Slower – Slower


Côté concept, on est probablement sur le projet le plus incroyable depuis longtemps. Bob Balch, le suractif guitariste de Fu Manchu (il accumule ces derniers mois les projets musicaux, contributions diverses…) a eu l’idée farfelue un jour qu’un groupe doom reprenne des titres de Slayer – les champions et précurseurs du thrash/speed metal – en les ralentissant, sous le très-bien-vu patronyme de “Slower” (“plus lent”, en anglais). Après quelques années d’hibernation de cette idée saugrenue, il décide de piloter lui-même ce projet, et s’acoquine en premier lieu avec Esben Willems, le batteur de Monolord, qui ne tarde pas à poser l’ensemble des lignes de batterie du disque. Côté basse, on va chercher Peder Bergstrand (Lowrider) pour la plupart des titres, et rien moins que Scott Reeder (feu-Kyuss, ex-Unida, etc…) sur un titre. Pour le chant – c’est un parti pris significatif – le guitariste s’oriente sur des vocaux féminins, assurés pour la plupart par Amy Barrysmith (bassiste et chanteuse de Year of the Cobra), et Laura Pleasants (feu-Kylesa) sur un titre. Le line-up est pour le moins bigarré, mais le cumul des lignes sur tous ces CV file des frissons quand même ! Dire qu’on s’est jetés sur le disque est un euphémisme…

En théorie, la chronique aurait pu s’écrire toute seule : les zicos se sont accordés cinq tons plus bas, ont divisé le tempo par cinq, et ont ré-arrangé les standards de Slayer en configuration doom extrême. Jackpot. Sauf que non, l’intention est plus nuancée. Premier constat : les tempi ne sont pas SI lents. En gros (après mesure d’huissier), on est sur une réduction d’un facteur de 1,5, voire 2 maximum par rapport à la vitesse d’exécution d’origine. C’est pas mal et remarquable, mais les gros doomeux bas du front qui sommeillent chez certains (je plaide coupable) auraient bien apprécié l’expérience en mode funeral doom absolu, tant qu’à faire mumuse… L’autre travers de cette réduction “relative”, est que les riffs sont très reconnaissables… trop ? Franchement, même s’il est ralenti, vous vous prenez systématiquement à fredonner le riff de “Dead Skin Mask”, et en conséquence la chanson perd l’occasion de prendre une vraie “autre” dimension, sa propre identité. Dit autrement : le concept aurait pu transfigurer les chansons, les “dépiauter” pour faire émerger la substantifique moelle du RIFF nu, froid, désossé, mais malheureusement on reste dans le registre de la reprise ralentie de Slayer. Ce n’est pas un échec en tant que tel (après tout, c’était le projet !), mais on garde toujours dans un coin de l’esprit cette question : “et si… ?”

Un autre facteur nous amène à cette réflexion : la (bonne) idée de confier le chant à des chanteuses traduisait une volonté de transformation profonde des chansons, de réappropriation stylistique complète et radicale. Cette transformation a lieu… mais elle n’est pas “radicale”. Plus généralement, musicalement, vous l’aurez compris, la surprise “waouh” n’est pas au rendez-vous : on a un guitariste qui doit effectivement kiffer de jouer ces riffs très bien arrangés et ralentis, avec ce son stoner doom assez remarquable, c’est quand même un peu jouissif reconnaissons-le ; une sorte de modeste réappropriation culturelle. Côté rythmique, l’exercice ne met pas forcément en avant la virtuosité des protagonistes, qui tiennent la baraque, sans relief particulier. On regrettera même certains arrangements, à l’instar de cette double grosse caisse sur le couplet de “War Ensemble” qui involontairement et inconsciemment nous ramène au speed metal et nous fait à nouveau sortir du champ instrumental emblématique du doom. Pour revenir au chant, au vu du casting, on n’est pas sur du chant de soprano non plus, ces dames ayant un timbre assez neutre voire modérément grave par nature. Les lignes de chant sont un peu dissoutes sous les effets ou dans des choeurs pour donner une tonalité aérienne un peu dissonante avec le style pratiqué, ce qui appuie le constat décrit en tête de ce paragraphe : l’intention de “rupture” était bien là, mais elle ne va pas beaucoup plus loin que ce choix (très intéressant, répétons-le).

Le track list retenu laisse aussi une petite impression de “ni fait, ni à faire” : cinq chansons seulement (une de Show No Mercy, le morceau titre de South of Heaven et rien moins que trois de Seasons in the Abyss !), même si elles tournent autour de 8 min en moyenne, ça laisse une impression de trop peu pour ce qui reste un album de reprises. Il y avait quand même de quoi aller piocher d’autres morceaux dans la discographie pléthorique des thrashers californiens (en particulier dans le classique Reign in Blood, mais pas que) pour remplumer un peu cette galette un peu légère (38 min, minimum syndical vraiment).

Depuis de très nombreux mois on scrutait ce projet avec le secret espoir qu’il pourrait faire date, tant il réunissait toutes les conditions pour faire parler de lui : il mêlait respect, ironie bienveillante, second degré et légitimité musicale, le tout mâtiné d’une intention musicale inédite. Au final, l’effet obtenu est plus proche du “pschiit” que du “waouh” – un brin de déception, donc. Non pas que le disque soit mauvais : il pourra être vu comme sympathique pour les amateurs de Slayer, et étonnant pour les amateurs de doom. Mais il aura du mal à trouver une place de référence dans la discographie d’une de ces deux catégories, ne dépassant jamais le statut d’anecdotique. Slower est un disque que l’on aurait adoré adorer, on y était préparés : on aime toutes ses composantes (ses musiciens, son intention…) mais au final la magie n’opère pas comme prévu ou espéré. On en est les premiers déçus.

 


 

 

Note de Desert-Rock
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