Personne n’avait vraiment vu arriver ce livre : 232 pages de photos dédiées à “l’aventure” Vista Chino (avec les premières prises de vue qui ont commencé alors que le groupe n’utilisait même pas encore le nom de “Kyuss Lives!”), un tel “luxe” n’est pas partie courante dans notre genre musical de prédilection. Quel que soit l’avis que l’on porte sur le groupe, sa musique, force est de reconnaître l’ampleur et la qualité du travail fourni par la photographe, Katrin Saalfrank, dédié à l’un des groupes majeurs du genre. C’est assez rare, voire inédit, pour être signalé. A ce titre, l’objet trouvera sa place dans la collection de tous les fans de stoner, qui pourront l’obtenir via son site (http://www.freedomrun-vistachino.com). Nous avons profité de l’occasion pour nous entretenir un moment avec Katrin Saalfrank, la photographe à l’initiative du projet.
Peux-tu te présenter et nous présenter ton parcours en tant que photographe ?
Katrin Saalfrank : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai été élevée avec autour de moi des gens qui faisaient de la musique. Ils sont d’ailleurs tous toujours musiciens à l’heure actuelle, ou bien se sont tournés vers les métiers du son, de la lumière… J’ai donc commencé très jeune en faisant énormément de photo live mais aussi des portraits. Mais au bout d’un certain temps, j’ai commencé à ne plus ressentir le même intérêt à faire des photos de concert. J’en fais toujours un peu occasionnellement, mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est ce qui se passe derrière le rideau. Je me suis progressivement plutôt intéressé au métier des gens, leur vie, l’environnement dans lequel tu peux voir qui ils sont vraiment. Un type de photographie plus proche du reportage, un regard plus approfondi sur les choses. Je me suis naturellement orienté vers les musiciens pour cela, d’abord par affinité personnelle avec cet art que je trouve superbe, mais aussi pour essayer de savoir pourquoi et comment ils le pratiquent, je trouve ça très intéressant.
Au-delà de Freedom Run avec Vista Chino, on trouve dans tes travaux plusieurs références aux musiciens de la scène “desert rock” (Dandy Brown, Gary Arce, etc …). Comment sont arrivées ces opportunités ?
C’est moi qui les ai contactés pour leur demander.
Est-ce lié à tes affinités musicales personnelles ?
Complètement, j’adore ce genre musical. J’essaye de suivre tout ce qui se fait dans ce genre surtout dans cette zone géographique, et ce depuis plusieurs années. La musique c’est avant tout de la passion et un esprit, et la photographie c’est la même chose pour moi. Je voulais donc rassembler les deux choses que j’aime le plus.
Parlons maintenant de ton livre Freedom Run. Qui en est à l’origine : toi-même ou bien le groupe ?
C’est moi.
Quand as-tu commencé à travailler sur le livre ?
J’ai commencé à faire des recherches et du travail préparatoire à partir de fin-2009, début 2010.
C’est intéressant, car à cette époque, ni Vista Chino, ni Kyuss Lives!, ni même Garcia Plays Kyuss n’existaient encore… Cela veut-il dire qu’en fait c’était essentiellement sur John Garcia que focalisait ton projet ?
C’était John et plein d’autres personnes… John est la première personne que j’ai contactée, et à l’époque il n’était pas du tout prévu qu’ils feraient Kyuss Lives!. Mais en réalité, les recherches que j’avais engagées portaient sur un autre projet, un autre angle, sur lequel d’ailleurs je travaille toujours en ce moment : un portrait des musiciens de la première et de la seconde générations du Desert Rock.
Comment t’y es-tu prise pour finalement faire valider ton projet et entrer en contact avec le groupe ?
Dès les débuts du projet, j’envoyais des tonnes d’e-mails pour rentrer en contact avec les musiciens. Je me heurtais à des barrières qui semblaient infranchissables, je ne recevais que des réponses négatives pendant des mois et des mois. Et puis un jour j’ai eu l’opportunité de rencontrer John à l’occasion d’un festival. Il s’est avéré qu’il se souvenait de mes mails, et il a suffit d’une courte conversation pour qu’il réalise que mon projet était sérieux, et à partir de là il m’a proposé son aide.
Combien de temps a duré ton travail sur ce projet ?
J’y ai travaillé jusqu’à août de cette année, on peut donc dire presque quatre années en tout.
Tu côtoyais le groupe à la période où a retenti le fameux procès[intenté par Josh Homme et Scott Reeder pour empêcher Garcia et Bjork de s’accaparer le nom de “Kyuss” pour leur seul profit]. Quel est ton point de vue sur ce sujet ?
Pour être honnête, je ne peux pas te dire quoi que ce soit de plus que ce que tu en as entendu ou lu un peu partout. Plusieurs points de vue ont déjà été relayés dans les médias. Je n’étais pas directement impliquée, je préfère donc me garder de tout commentaire et encore moins d’exprimer un avis qui ne serait que personnel.
OK, mais peux-tu nous dire au moins si tu as observé des changements durant cette période chez le groupe ?
Ca c’est sûr, le contraire aurait été complètement anormal et inhumain. C’était vraiment une période très dure pour tous ceux qui étaient impliqués.
Comment s’est organisé ton travail sur ce livre ? As-tu passé des périodes de plusieurs semaines non-stop avec le groupe, ou bien as-tu simplement assisté à quelques concerts ou événements ponctuels avec eux ?
Un peu des deux. Ces trois dernières années, j’ai passé un à deux mois par an en Californie. La tournée en revanche, et les photos live associées, c’était presque en une seule fois, avec quelques déplacements ici ou là ensuite.
Quel membre du groupe t’a le plus surpris, quand tu as eu l’opportunité d’apprendre à les connaître mieux chacun ?
“Surpris” n’est probablement pas le mot le plus adéquat… Chacun a ses mystères sur qui ils sont vraiment, ces mystères s’éclaircissant petit à petit pour moi au fur et à mesure que j’apprenais à les connaître.
Formulons différemment dans ce cas : peux-tu nous dire ce que tu as découvert dans le comportement ou l’attitude de chaque musicien du groupe ?
Bruno est le mec le plus tranquille que j’aie jamais rencontré, il a l’esprit le plus serein.
Brant est à la fois innocent, presque naïf, et très prévenant. Il pratique parfois la méditation avant ses concerts.
Nick adore Scorpions, et il est super nerveux avant ses concerts.
Quant à John, j’ai apprécié les discussions sérieuses que nous avions, et la confiance qu’il m’a accordée à partir de la minute où nous nous sommes rencontrés.
Quel est le souvenir le plus marquant ou l’anecdote qui te revient à l’esprit quand tu repenses à tout ce temps passé avec eux ?
Je n’en vois pas un seul qui ressort, il y a des tonnes de souvenirs superbes, à commencer par le fait d’entendre ces chansons chaque soir. Ce dont je me souviens tout particulièrement c’est le fait de me retrouver assise à quelques centimètres à peine de la grosse caisse de Brant alors que je prenais des photos, et le son est devenu si profond et puissant dans mon corps tout entier, c’était étourdissant ! J’ai aussi eu l’opportunité d’avoir des points de vue vraiment différents sur les choses, comme du dessus de la scène par exemple, c’était génial ! Ou alors juste être avec les gars pour une bière après un show… La tournée toute entière était tout simplement unique, avec des moments intenses, en particulier ces instants juste avant ou juste après le concert.
Justement, concernant les émotions retranscrites par ton livre, on voit souvent les musiciens un peu “ténébreux”, introspectifs, concentrés… Pas beaucoup de place accordée aux sourires, et des musiciens qui donnent l’impression d’être souvent seuls, isolés…
Ils étaient pourtant très contents, ils appréciaient chaque jour un peu plus de passer ce temps ensemble sur scène, mais aussi avant et après les concerts. Mais j’imagine que tout le monde a besoin de temps pour lui-même au cours de la journée pour recharger un peu les batteries et se préparer pour le concert du soir. Pour cela ils lisaient, se reposaient, discutaient avec leurs familles ou allaient simplement visiter. Le tour bus, c’est comme un sous-marin : tu es enfermé dedans pendant des heures et des heures chaque jour avec toujours les mêmes personnes, donc j’imagine que chacun est content de temps en temps de se retrouver un peu seul un moment…
Mais il y a quand même un choix éditorial, je pense, à mettre en avant une plus grande proportion de photos “sérieuses”, sur lesquelles on ressent les musiciens plus réfléchis, posés… Est-ce un choix de montrer par exemple cette part de mystère qui entoure les musiciens “iconiques” ?
Je n’y avais pas pensé ainsi, mais je pense que tu as raison, car j’avais ce sentiment très souvent quand je me retrouvais avec eux. Avec chaque photo que je prenais d’eux, j’avais le sentiment d’en apprendre un peu plus sur chacun d’entre eux. Le livre raconte donc aussi, d’une certaine manière, mon périple personnel pour apprendre à les connaître. Plus tu connais les gens, plus ta photo est profonde, presque intime. Ce n’est pas uniquement la prérogative du photographe de décider de ce qui va arriver, c’est l’interaction entre la personne devant et la personne derrière l’appareil photo. Mais il restera toujours une petite part de mystère au sujet d’une personne, qui que soit cette personne : un musicien, un ami, ou même ta maman.
Globalement, avec le recul, dirais-tu que ce projet a été compliqué ?
Je mentirais si je te disais non, car j’ai tout fait moi-même, qu’il s’agisse des prises de contact, de l’organisation, du concept, de la supervision de l’édition et de l’impression du livre, etc… Au début c’était vraiment utopique de ma part d’imaginer que je tiendrais un jour ce livre entre mes mains, mais au final ça s’est réalisé ! Sans le soutien indéfectible de plusieurs personnes clés, le livre n’aurait jamais abouti. C’était très dur parfois, mais c’était une super expérience dont je ne regrette pas la moindre minute. Je pourrais même dire que moi-même j’ai beaucoup changé au fil de ce projet, j’ai appris à mieux me connaître et j’en ai tiré des enseignements très importants.
As-tu prévu de continuer l’expérience ou la renouveler avec d’autres musiciens ?
J’y travaille déjà en ce moment même !