TIA CARRERA – avril 2012


Tia Carrera est bien un groupe atypique, qui a tout pour séduire les amoureux de bonne musique : des influences hard rock 70’s à foison, des talents de musiciens impressionnants, et une musique complètement basée sur le principe de jams improvisées à faire tomber la mâchoire… Un trio aussi remarquable devait bien un jour ou l’autre se retrouver dans nos pages, dont acte avec les sympathiques, passionnés (et passionnants) fondateurs de ce trio extraterrestre, Jason Morales (guitare) et Erik Conn (batterie).

 

Pour commencer, pourriez-vous nous dire quelques mots sur l’histoire du groupe ?

[Jason] Et bien tout a commencé il y a plusieurs années dans notre salle de répèt’ à Austin, on jouait tout et n’importe quoi, on jammait sur des trucs à la Hendrix, avec quelques plans à la Melvins ici ou là. Erik et moi avions joué avec plusieurs bassistes, mais un jour nous avons voulu faire un vrai concert, or nous n’avions pas vraiment de line up stable. On a alors parlé à Andrew [ndlr : Duplantis, premier bassiste du groupe] qui nous a dit être OK pour jouer le concert, mais n’avait pas vraiment beaucoup de temps pour répéter. Du coup, ce premier show s’étant super bien passé, nous avons décidé de continuer sur ce principe : pas de répét’, juste monter sur scène et improviser !

[Erik] En gros c’est ça, on cramait un ou deux joints, on ouvrait une bouteille de vin, et on jammait. A l’époque je craignais que les gens ne comprennent certainement pas ce que nous faisions et pensent qu’on se foutait de tout. Mais nous on ne voyait pas les choses autrement, on hallucinait de constater à quel point on s’entendait bien musicalement, et ce sans réellement « composer » de chansons. C’est dingue comme c’est libérateur comme sentiment…

J’ai toujours été très intrigué de votre nom, Tia Carrera, et évidemment du lien avec l’actrice Tia Carrere…

[Jason] Et bien… Je crois juste que c’était l’un de ces noms qui sonnaient bien. Je ne me souviens plus que nous y ayons beaucoup réfléchi, c’est sorti tout seul, ça paraissait évident. A l’époque, on enregistrait nos jams pour les graver en CD pour tous ceux qui en voulaient, et je donnais des noms différents aux CDs à chaque fois. L’un de ces noms était Tia Carrera, et c’est resté. Lorsqu’est arrivé le moment de jouer ce premier concert dont on te parlait tout à l’heure, c’est le nom que l’on a utilisé. Et sinon, oui, je te confirme, c’est complètement inspiré de la belle actrice !

[Erik] Je me rappelle même que quand Jason a gravé cette dernière série de CDs avec « Tia Carrera » écrit dessus, je me suis écrié « comme dans Wayne’s World ?! » [ndlr : l’actrice Tia Carrera tenait le 1er rôle féminin du film culte], mais je me suis aperçu qu’il l’avait écrit comme la Porsche, « Carrera ». Je me suis alors dit « génial, c’est cool et classe à la fois ». Je me souviens aussi, plus anecdotiquement, que quelques années plus tôt, une nuit quelque peu alcoolisée, nous avions discuté des heures durant du fait qu’un nom féminin pour un groupe de hard rock c’était super cool… Mais je ne suis pas sûr que ça vienne de là ! (rires)

 

J’ai été plusieurs fois confronté à la difficulté de décrire votre musique et votre façon d’appréhender les disques… J’en arrive toujours à parler plus de « ressenti » plutôt que de critères plus objectifs ou plus standards, ce qui déstabilise un peu les gens… Comment répondez-vous à cette question vous-mêmes ?

[Erik] « Ressenti », ouais, ça me plaît bien, c’est beaucoup de ça. C’est un processus très intriguant que de monter sur scène ainsi, depuis plus de 10 ans, et de « composer » des chansons en direct. Les oreilles et l’esprit grands ouverts… Mais tu dois quand même vraiment maîtriser ton instrument, tu vois ? En général je dis aux gens que c’est du heavy metal instrumental improvisé, et on commence à discuter à partir de là (rires). On pourrait tout à fait jouer sur la même affiche que High On Fire ou The Black Angels, tu vois. En fait, on est un peu le chaînon manquant entre le « heavy » et ce que l’on appelle ces derniers temps le « psych rock ».

[Jason] C’est vrai que c’est dur à définir. Même si on a des composantes similaires à la plupart des groupes de rock actuels, notre approche est clairement différente. Très peu de groupes de rock improvisent live, ou ont les couilles de monter sur scène sans avoir répété le moindre titre. Pour moi, c’est le vrai challenge : le fait de ne pas savoir à l’avance ce qui va se passer rend tout ça bien plus intéressant. Je pense que je m’ennuierai à mourir si nous jouions sans arrêt des chansons identiques tous les soirs. En tout cas, pour compléter ce que dit Erik, je dirais qu’on joue du hard rock, heavy metal, stoner improvisé.

Tu disais avoir beaucoup de similitudes avec des groupes de rock contemporains, ça m’étonne, car j’entends très peu de sons « modernes » dans vos albums…

[Jason] De manière assez surprenante, même si mon style de jeu de guitare est très influencé par les plans à la Hendrix, provenant plutôt du blues, mon profond amour du heavy vient surtout du hardcore des années 80 et du grunge des années 90, en provenance de Seattle où j’ai passé mon enfance.

[Erik] Entièrement d’accord, nos influences sont vastes et très diverses, et surtout elles ne ressemblent pas du tout à notre musique : leur seul point commun est la musicalité et la qualité de composition… Je suis par exemple persuadé que The Jesus Lizard est l’un des plus grands groupes de tous les temps. Mais c’est aussi le cas de Zeppelin, et d’autres encore… Concernant les groupes récents, il y a plein de groupes incroyables dans notre région d’Austin, écoutez par exemple des combos comme Amplified Heat, Dixie Witch…

[Jason] En ce moment j’écoute beaucoup de jazz, mais je suis fan de High On Fire, The Champs, Big Business, Off! et plein de groupes locaux, comme Erik.

 

Je pense qu’après vous avoir écouté depuis tout à l’heure, on arrive mieux désormais à appréhender le contenu de vos albums. Mais si l’on doit aller plus loin, quelle proportion de votre dernier album, par exemple, était écrite avant de rentrer en studio, et quelle proportion a été improvisée ?

[Jason] Pour tout dire, le premier titre « Slave Cylinder » était ce qui se rapprochait le plus d’une chanson écrite. Elle avait été originellement enregistrée après les sessions de notre album précédent, pour atterrir sur un 7″ qui n’a finalement jamais vu le jour. On a décidé de l’inclure sur « Cosmic Priestess » au dernier moment. De mémoire, « Saturn Missile Battery » et « Sand, Stone and Pearl » ont été enregistrées en un seul week end. On avait enregistré une jam sympa le samedi, donc on l’a transférée en digital, et puis on a rembobiné la bande et enregistré par-dessus une version improvisée de « Saturn… ». Dès qu’on l’a réécoutée on a su qu’il fallait garder cette version. Le lendemain, on a mis une nouvelle bande et on a improvisé « Sand, Stone and Pearl ». Le dernier titre, « A Wolf in Wolf’s Clothing » avait été enregistré lui aussi sur une session précédente, c’était une autre impro, mais cette fois avec moi à la basse et Jamey Simms à la guitare.

Je comprends mieux maintenant mon ressenti à l’écoute de vos albums… Et lorsque vous montez sur scène, vous reposez-vous tout de même sur des structures connues de vos chansons ?

[Jason] Pas forcément, c’est essentiellement de l’impro. S’il ressort parfois des structures qui rappellent des chansons « normales », c’est surtout lié au fait que l’on joue ces impros depuis très longtemps ensemble, il y a des plans qui reviennent naturellement de temps en temps, c’est obligé. Il y a d’ailleurs quelques jams dans notre set pour lesquelles on commence à avoir à l’avance une assez bonne idée de la tournure qu’elles vont prendre. Mais même dans ces cas, il y a toujours une large part de risque et de nouveauté sur chaque titre…

[Erik] Absolument. La plupart du temps on commence par ce que Jason appelle un « non-prévu », c’est-à-dire, en gros, nous 3 qui entamons par un gros son de feedback « drone », comme un orage qui gronde. Puis je lance les hostilités avec un beat hargneux, et on groove et on riffe dessus pendant tout le temps nécessaire pour atteindre Mars aller-retour, en gros, avant de terminer. Dans les faits ça dure 15, 20, 30 minutes… Tu prends des titres comme « Slave Cylinder » ou « Justin Bankston’s Manor », évidemment on connaît ces riffs sur le bout des doigts, depuis le temps, mais nous n’avons jamais discuté du nombre de mesures à jouer, des moments où doivent intervenir les changements… Tu écoutes tes potes jouer et tu sais exactement quand ces changements doivent arriver… Tu vois ce que je veux dire ?

Oui, même si ça laisse songeur… Toujours sur votre dernier album, Jason, tu l’as enregistré toi-même, est-ce que c’est une volonté de contrôler au mieux le processus musical, sans interférence autre que vous 3 dans la salle ?

[Jason] En gros ouais… C’est surtout par confort en fait. Quand on jamme comme ça, c’est toujours mieux si l’on prend notre temps, que l’on écoute les enregistrements ensuite et que l’on décide entre nous ce que l’on aime et ce que l’on veut graver sur disque au final. Tu as certains de nos albums qui sont cools, mais pour lesquels on ne s’est pas pris la tête : en gros on est rentrés dans le studio, on a branché nos amplis, joué pendant 30-45 minutes, tout arrêté, et on s’est juste dit « ben voilà, on l’a notre album »…

[Erik] Je voudrais rajouter à ça que Jason est en réalité notre « arme secrète » dès lors qu’il s’agit de capturer notre son. On n’a pas vraiment besoin d’un « producteur » ou de quiconque qui nous dise comment on doit sonner. Il a une excellente oreille et une longue expérience derrière la table de mixage. Il sait comment on sonne et comment retranscrire ça sur une bande.

 

J’ai noté un récent changement de bassiste, pourriez-vous m’en dire plus sur le petit nouveau ?

[Erik] Il s’appelle Jamey Simms et ce n’est pas vraiment un petit nouveau : avant même que l’on ne se nomme « Tia Carrera », il jouait déjà souvent avec nous. Il comprend bien l’esprit qu’il y a derrière l’impro musicale.

[Jason] C’est vrai, et à la base Jamey est un putain de guitariste qui avait déjà remplacé Andrew pas mal de fois sur scène pour nous dépanner. Andrew nous a quittés pour aller jouer au sein de Son Volt, et il est donc apparu logique que Jamey le remplace à plein temps.

[Erik] Andrew est toujours notre pote, mais il était toujours super occupé, pas aussi dispo que l’on aurait aimé, donc il est apparu logique de trouver quelqu’un de plus disponible. Jamey était super motivé pour rejoindre Tia Carrera.

Erik, comment décrirais-tu le duo rythmique que tu composes avec Jamey ? Sur album, on dirait vraiment que lorsque l’un de vous joue de manière plus « expansive », l’autre assure une rythmique plus stable, basique, et vice versa. Est-ce réfléchi, ou bien simplement le fruit d’une entente parfaite entre vous ?

[Erik] C’est complètement automatique. Improviser c’est la liberté, point à la ligne. En fait, j’écoute surtout la mélodie des lignes de guitare de Jason, et je joue en fonction. C’est ma référence. Parfois c’est hargneux et agressif, puis d’autres fois c’est profond et plus planant, voire sexy. La guitare décide du ton de ce que je joue. Ensuite seulement, je me tiens en phase avec la basse en continu pour m’assurer que le groove est bien toujours présent. Et c’est honnêtement ainsi que chacun de nous fonctionne : il écoute les deux autres et adapte son jeu en fonction. En ce qui me concerne, c’est la manière la plus naturelle de faire de la musique : écouter et jouer, écouter et jouer. Tu l’as noté, on a un super feeling entre nous, notre son ne devient plus qu’un, dès qu’on se retrouve sur scène ou en studio. Je suis vraiment fier de faire partie de ce groupe.

Sur votre propre site, qui n’est malheureusement plus en ligne, vous aviez l’habitude de rendre disponibles des tonnes d’enregistrements live… Est-ce que cela résume bien votre mentalité concernant l’échange de musique ?

[Jason] Complètement : l’échange de fichiers a de tous temps été mon truc favori autour de Tia. Avant même que nous n’ayons un site web, j’enregistrais nos concerts et je gravais des CDs que je redistribuais dès le concert suivant… Dès que l’on a eu notre site, je tenais à rendre disponibles tous ces enregistrements. Aujourd’hui, par pure fainéantise, notre site a disparu, et ça fait des années que je n’ai pas enregistré l’un de nos concerts… Tu peux croire tous les trucs que l’on dit sur moi dans mon dos : je suis bel et bien vieux, défoncé et feignant !

[Erik] (rires) Soyons honnêtes, il n’est pas le seul feignant dans cette histoire… On n’a jamais eu le moindre management, promoteur ou quoi que ce soit du genre pour nous aider… Mais c’est vrai que Jason postait sans arrêt des enregistrements de concerts gratuits sur le site, c’était vraiment cool. Mais les années passent et… bla bla bla, tu connais la musique ! Il paraît qu’on s’améliore avec les années, tu parles ! (rires)

Pensez-vous que l’on aura l’occasion d’assister à une tournée européenne à court ou moyen terme ?

[Jason] Mec, j’adorerais tellement ça… La fois où on a fait le Roadburn, c’était le moment le plus excitant de notre carrière. On adorerait revenir vous voir, avec Dixie Witch par exemple, ou Sleep… Ouais, on jouerait bien en tournée avec Sleep !

[Erik] Ah ouais, ce serait un tel honneur… Peut-être qu’on devrait se mettre à implorer quelqu’un, je sais pas… Enfin, on ferait tout ce qui est en nos moyens pour ça, tu peux me croire…

Avril 2012 par Laurent

 

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