes de son dernier chef d’œuvre, Orquesta Del Desierto…

 

Dandy Brown : Tout le concept de Orquesta Del Desierto vient d’un état de fait : j’ai joué et écouté du Hard Rock pendant très longtemps, et mon but a été de prendre ces influences-là, puis de prendre en plus ces nouvelles influences latines, et simplement de jouer en les mélangeant, afin d’obtenir quelque chose qui me rappelle le sentiment que j’éprouve en regardant ces montagnes, là, juste dehors. Parce que c’est de cette manière qu’a été écrite cette musique, dans cette ambiance de chaleur presque malsaine, ce soleil, ce sable… Je pense que tout cela ressort bien dans cette musique. Si vous connaissez le désert, quel que soit le temps que vous y ayez passé, et que vous écoutez cette musique, je pense que vous ferez immédiatement le rapprochement avec tous ces éléments ; c’est vraiment une sorte de mélange entre du Hard Rock assaisonné d’une forte saveur latine… C’est incroyable, la manière dont sonne l’ensemble, comment tous ces éléments fonctionnent ensemble, c’est vraiment dingue… Il y a eu bien évidemment des moments difficiles tout au long de l’élaboration de ce projet, tu l’imagines, mais aussi des moments merveilleux, et au final, tout s’agence à la perfection et le résultat est incroyable. Je pense que cela vient du fait que l’énergie de tout le monde était en accord. Pourtant je n’aime généralement pas parler en termes d’énergie, ces trucs spirituels genre « New wave », mais en l’occurrence nos énergies se sont bien accordées et ont parfaitement fonctionné ensemble…

 

Est-il possible de décrire la musique d’Orquesta Del Desierto ?

Je dirais qu’il s’agit de rock, de pop, de salsa, de flamenco, c’est une sorte de mélange dont le résultat ne ressemble à rien de ce que j’ai pu entendre jusqu’ici. Je suis persuadé que ça peut plaire à tout le monde, à tous les goûts. Il y a une sensibilité pop dans le fait que les chansons ne sont pas vraiment des morceaux épiques de huit minutes de long chacun, mais il y a aussi une sensibilité rock qui fait qu’il ne s’agit pas de pop trop légère, désuète. Il y a aussi ces influences latines, qui donnent à l’ensemble une saveur vraiment inédite, avec les cuivres, les guitares acoustiques, toutes les percussions… Je pense sincèrement que c’est quelque chose de fabuleux… Mais bon, il s’agit de mon projet, ais-je le droit de dire ça ? (rires) Je trouve le résultat fabuleux. Ca plaira forcément, même aux gens qui s’attendront peut-être à un produit un peu stéréotypé en provenance du désert : on entend souvent parler de « desert rock », de « stoner rock », et ils pourraient croire que tout ce qui provient du désert sonne toujours aussi « hard », c’est donc probablement à ce genre de musique qu’ils s’attendront.! Ils écouteront le CD une première fois, et ils seront frappés dès la première écoute ; beaucoup de ceux qui s’attendaient à quelque chose comme Goatsnake, ou bien le nouveau Ché ou le nouveau Kyuss, vont être surpris ! Et certains pourraient ne pas aimer… Mais il se pourrait bien qu’ils l’écoutent juste une seconde fois, et se disent : « Wow, je vais peut-être l’écouter encore une fois »… et ainsi de suite ! De tous les projets que j’ai montés ou sur lesquels j’ai joué, c’est la première fois que tout le monde apprécie unanimement l’album : toutes les personnes à qui je l’ai fait écouter, des jeunes, des vieux, des trentenaires, des garçons, des filles, des hommes, des femmes, ils ont tous aimé.

Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose…

Non, c’est génial ! Tout le monde veut que le plus de gens possible puissent entendre sa musique ! Et il n’y a rien que je ne souhaite plus au monde que de voir plein de monde acheter ma musique, de manière à ce que je puisse encore faire plein de musique, et donc faire ce que j’aime le plus dans la vie, à savoir : jouer de la musique ! C’est donc juste une évolution naturelle des choses, c’est ce que tu peux espérer de mieux…

Concernant tous ces musiciens différents, est-ce que ce n’est pas frustrant de travailler avec eux en sachant qu’ils ont tous, de toute façon, un autre groupe prioritaire ?

Oh si, bien sûr ! Je peux imaginer une tournée se monter un jour, peut-être même un autre album un jour, mais lorsque tu essaies de produire un projet de cette envergure, en essayant de rassembler des gens qui viennent d’autres groupes, et que tu leur demandes de donner de leur temps pour un tel projet, cela devient très vite un cauchemar à produire ! Cela demande énormément de patience. Le simple fait de produire un « vrai » groupe, c’est très facile, car ils sont bien ‘présents’, en tant que groupe. Mais lorsque tu tentes de produire un tel projet, ça devient très vite : « Tu pourras venir tel jour ? Quels soirs as-tu des concerts avec ton groupe ? Quand répétez-vous ? »… Monter un tel projet devient très vite une vraie prise de tête, c’est difficile…

 

Evidemment, concilier tous ces emplois du temps a dû être compliqué… Comment dans ce cas avez-vous pu tout enregistrer en même temps ?

Nous avons enregistré toutes les parties rythmiques en même temps, mais nous avons enregistré le chant, les soli et la plupart des percussions séparément. Je tenais à éviter que la batterie « n’étouffe » les percussions (dont le volume est plus faible), de même pour tous les petits détails que tu peux entendre sur le disque. J’avais réalisé des enregistrements de toute la musique sur un quatre-pistes, et je les avais donnés aux membres du projet, et par la suite tout le monde s’est retrouvé ici, et le groupe a répété un petit peu ensemble, une sorte de grosse fête, avec une grosse jam. On a débarqué, on a joué les chansons, et à l’instant même où l’on a joué ces morceaux tous ensemble, on s’est tous dit : « Bon sang, on a vraiment quelque chose de spécial, là ! »…

Si jamais tu parviens à monter une tournée d’Orquesta Del Desierto, mais que l’un des musiciens ne peut pas se libérer, est-ce que tu envisagerais de jouer sans lui, avec un autre musicien pour le remplacer ?

J’ai envie de croire que dans un monde parfait nous pourrions avoir les mêmes musiciens… J’aurais du mal à faire venir dans le groupe un musicien qui n’était pas sur l’album, de toute manière. Je trouve vraiment que la participation de chacun a été déterminante dans le son de l’ensemble et dans la façon de jouer du groupe. Toutefois, si l’opportunité se présente, que c’est une chance à ne pas rater et une offre que l’on ne peut décemment pas rejeter, et que l’un de nous ne pouvait pas y prendre part, j’imagine qu’il me dirait : « Engage quelqu’un d’autre et allez faire cette tournée »… Mais comment par exemple jouer un seul concert sans Pete Stahl ? Il est la pièce angulaire du projet, il est la voix du groupe ! C’est impossible… Peut-être que c’est possible, après tout, peut-être pourrions-nous trouver un chanteur dont nous apprécions aussi la voix, mais il ne chanterait pas avec son cœur comme Pete le ferait…

 

As-tu déjà envisagé de monter ton propre groupe ?

Et bien, dans un certain sens Hermano et Orquesta Del Desierto sont des vrais groupes, ils feront probablement des tournées… Mais je vois ce que tu veux dire. Lorsque Dock Ellis, mon premier groupe, s’est arrêté, j’ai sorti deux albums sous le nom de « Dandy ». Je chantais moi-même sur ces albums, et des musiciens de session ont joué dessus. Je suis un chanteur très correct, mais je ne suis pas le meilleur chanteur, et surtout je ne suis pas le chanteur que j’ai envie d’entendre… Je ne suis pas le chanteur avec lequel j’ai envie de partager une scène de concert. J’ai donc sorti ces albums mais je me suis dit ensuite que ce n’était pas la voie que je souhaitais emprunter à l’avenir… J’aime le concept de « projet musical », j’aime travailler avec des influences différentes. Par ailleurs, je ne me suis jamais installé à un endroit assez longtemps pour vraiment mettre en place quelque chose sur le long terme. Et je pense que c’est une des composantes majeures de ma manière d’écrire : lorsque je me plonge dans une culture, je ressens cette culture, je ressens les choses évoluer dans mon environnement, et ma musique devient un reflet de tout cela. Et je pense que je ferai un autre disque lorsque je déménagerai et que j’irai m’installer ailleurs… Je pense que le prochain endroit sera l’océan, je serai donc proche de l’océan, je ressentirai cette présence et cette influence…

Bien sûr, et tu finiras par écrire des chansons des Beach Boys !

Ha, je ne pense pas que j’irai jusque là ! (rires) Mais bon, qui sait ?…

Avec quel musicien souhaiterais-tu jouer à l’avenir ?

Oh il y en a plein… Tu sais, j’ai déjà joué avec Greg Dulli (Afghan Whigs) par le passé, et lui et moi avons essayé de se retrouver sur divers projets au cours des seize ou dix-sept années depuis la dernière fois que l’on a joué ensemble. Mais il y a toujours un événement de dernière minute qui nous empêche de nous retrouver à jouer ensemble. Je pense qu’il est probablement l’un des paroliers les plus géniaux de notre époque, en tout cas au niveau des émotions que j’aime percevoir dans une chanson. Ce mec peut écrire des paroles incroyables ! Et avoir ces mêmes paroles sur ma musique, c’est quelque chose qui, je l’imagine, arrivera bien un jour…

 

As-tu composé la musique et les paroles tout seul ?

J’ai écrit toute la musique sauf pour une chanson que Mike Riley a écrite, et c’est Pete Stahl qui a écrit toutes les paroles de l’album. J’avais d’abord écrit toutes les paroles moi-même, tout était prêt, mais tant qu’à recruter un chanteur dans ce projet, je tenais à ce qu’il chante avec son cœur. Et je ne veux pas mettre mes mots dans sa bouche. De toute façon, Pete a écrit des paroles fantastiques…

De quels instruments joues-tu ?

Quand j’étais gosse, j’ai commencé à jouer de la basse. Mais au bout de quatre ans, je suis sorti avec une fille, et elle avait une sublime Alvarez acoustique, alors je me suis mis à l’acoustique. Puis lorsque nous avons rompu, je lui ai échangé ma chaîne Hi-Fi contre son Alvarez ! Je joue donc désormais de la basse et de l’acoustique, puis je me suis ensuite essayé un peu à la guitare électrique, et je joue aussi un peu de piano… En fait, à peu près n’importe quel instrument que je touche…

As-tu suivi un enseignement musical ?

Non, pas du tout ! J’étais un de ces gosses qui se mettait à jouer avec les écouteurs sur les oreilles jusqu’à ce que je comprenne ce que je jouais… J’ai acheté quelques livres, appris quelques gammes, et à partir de là j’ai progressé simplement en traînant avec mon cousin batteur et son ami guitariste : on fumait des joints dans la cave, on s’éclatait deux ou trois heures sur un même riff, puis on allait en voiture jusqu’au parc fumer encore un peu, et on revenait pour jouer encore plus de musique… Ca résume mes débuts dans la musique !

Je sais que tu es venu en Europe et que tu y es resté longtemps. Penses-tu que cette expérience t’a changé et a influencé ta musique ?

Oh, j’ai été complètement « ouvert » par mes expériences en Europe… Notre culture est vraiment jeune ici aux Etats-Unis, et en provenant de cette culture, je n’avais pas vraiment idée de ce qui était vraiment ‘vieux’ et important. Et donc en allant en Europe, je me suis imprégné de ces cultures, on sentait dans l’atmosphère que des milliers d’années de civilisation avaient précédé. La première fois que je suis venu à Paris, j’avais ces rêves en tête de devenir romancier, et j’ai continué dans cette voie quelques années… Je ne saurais pas dire à quel niveau l’Europe m’a ouvert musicalement, mais culturellement et dynamiquement en tant que personne, le simple fait de me retrouver imprégné de cette culture a été fabuleux.

 

Je suis assez curieux de savoir le genre de musique et d’artistes que tu écoutes en ce moment, et la manière dont cela influence ta musique…

Mes goûts musicaux sont vraiment très éclectiques, très ouverts. Je déteste d’ailleurs me fermer l’esprit à quoi que ce soit. Bien entendu il m’arrive de me lasser de certaines choses, mais je pense que dans tous les genres il y a de très bonnes choses, mais aussi des trucs nuls, évidemment. J’adore toutes sortes de musiques… Par exemple, j’ai énormément écouté Cream récemment, mais avant ça, c’était Sade : je suis fan de cette chanteuse depuis toujours, je la trouve absolument fabuleuse… Mais j’écoute vraiment de tout, dans tous les genres, et je retire des influences de l’ensemble.

D’où vient le nom du groupe ?

Et bien nous sommes d’abord partis d’un concept, « un orchestre pour le désert », avec tous les sons du désert dont je m’étais imprégné, les cuivres, les percussions, et tout ce que tu retrouves dans l’album ! Je tenais à ce que cela soit quelque chose de « gros », et le nom semblait assez évident… Il semblait convenir à la perfection. Au début nous voulions l’appeler « Desert Orchestra », puis je me suis dit qu’il y avait déjà les « Desert sessions », et d’autres choses avec lesquelles les gens auraient pu confondre, or la musique n’avait rien en commun… Et puis de toute façon, au point où nous en étions, tout le monde appelait déjà le projet « Orchestra », donc je me suis simplement dit que nous l’appellerions pareil mais en espagnol, ce n’est pas plus compliqué !

Depuis que ce projet est terminé, as-tu déjà composé de nouvelles chansons ?

J’ai quelques nouveaux riffs, mais j’attends de m’installer dans la prochaine ville, dans un nouvel environnement, et d’en retirer de nouvelles influences… Je joue quasiment tous les jours, je n’écris pas tout le temps, parfois je peux même jouer le même riff pendant des mois… L’écriture est un procédé très spontané, tu ne sais jamais à l’avance quand ça va arriver. Je me retrouve en train de jouer, et subitement cela se produit : « Bon sang, j’aime bien ça ! », et puis ça devient de la pure mégalomanie sur ce même riff, je le joue sans arrêt, encore et encore, et puis le riff change, évolue, je peux même y rajouter des choses, et ça devient une chanson…

Quels sont tes plans pour les mois qui viennent ?

Penser au futur, que ce soit pour Orquesta Del Desierto ou pour Hermano, n’est pas chose aisée, en tout cas au delà des dates de sortie des albums respectifs. Pour ODD, la situation est difficile : Pete a passé cinq ou six mois en tournée récemment, Mario prépare la sortie de son nouvel album avec Fatso Jetson, Mike travaille comme ingénieur du son, Alfredo a un nouveau projet situé à Seattle… Landetta et Country Mark sont les deux seuls qui ont sans doute quelques heures à consacrer à une éventuelle tournée, mais de toute façon ces deux là sont prêts à tout pour un peu d’aventure ! Mais il semblerait que Hermano ait plus de chance de tourner en premier. Nous allons attendre que l’album sorte dans quelques mois, puis nous envisagerons la situation sur ces bases en temps voulu ! En attendant, je profite paisiblement de la vie en Floride avec ma femme Analisa et ma fille Carlie… en tout cas jusqu’à ce que les albums sortent et que ma petite vie ne s’affole à nouveau !

 

février 2002 par Laurent.

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