Après une performance de haute volée en première partie de Los Disidentes Del Sucio Motel, on a retrouvé les quatre musiciens d’ABRAHMA relax, pour parler du groupe, de leurs albums (passé et futur), de la vie en tournée, des copains (Rescue Rangers), etc… Les musiciens, sympas et ouverts, nous y livrent quelques infos qui font saliver dans l’attente de leur nouveau disque qui ne devrait plus tarder, et qui sera, on l’espère (et eux aussi) l’occasion de les revoir sur scène, un terrain où ils font vraiment la différence…
Votre premier album est sorti il y a deux ans maintenant, ce n’est plus vraiment de l’actu, mais je voudrais quand même revenir sur un point qui en a surpris plus d’un à l’époque : comment un groupe qui existait à peine depuis quelques mois à l’époque [ndlr : Abrahma est né des cendres d’Alcohsonic vers 2011] réussit à se faire signer directement sur le label Small Stone Records ? Il suffit d’envoyer une démo ?
Seb Bismuth (guitare et chant) : Et bien en fait c’est même encore plus simple que ça. Il faut dire qu’à l’époque on avait déjà mixé et masterisé l’album, avec une équipe différente de celle de la version qui est sortie depuis. On avait pris Alan Douches et Jason Groves, ce dernier ayant mixé des albums de Hermano et de son guitariste Dave Angstrom. Une fois l’album terminé, on a décidé de commencer par cibler les labels qui nous tenaient le plus à cœur, c’est-à-dire en gros Small Stone, Tee Pee, Relapse, Listenable… On leur a juste envoyé un mail avec un lien pour le téléchargement de l’album, et à peine deux jours après, j’ai reçu un message de notre illustrateur, Alexander von Wieding, qui m’annonce juste : “Mec, j’ai une excellente nouvelle pour toi : Scott Hamilton [ndlr : fondateur et gérant de Small Stone Records] m’a demandé ce que je pensais de votre musique, il voudrait vous parler”. On a donc longuement discuté avec Scott pour aboutir à ce qu’il nous dise : “la musique est mortelle, mais je voudrais un nouveau mix et un nouveau mastering”. On était hésitant au début, il voulait revoir le son de batterie, des trucs comme ça. Il a fait un mix de test sur deux morceaux, et le son correspondait parfaitement à ce qu’on voulait au départ. Jason Groves avait pourtant bien bossé, mais là on avait un truc qui nous convenait naturellement. Les échanges ont duré cinq semaines environ, mais le résultat était super.
Alex Von Wieding est un peu l’artiste attitré de Small Stone, mais vous me dites que vous l’aviez déjà choisi avant même d’être signé sur Small Stone ?
Guillaume Colin (basse) : Oui, l’artwork était même prêt avant qu’on n’envoie l’album aux différents labels. On avait déjà sollicité Alex pour un EP qu’on avait fait à l’époque avec Alcohsonic, qui était une sorte de transition musicale entre les deux groupes. Au moment où on s’est séparés avec le précédent guitariste et où Nico est arrivé, on a enregistré un truc à trois, un EP avec quelques titres qui ont aussi plus tard atterri sur l’album d’Abrahma : “Vodun pt.1”, “Honkin’ Water Roof” et… Je ne sais plus quel autre morceau [ndlr : aucun autre J], mais c’étaient des titres qui amorçaient notre évolution musicale. Et Alexander avait déjà réalisé cette pochette. C’est donc une pure coïncidence.
Votre actu maintenant, c’est le nouvel album. On sait déjà que vous avez des compos…
Seb : Voilà, on en a même joué une ce soir. L’album va être enregistré mi-mai. Thomas Bellier [ndlr : guitariste à la tête notamment de Blaak Heat Shujaa] est co-producteur. C’est un pote de longue date, et il cherchait un groupe pour “se faire la main”…
Guillaume : Lui il avait envie de se lancer dans le métier, et nous on avait besoin d’une oreille extérieure.
Seb : On tenait vraiment à cette oreille extérieure. A un moment on a même cherché un producteur, mais ça faisait un gros budget, on s’est beaucoup interrogé à l’époque. Et finalement on connaît super bien Thomas, on a déjà tourné ensemble, on a à peu près les mêmes goûts… Pour tester un peu, on lui a envoyé quelques morceaux pour recueillir son avis, et il s’avère que ses retours ont été très constructifs et utiles.
Mais il vit en Californie, ça ne va pas faciliter l’enregistrement ça, si ?
Guillaume : On va faire comme pour le premier album, on va enregistrer dans le studio de Benjamin [Collin, batteur du groupe] qui est ingénieur du son, on y fait toutes les prises.
Seb : On n’attend pas de la part de Thomas qu’il joue le rôle d’un producteur dans le sens “français”, mais plutôt comme ça se pratique pour les producteurs américains : on lui a envoyé tous nos morceaux, une quinzaine environ (sachant que tous ne figureront pas forcément sur l’album), et on lui a demandé d’abord de faire une sélection. Et puis on lui a demandé son avis sur quelques titres que l’on aimait beaucoup, mais pour lesquels on avait vraiment du mal à prendre du recul. Il nous a apporté son regard extérieur, et nous a dit des choses similaires à ce qu’on pensait, mais en nous apportant des choses très intéressantes qui nous ont permis de changer et d’améliorer des morceaux. Le titre que l’on a joué tout à l’heure, “An Offspring to the Wolves”, c’est un super exemple : c’est un morceau que l’on avait déjà terminé avec une version différente, et Thomas nous a dit qu’il fallait supprimer des trucs et changer d’autres choses. On a donc refait tout le morceau, et le résultat est bien meilleur.
Globalement, à quoi s’attendre pour ce prochain album ? Musicalement, des changements ou évolutions importantes par rapport au premier album ?
Guillaume : Hormis quelques morceaux qui avaient été bien travaillés avant, le premier album avait été quasiment écrit, enregistré et mixé en même temps. Ca avait été très vite.
Seb : Et puis on sortait d’Alcohsonic, il ne faut pas l’oublier, et on cherchait encore un peu notre son, même si on avait trouvé où on voulait aller.
Guillaume : En fait cette fois-ci on a voulu resserrer le spectre, le premier album était un peu large au niveau du spectre musical. Là ça risque d’être un peu plus lent, un peu plus lourd, psyche parfois…
Seb : On avait un côté grunge parfois, que l’on assume un peu plus désormais.
Où sont vos inspirations désormais ?
Seb : On écoute des choses très variées en fait. Guillaume et moi on a à peu près les mêmes goûts. Tu vois dans le van en ce moment on peut écouter aussi bien At The Gates, donc du death suédois, et puis Herbie Hancock, Paradise Lost, Soundgarden… C’est aussi pour ça que c’est dur de nous qualifier de pur stoner. La semaine dernière, alors que l’on parlait du second album, Scott Hamilton nous disait qu’on était un groupe atypique chez Small Stone, on n’a pas grand-chose à voir avec le reste. On a décidé d’affirmer cette variété d’influences, de tous nous pointer en studio sans a priori sur le genre musical que l’on va jouer, et chacun d’amener selon ses sensibilités des idées, des riffs, etc… Donc oui, quand tu écoutes le résultat final il y a un côté psyche, un côté doom, dark… Un album plus affirmé, même si ça sera la suite logique de l’album précédent.
Et il sort quand ?
Seb : Alors ça c’est la grande question. L’idée de base ça serait fin 2014, au pire début 2015.
Et donc vous nous confirmez que ce sera chez Small Stone.
Seb : Oui. Quasiment tous les aspects sont en cours de validation, artwork, tournée, promo, etc…
Depuis la sortie de l’album, vous avez joué plus de trois fois plus de concerts dans des pays européens qu’en France. C’est une volonté de votre part de vous exporter en priorité ?
Seb : Je vais te donner mon avis personnel : je pense tout simplement que c’est de plus en plus difficile de jouer en France. En plus de ce constat, il semble qu’Abrahma intéresse plus des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne…
Guillaume : C’est plus dur en France pour plusieurs raisons. D’abord il y a plus de public pour cette scène musicale ailleurs qu’en France. Ensuite, on voit de plus en plus de structures qui disparaissent, des salles de concert qui ferment… Ca devient vraiment difficile de booker une tournée.
Seb : Cette tournée est un très bon exemple : on avait une date bookée à Barcelone, et le but était de trouver deux dates sur le trajet aller, et deux autres sur le retour. Et bien ça a été une galère totale… Certes, on s’y est pris un peu tard, mais quand même, j’ai travaillé un mois dessus, et on n’a quasiment pas eu de retours, et quand on en avait, on nous proposait des conditions vraiment impossibles. Il faut savoir qu’on n’est vraiment pas gourmands au niveau du cachet, on n’est pas là pour se faire de la thune, c’est une passion avant tout. Mais on a quand même l’essence à payer, rentrer dans nos frais… Et puis ce que disait Guillaume c’est très concret, les salles ferment vraiment petit à petit. Sur cette tournée on devait faire une date à Orléans, et l’Infrared [ndlr : un café concerts rock de la ville] a fermé juste avant. A Paris, c’est pareil, à l’image du Glazart dont le bail se termine mi-2015, et dont on ne sait pas encore s’il sera prolongé. Les Combustibles, la Miroiterie, les fermetures de multiplient…
Guillaume : Pour revenir à la question, c’est vrai aussi qu’on a plus de facilité à trouver des dates à l’étranger.
Seb : C’est vrai. On a récemment fait une petite tournée en Angleterre, et c’est arrivé direct dans ma boîte Facebook, par le tourneur qui nous demandait en gros si on était intéressé pour venir jouer dix jours avec Enos et Mother Corona. Donc même si on cherche des dates, on prend aussi ce qu’on nous propose, et la plupart des offres ont été en provenance d’autres pays que la France.
Vous savez quel type de format de tournées vous privilégierez à l’avenir pour promouvoir ce nouvel album ? Premières parties, tournées “packages”, têtes d’affiches …
Seb : Bien entendu on a commencé à contacter les festivals pour 2015, on a des contacts et des discussions en cours, on espère que ça se concrétisera. Globalement on va bien sûr essayer de faire le plus de dates possibles, probablement plus encore qu’avec le premier album, mais on ira là où on veut bien de nous… Je pense qu’avoir un deuxième album sous le bras aide un peu dans cet objectif.
Guillaume : On va aussi essayer de jouer dans des endroits où on n’a jamais été, à l’image de l’Espagne, du Portugal…
Seb : Pour l’Espagne, c’est même officiel, vu qu’on fait désormais partie du roster de Red Sun, une agence de booking de Barcelone, qui est une asso qui se bouge vraiment. J’encourage d’ailleurs tout le monde à promouvoir cette asso qui se défonce, et même les groupes à se rapprocher d’eux : jusqu’à maintenant tous les groupes qui bossent avec eux sont ravis. Après on a aussi des projets d’aller en Suède, en Finlande, etc…
Guillaume : Et puis les Etats-Unis…
Vous pensez que ça peut marcher ? On trouve de plus en plus de groupes américains qui font le mouvement inverse, c’est-à-dire qu’ils cherchent des tournées européennes, beaucoup plus rentables pour eux…
Guillaume : On a déjà eu des invitations, on n’est pas passés loin de le faire… On est aussi conscients qu’il faudra peut-être commencer par des dates moins rentables sans doute, voire perdre de l’argent au début…
Seb : On sait qu’il faut en passer par là. Pour en arriver avec Abrahma là où on en est aujourd’hui, on a mis de notre poche, même si maintenant on arrive à peu près à équilibrer les choses. Pour les Etats-Unis, on sait déjà que ça nous coûtera au moins les billets d’avion, peut-être même plus. Et puis Scott, le patron du label vit là-bas, et on sait qu’il aimerait bien voir le groupe, c’est normal. A mon avis c’est aussi le cas de The Socks, l’autre groupe français signé chez Small Stone, ils ont probablement aussi ce type de projet.
Seb, on a observé depuis quelques semaines un rapprochement très concret de ta part vis-à-vis de Rescue Rangers [ndlr : confirmé le soir de l’interview par la présence de Seb en second guitariste du concert des Rescue Rangers] : peux-tu nous détailler comment c’est arrivé et de quelle manière ça se concrétise ?
Seb : Depuis les débuts d’Alcohsonic, on a une très forte amitié avec Rescue Rangers, c’est des relations super fraternelles. On est en contact avec Pascal [Mascheroni, chanteur / guitariste de Rescue Rangers] depuis leur premier EP. On a fait nos premiers concerts ensemble, et on s’est très bien entendus avec eux, aussi bien au niveau de la musique – et notamment une grosse passion pour la musique des années 90 – que du mental. Cette amitié n’a fait que grandir au fur et à mesure. Il y a quelques mois j’ai organisé une tournée Enos, Mangoo et Rescue Rangers, et suite à cette tournée, le groupe m’a proposé d’être leur manager, pour continuer à travailler pour eux. Puis suite à cette tournée, il y a eu un remaniement du groupe. J’ai proposé à Pascal des musiciens, notamment Fred [Quota, batterie] qui a fait lui-même le lien avec Guillaume [Theoden, basse]…
Guillaume : Sachant que Fred est le batteur remplaçant d’Abrahma, étant donné que Benjamin n’est pas toujours dispo du fait de ses autres occupations musicales. Donc tu vois, Rescue Rangers c’est un peu la famille.
Seb : Rescue Rangers a un nouvel EP qui va sortir bientôt, et le producteur de cet EP avait suggéré au groupe de prendre un second guitariste. Or ça faisait longtemps qu’on discute avec Pascal de faire quelque chose ensemble, donc on a fait un test en répèt’, et ça a collé. Il faut dire que j’adore leur musique et que je connaissais quasiment tous leurs morceaux par cœur… Moi ça m’éclate en tout cas.
Ca doit pas être facile pour les répèt’ entre Paris et Marseille, la ville d’origine de Rescue Rangers…
Seb : Guillaume et Fred étant comme moi de Paris, le groupe devient parisien, donc Pascal se déplace pour qu’on joue ensemble. On espère qu’il nous rejoigne bientôt de manière plus stable, ça facilitera les choses…
Tout ça ne risque-t-il pas de venir impacter Abrahma ?
Seb : Je ne sais pas du tout ce que l’avenir nous réserve, pour le moment on ne se projette pas trop loin, et clairement je ne sais pas exactement quelles disponibilités je pourrai avoir pour Rescue Rangers étant donné qu’Abrahma reste mon groupe principal. Mais en revanche tout est très clair et transparent entre Pascal et moi donc à ce jour ce n’est pas un problème. En tous les cas je me suis éclaté ces deux derniers jours sur scène, à jouer deux sets par soir, avec Abrahma et Rescue Rangers. Ce n’était pas forcément évident, j’avais quelques craintes étant donné que ce sont deux sets plutôt énergiques, mais même si je finis les soirées crevé, c’est super, je le referai, le test est concluant.
Pour conclure, j’ai entendu dire que vos tournées étaient souvent épiques et chargées d’anecdotes improbables… Vous pouvez nous donner votre Top 3?
Seb : Alors le Top 1 je le connais, mais est-ce qu’il faut le révéler, je ne sais pas ! [rires] Le Top 1 alors c’est un viol… Une tentative de viol pour être précis, par une femme de plus de cinquante ans avec des cheveux violets, un soir, qui a eu pour conséquence qu’on a passé une nuit blanche pour la fuir, en essayant de dormir quelques minutes ici ou là, sur une aire d’autoroute…
Guillaume : Enfin ça serait long à raconter et vraiment très fastidieux à retranscrire, fais-moi confiance… On avait essayé de dormir quelque part à l’arrache après, on s’était posé sur un parking qui s’est avéré être à côté d’un entrepôt de la DDE. Les agents de la DDE bien sûr se levaient super tôt, pile quand on commençait à trouver du sommeil…
Seb : Mais cette nuit catastrophique ne nous a pas empêchés de jouer l’un de nos meilleurs concerts à Lyon le lendemain… Après comme anecdote, y’a aussi le mec qui a monté un concert chez le disquaire Gibert Joseph de Dijon, organisé un peu au dernier moment, mais bon… On se pointe et on s’installe donc en bas du magasin, et au moment de commencer le concert, on s’aperçoit qu’il ferme le magasin ! On lui demande s’il est sûr de son coup et il nous répond : “Ouais ouais c’est bon !”. Et en fait on a joué devant lui, et une dame très gentille qui devait aller chercher son gosse à l’école, enfin je te passe les détails… Et la même journée on a eu une histoire avec un chien perdu… Faut pas aller à Dijon !
Guillaume : On a eu un plan aussi en Hollande, je crois que c’était la tournée avec Jaded Sun. C’était un ancien Hôtel, une sorte de Bar-hôtel, et donc le mec avait des piaules, sauf que toutes les piaules étaient prises ! On s’est retrouvés dans une sorte de grenier, avec une sorte de table à UV dans un coin… Sauf qu’on était cinq, et y’avait moins de cinq mètres carrés au sol ! En fait le gars voulait pas qu’on monte dans les chambres avant, il nous faisait fumer non stop des trucs horribles, des douilles avec une sorte d’alcool à l’intérieur…
Seb : On avait aussi fait un concert complètement improbable dans un festival toujours en Hollande, paumé quelque part. On s’est pointés, c’était pourri. Y’avait personne. Pour bouffer on nous a juste filé une sorte de soupe dégueulasse, un truc avec de l’eau, t’avais l’impression que les légumes avaient infusé dedans… On a commence à gueuler et l’organisateur était pas là. Donc j’essaye de l’appeler, je lui dis : “C’est quoi ce borde ? Tu m’avais dit que c’était un festival de musique, qu’il y aurait plein de monde !”. Et le gars me répond : “Ouais mais en fait j’ai organisé deux festivals le même jour. Donc moi je suis dans une ville à côté c’est blindé, c’est mortel“. En plus de ça les groupes avant nous qui devaient chacun jouer trente ou trente-cinq minutes jouaient allègrement plus d’une heure chacun, donc nous qui devions jouer à 23h, on a finalement joué à deux heures du matin, et dans le public il n’y avait que des copains qu’on avait là bas et les mecs de Mother Of God. Mais bon, on a aussi de bons souvenirs en Hollande, faut pas croire ! Enfin oui, globalement, en tournée on accumule les sales plans, on pourrait en raconter des tonnes. Mais en fait là c’est bizarre, ça fait longtemps qu’il ne nous est pas arrivé un plan bien foireux… On est probablement en train de devenir plus sérieux !