CLUTCH (août 2018)

La paire d’albums “Earth Rocker” / “Psychic Warfare” aura clairement assis Clutch a un niveau de popularité jamais atteint jusqu’ici, leur ouvrant l’accès au “grand public” (grands festivals, grandes salles de concert en tête d’affiche, prestations télévisées…). Pour autant, stylistiquement, d’aucuns ronchonnaient en constatant une sorte de “plafonnement”, tout en étant, dans le genre, proches de la perfection. On attendait donc un peu ce “Book of Bad Decisions” au tournant, reconnaissons-le. On a eu l’occasion d’en parler avec Neil Fallon (chant) pour lever le voile sur leur nouvelle galette…

 

 

L’un de nos collègues dans l’équipe a sa théorie sur votre discographie : vos meilleurs albums seraient ceux qui clôturent une “trilogie”, et précèderaient chacun un changement de “style” de votre musique. Cette théorie ferait de “Book of Bad Decisions” l’un de ces albums charnières…

Neil Fallon : Oh, c’est une théorie intéressante… Je pense que chaque album est un instantané de là où nous nous trouvons en tant que groupe à ce moment précis. Dans certains cas nous ressentons le besoin d’étendre vraiment notre horizon musical vers d’autres directions, mais dans d’autres cas pas vraiment… Quoi qu’il en soit, ce sont toujours les quatre même mecs qui jouent des mêmes instruments, donc il y aura toujours un son bien spécifique, qui reste une constante de notre musique. Mais on a vraiment cette crainte de nous répéter, et c’est important, en tant qu’artiste, de ressentir que l’on progresse avec le temps qui passe.

 

Revenons donc au moment où vous vous êtes retrouvés tous les quatre, avec l’intention d’écrire ce nouveau disque… Quelle a été votre approche ?

Nous avons commencé à composer cet album en janvier 2017 dans notre propre studio, le Doom Saloon, dans le Maryland. Ce que je trouve le plus intéressant dans Clutch, c’est que l’on arrive chacun dans le studio avec nos propres idées, avec chacun des orientations musicales différentes. Mais c’est à quatre que nous construisons, collectivement, à partir de ces idées, des chansons finalisées pour nos albums. On essaye de laisser les chansons venir à nous naturellement. La particularité cette fois, pour cet album, est que nous savions effectivement ce que nous ne voulions pas répéter de notre album précédent…

 

 

Je trouve l’album beaucoup plus varié et riche que “Earth Rocker” et “Psychic Warfare”. Cela faisait aussi partie de votre intention initiale ou simplement le résultat du processus naturel de composition et d’enregistrement ?

Content que vous l’ayez noté… Et bien, un peu des deux, je pense. Vance Powell [ndlr : le producteur du disque] nous a beaucoup aidé dans ce sens, en particulier pour donner à cet album un son frais et live. Il faut savoir que nous avons vécu avec toutes ces chansons depuis un moment sur la route avant de rentrer en studio. Une fois que l’on est arrivés dans le studio de Vance, on s’est installés et on les a simplement jouées, tous les quatre ensemble. Mais elles avaient toutes déjà une identité très forte avant de les enregistrer. Le temps passé à écrire ces morceaux était aussi plus long que d’habitude pour nous, j’ai eu le sentiment que c’était clairement plus relax que pour l’album précédent, ce qui a probablement contribué à cela…

 

Vous avez donc passé plus d’un an à composer ce disque ! Est-ce habituel pour le groupe ? Vos albums précédents avaient été plus rapides à produire il me semble…

Oui c’est vrai, je pense que c’est le plus long de notre carrière… Ce qui est sûr c’est que nous avions décidé de consacrer tout le temps nécessaire pour écrire le genre d’album que nous avions besoin de faire. Nous voulions à tout prix éviter de nous précipiter dans la phase de composition. En revanche, on se connaît aussi assez bien pour savoir que si l’on ne se fixait pas de dates limites assez strictes pour nous remuer, rien n’avancerait ! Haha. C’est l’avantage et l’inconvénient d’avoir notre propre label, Weathermaker Music : nous sommes des deux côtés de la table, et c’est assez difficile parfois, de trouver le meilleur compromis entre l’engagement de sortir un nouvel album, et le souhait de ne pas générer un stress nuisible à notre processus d’écriture… Par chance, les planètes étaient alignées cette fois quand nous avons tout planifié, du choix du producteur et du studio, jusqu’aux dates d’enregistrement. Les dates une fois planifiées nous ont en fait permis d’avoir une année pleine pour la composition.

 

 

Sur cette période vous n’avez pourtant pas été inactifs et avez assuré plusieurs tournées. Est-ce que ça a été particulièrement l’occasion de tester certaines chansons en live ?

Absolument ! Nous avons toujours joué de nouveaux morceaux en live quand nous en avions l’opportunité. C’est avant tout pour notre besoin personnel, même si je pense que quelques personnes dans le public doivent aussi apprécier… (sourire) C’est vraiment la meilleure méthode pour vérifier que les chansons sont solides. On l’a beaucoup fait l’an dernier, sur notre tournée avec Primus : on faisait des ajustements et des petites modifications chaque soir, pour voir ce qui fonctionnait ou pas. On amène aussi notre matériel d’enregistrement partout avec nous en tournée, pour enregistrer les différentes évolutions. En revanche, c’est quand même rare que l’on écrive une chanson complètement sur la route, mais on essaye de les tester et les ajuster au maximum sur scène.

 

A t’écouter, l’influence de Vance Powell sur cet album semble importante. Pourquoi avoir mis fin à la relation avec Machine, votre producteur précédent, et pourquoi avoir porté votre choix sur Powell ?

Nous étions très satisfaits de nos albums précédents réalisés avec Machine, et ils ont eu beaucoup de succès, “Psychic Warfare” inclus. Mais comme je te disais, nous avions vraiment l’intention de distinguer ce disque des deux précédents. Un ami, qui est très proche de Chris Stapleton [ndlr : chanteur-compositeur orienté country, qui rencontre un gros succès en Amérique du Nord depuis une dizaine d’années], nous a parlé de Vance. Quand j’ai regardé la discographie de Vance, je me suis rendu compte qu’il avait produit un grand nombre d’albums que j’adorais, sans que je sache qu’il était derrière ces disques ! Les albums de Stapleton ont un super son, c’est vrai, mais Vance a aussi une super oreille pour la musique plus heavy. Il a passé plusieurs années sur la route comme ingénieur du son. Puis il a notamment travaillé pour Red Fang, Jack White, sur des disques très heavy… et ils sonnent super bien !

 

Comment se passe le travail avec Vance Powell en studio ?

Son studio, Sputnik Sound, est basé à Nashville, Tennessee. Il dispose de tout le matériel imaginable en termes d’amplis vintage, et ça ne le dérange pas du tout de passer tout le temps nécessaire à essayer tous les amplis pour trouver le son le mieux approprié pour chaque chanson. Ce qui m’a le plus impressionné chez lui était le fait qu’il ait une approche différente pour chaque chanson, comme une entité à part entière, à la fois pour son enregistrement mais aussi son mixage. Au final, chaque chanson a donc sa propre personnalité, même si l’album au global reste un tout, cohérent.

 

 

De nos jours, les albums sont généralement plus courts, et les modes de “consommation” de la musique ont changé. Une part grandissante du public semble “picorer” des chansons à la volée, au fil des offres en streaming notamment… Dans ce contexte vous sortez un album de pas moins de 15 chansons ! Quelle mouche vous a piqué ?!

Haha ! C’est sûr que l’importance que prend le streaming aujourd’hui sur le marché a sans doute pour conséquence que moins de personnes écoutent des albums entiers, du début à la fin, comme on le faisait auparavant… Et je vais peut-être vous surprendre, mais je ne pense pas forcément que ce soit quelque chose de négatif. Toutefois, à titre personnel je reste attaché à mes vieilles habitudes. Pour moi il est toujours très important d’avoir une connexion physique avec la musique. Ecouter un album, écouter les paroles, créer un lien entre la musique et la pochette ou les images… Après, je dois avouer que nous n’avions pas forcément l’intention d’avoir 15 chansons au final sur ce disque. Pour tout dire, nous pensions en enregistrer une quinzaine, mais n’en sortir que 12 ou 13 au final. Or au fur et à mesure que les chansons sortaient de la phase de mixage de Vance, nous nous sommes aperçus que nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur quels titres nous mettrions de côté. Donc vous les avez tous ! Haha !

 

Certaines de vos chansons font preuve de choix d’instrumentation audacieux et marquants, à l’image de l’apport de piano et de claviers (sur “Vision Quest” ou “Emily Dickinson”), de cuivres (“In Walks Barbarella”), etc… Il semble compliqué d’envisager de jouer ces chansons en live sans cet apport de production… Vont-elles rester uniquement sur disque ou bien est-il envisageable de les retrouver en live ?

Les chansons ont toutes été écrites avec l’intention d’être jouées par nous quatre sur scène. Toutes les instrumentations complémentaires sont apparues plus tard en fait, donc les chansons originelles fonctionnent a priori sans ces ajouts. On a la grande chance de connaître plein de super musiciens qui ont été assez sympas pour venir jouer sur ces chansons, et on est ravis du résultat. Mais nous ferons de notre mieux pour jouer ces chansons en live sans les dénaturer pour autant !

 

 

Vos tournées s’enchaînent et, en Europe en particulier, on vous voit assurer tour à tour des tournées en tête d’affiche, des festivals, des première parties de groupes d’horizons différents… Avez-vous une stratégie bien établie ? La seule ligne directrice semble être que les salles et concerts sont de plus en plus gros…

On a eu la chance de faire de longues tournées en Europe avec Thin Lizzy et Motörhead, pour promouvoir nos deux derniers albums, c’était énorme. Leurs fans nous ont super bien accueillis, et sont même largement revenus nous voir lorsque nous avons à nouveau joué ensuite en tête d’affiche. En ce qui concerne les festivals, c’est toujours le pied d’y jouer, en plus d’avoir à chaque fois l’opportunité de faire connaître notre musique à de “nouvelles oreilles”. Nous avons conscience d’avoir les meilleurs fans du monde, qui nous soutiennent depuis de nombreuses années, et qui eux-mêmes incitent de nouvelles personnes à nous écouter. Aucun groupe ne peut rêver mieux.

 

Après 27 années et une douzaine d’albums maintenant, quel est selon toi le secret de la longévité de votre quatuor ?

En ce qui me concerne j’ai commencé avec ce groupe dans le but de m’éclater avec mes potes et d’apprendre à jouer de la musique. Et en toute honnêteté, c’est toujours le cas maintenant. Si nous fonctionnons bien ensemble, je pense que c’est essentiellement parce que nous avons une vision similaire de ce qui fonctionne bien pour ce groupe. Je peux avoir des idées sur la basse, ou sur la batterie, et les autres peuvent avoir d’autres idées, mais rien ne se concrétise vraiment tant que nous n’avons pas joué autour de ces idées, tous les quatre ensembles dans une salle. Par ailleurs, nous adorons jouer en concert, partir en tournée et jouer nos chansons devant un public. C’est aussi un élément très important pour nous en tant que musiciens : si ça n’avait pas été le cas pour nous quatre, je peux vous garantir que Clutch n’existerait plus depuis longtemps !

 

 

Laurent & Iro22

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