Festimad 2005, Jour 2, 28 mai 2005, Madrid, Espagne

Il y a un paquet de groupes à l’affiche aujourd’hui, dont une dizaine de groupes qui vont défiler à partir de 14h sous la tente (de l’autre coté du site par rapport aux scènes principales), et il va bien falloir faire des choix : sur la grande scène vont évoluer d’affilée un incroyable échantillon de ce que la scène stoner compte de plus intéressant à l’heure actuelle. Un paquet de concerts qui vont s’enchaîner sans la moindre minute de répit, dès le milieu d’après-midi, jusqu’à tard dans la nuit ! En gros, l’orientation de la journée va être claire : ne pas arriver trop tôt (canicule, fatigue…), et s’organiser pour voir le plus de concerts possibles tout en prenant de bonnes photos. Croyez-moi, c’est plus facile à dire qu’à faire. Sitôt arrivés, on va direct à la zone presse retrouver Hermano, pour interviewer Dandy Brown (qui était aussi là la veille, et qui partira le soir même pour les Etats-Unis). Du coup, ben on rate sur scène les thrashers de Hamlet (gloires nationales en Espagne !) et le début de The Eighties Matchbox B-Line Disaster (pas génial !). Les choses sérieuses commencent avec Five Horse Johnson à 17h30 : c’est le début d’une série frénétique de concerts, sans répit. On le savait déjà, FHJ assure grave sur disque (voir nos chroniques CD), il nous restait à voir ce que ça donne en concert. Et bien ça marche bien ! Bon, certes, Brad (guitare) et Steve (basse) ne sont pas des bêtes de scène, mais ils assurent ! Jean-Paul Gaster, le batteur de Clutch, assure l’intérim avec la touche de feeling qui participe à la grandeur de Clutch, et en plus, que demande le peuple, il s’éclate ! Le hard-rock-sudiste-stoner-boogie de trio (à la recherche d’un nouveau batteur) semble lui convenir, et il assure avec brio la quatrième roue de la Mustang. Le maître de cérémonie, c’est quand même Eric, le chanteur. Au bout de 30 secondes, il est déjà rouge et dégouline de sueur : la canicule madrilène ne doit pas convenir à la carrure de l’animal. Mais il ne le montre pas, sa voix rocailleuse et puissante est sans faille tout au long du concert, qui fait la part belle aux morceaux de “Last Men On Earth”, avec quelques inédits et oldies. Un concert impeccable, et une somptueuse introduction à ce qui nous attend : du feeling par caisses entières !


5 secondes après que la dernière gratte de FHJ soit posée, on entend les premières suaves vocalises de Nick Oliveri qui balance l’intro de “Six Shooter”. Et là, agréable surprise. Je m’étais toujours imaginé Mondo Generator comme un patchwork de musiciens faisant figuration derrière Oliveri, mais cette époque est révolue : désormais trio, le duo gratte-batterie de Winnebago Deal se démène sur scène comme deux beaux diables, comme si c’était leur groupe, finalement ! Résultat, ben musicalement ça assure ! L’homogénéité est là. Première surprise, donc. Deuxième surprise, le concert est bon, voire excellent, et les compos, un peu sous-estimées sur disque, ont une seconde vie en concert. Certes, le grand bassiste hurleur pioche allègrement dans le répertoire des Queens, mais bon… On lui en aurait voulu de faire autrement, finalement, tant certains morceaux de QOTSA sont liés à la personnalité d’Oliveri. Troisième surprise, et pas la pire : on sent une véritable électricité dans l’air en voyant la silhouette ténébreuse d’un très ancien partenaire d’Oliveri monter sur scène pour le rejoindre. C’est ni plus ni moins que John Garcia, qui était avec Nick dans Kyuss en 1992 ! Plus de douze ans plus tard, un duo mythique foule donc les planches et se lance dans un “Allen’s Wrench” plus historique qu’autre chose, finalement : je ne sais pas si on écoute vraiment la musique et la qualité d’interprétation, dans ces moments-là. Magique.


Comment mieux revenir sur le plancher des vaches que par un bon concert de Clutch ? Franchement, l’enchaînement est un vrai délice… Dès les premiers accords, on se laisse bercer et entraîner dans les griffes du trio instrumental, et Neil Fallon, avec une assurance sans faille, surenchérit avec des vocaux toujours chaleureux et percutants. Il se fait plaisir, et ça se voit : il hurle, il sautille, il va voir ses collègues, il arpente la scène, il est vraiment le centre d’attraction du groupe et il assume avec classe et talent. Parce que oui, il ne faut pas vraiment demander à Dan et Tim d’assurer le spectacle : chacun dans son coin joue ses parties avec une aisance et une concentration troublantes. Ces mecs là ont le groove au bout des doigts, et ils le laissent glisser sur les cordes de leurs instruments sans que l’on ne puisse déceler la moindre difficulté dans l’exécution. Remarquable. Mais au delà de ces performances musicales, ce qui scotche en premier à chaque concert de Clutch, c’est le GROOOVE (oui, en majuscules). La paire Dan/Jean-Paul balance des lignes rythmiques somptueuses, rondes et ventripotantes, chaleureuses, sur lesquelles les autres peuvent s’éclater – ce qu’ils font sans retenue. La gratte de Tim est le parfait pendant mélodique à ce duo magique, et il n’est pas rare de voir Neil se mettre en retrait sur le coté de la scène, non pas pour regarder avec satisfaction plusieurs dizaines de milliers de personnes sautiller avec le sourire aux lèvres (ça doit valoir le coup d’oeil, vu de là-haut), mais bel et bien pour regarder ses 3 potes balancer le GROOOVE à coté de lui… Même lui, qui les a vus des centaines de fois jouer ensemble, ne se lasse pas de voir la magie opérer. Il n’est pas le seul, d’ailleurs, puisque la totalité de System Of A Down est sur le bord de la scène en train de hocher la tête avec le sourire, et de chanter les chansons par cœoeur !

A noter la participation discrète du désormais claviériste à plein temps, presque dissimulé derrière le mur d’amplis, et qui rajoute des “nappes” mélodiques absolument délectables sur tous les morceaux. On se demande même comment les chansons pouvaient exister avant qu’il n’y ajoute sa touche. Idem pour un second guitariste, intervenant à mi-concert pour épauler le groupe. Que dire de la set list sinon ? Une poignée de morceaux de Blast Tyrant, quelques uns de Pure Rock Fury, quelques uns plus vieux, d’autres inédits issus de leur prochain album… Le tout constitue un concert remarquable, ponctué d’impros à tomber par terre (le solo de batterie !!!), et qui se clôture comme sur toute la tournée en cours (sur laquelle ils partagent l’affiche avec Five Horse Johnson) par un morceau avec Eric de FHJ à l’harmonica : ça GROOOVE plus que ne peut en supporter un être humain normalement constitué… Un concert parfait en tous points.


Encore un enchaînement de luxe : c’est Hermano qui prend la suite de Clutch, et le combo est en forme ! Etonnant, presque, pour un groupe qui n’a pas joué ensemble depuis des mois, et qui se retrouve pour un seul et unique show aujourd’hui à Madrid (pas de tournée en cours, ni en prévision). La performance n’en est que plus appréciable, et la puissance de ce show sera manifestement à mettre uniquement au crédit d’une entente parfaite entre les musiciens. Chris Leathers a bien pris ses marques, et assure à la batterie. Idem pour Dandy qui balance des lignes de basse impeccables, taillées pour le hard rock de la meilleure facture. Du pain béni pour tout musicien. Dans cette situation confortable, le duo guitaristique ne peut qu’exceller – ce qu’il fait. Le second guitariste, Olly (le même que sur la dernière tournée européenne), assure gentiment ses parties mais se retrouve largement sous-mixé, ce qui tend inévitablement à mettre en avant la performance du second (premier ?) leader de Hermano sur scène : Dave Angstrom. Angstrom est taillé pour la musique, né pour la scène, avec une gratte dans les mains. Il délivre non seulement impeccablement toutes ses parties (rythmiques, soli), mais balance SANS ARRET des petits licks de guitare, des petites intros “clins d’œil”, des impros souriantes ou surprenantes… Bref, on ne s’ennuie jamais ! Outre les clichés guitaristiques (joue de la gratte avec les dents, etc…) dont il s’acquitte avec talent et sincérité, on se délecte des diverses facéties du jeune homme : il crache son verre d’eau sur la tête de Garcia en pleine pose “hard rocker à genou devant son public”, ou encore, quand Garcia demande au public où sont les joints dont il sent l’odeur, il hurle dans le micro “Ne l’écoutez pas, les gosses : la drogue c’est mal ! Enfin, pour ceux qui ont quelque chose de plus sérieux, retrouvez-moi après le concert dans la loge 24, au fond sur votre gauche”… On peut le regarder grimacer et évoluer sur scène pendant le concert entier, on ne se lasse pas. Objectivement, néanmoins, force est de reconnaître que les yeux sont surtout dirigés vers John Garcia. Un John Garcia à la forme remarquable (il a perdu du poids le bougre, il a fière allure !), vocalement au top, qui ne manque pas une note, aussi aigue ou difficile soit elle ! Du grand Garcia, peut-être pas le frontman le plus exubérant et flamboyant du monde, mais chargé à bloc de charisme et de talent.


On croyait avoir tout vu en voyant le père Garcia rejoindre Mondo Generator sur scène tout à l’heure… Et ben non, retour d’ascenseur : c’est Oliveri qui rejoint Hermano sur son terrain à la fin du concert… Et la sincérité du geste, ainsi que l’émotion engendrée, sont palpables. On s’enlace, on partage son micro, on se sourit… Le public n’existe plus, sur scène les musiciens se regardent, essayent quand même de jouer et chanter en même temps (ce qu’ils arrivent à faire de fort belle manière, je vous rassure…). Le groupe “bredouille” le début de “Wrench” (sur lequel Nick ne sait pas vraiment où et quand chanter), puis surtout “Green Machine”, un morceau que Hermano joue à quasiment tous ses concerts. Les musiciens sont donc bien rodés, et Nick alterne le chant avec Garcia (quand Garcia lui fait signe de se lancer pour le couplet suivant…). Encore une fois, c’est bien la sincérité de la démarche qui touche le plus. C’est avec une petite boule dans la gorge qu’on voit les musiciens saluer le public et quitter la scène… Quelle baffe !

Encore une bonne claque en prévision alors que Fu Manchu monte sur scène, allume les amplis et balance la sauce ! A première vue, ils sont pas venus là pour déconner. Ca bastonne sévère. “Hell on wheels”, “California Crossing”, “Eatin Dust”… Les morceaux s’enchaînent, et le groupe se défonce, sautant dans tous les sens, beuglant derrière le micro… Et pourtant je ne sais pas, je ne suis pas conquis. Ce n’est pas le Fu Manchu dont je suis tombé amoureux il y a 10 ans. Je n’ai rien contre l’évolution, je ne suis pas un passéiste forcené, au contraire. Mais que reste-t-il des rois du fuzz et du “skate-stoner” californien ? Une sorte de “skate-rock” efficace mais sans grand relief. Sans son aura “historique”, quel serait vraiment le succès de Fu Manchu aujourd’hui ? Difficile à dire ! Les dernières productions du Fu m’ont laissé de marbre, sans émotion. Un peu comme ce concert, de bonne facture, mais… sans rien de spécial.

Et c’est au milieu (au début en fait !) du concert de Fu Manchu que la catastrophe arriva. Au bout d’un moment, le vent se soulève franchement, amenant avec lui des bourrasques de poussière dures à supporter (difficile de respirer !). Alors que l’on se réfugie vers la tente VIP sur le coté de la scène (un luxe que n’ont pas les autres spectateurs), le groupe s’interrompt soudain. On découvrira plus tard qu’un bout de la scène d’à coté (pas celle où jouait le groupe) a cédé sous les assauts du vent. En attendant, les bourrasques ne faiblissent pas, et les gens se pressent sous cette tente, refuge inespéré des plus aguerris. Et ça dure plusieurs heures, ainsi, sans infos ! Au bout d’un moment, enfin, une fois la nuit bien tombée, le vent s’est calmé et permet de sortir de la tente pour contempler un triste spectacle : un site amorphe, un public toujours un peu agité, mais un silence pesant, des spectateurs qui se font la courte échelle pour escalader et envahir petit à petit les “tribunes VIP”, la scène étant simplement ponctuée de bribes sonores émanant de la distante scène couverte (une aubaine pour les petits groupes qui évoluaient aujourd’hui sur cette scène : ils ont eu plus de public qu’ils n’auraient pu en rêver !). Les 2 scènes principales sont dans le noir. Tout d’un coup surgit sous les sifflets une personne sur la grande scène, apparemment quelqu’un de l’organisation : mon espagnol n’est pas terrible, mais je comprends qu’il fait allusion à des problèmes techniques, et demande au public de garder patience. Alors qu’il se retire de scène après ce message, la caméra sur pied articulé qui filmait les concerts filme le public, vu du dessus, et l’image effroyable est retransmise sur les écrans géants : on voit alors des milliers de personne se presser contre les barrières de sécurité devant la scène… Et ce mouvement de quelques milliers de personnes fait froid dans le dos, quand on pense à ce qu’il pourrait donner, épaulé des quelques dizaines de milliers de personnes présentes, usées par 2 jours de festival physiquement éreintants, passablement énervées. A l’heure qu’il est, Incubus aurait déjà du terminer son concert et System Of A Down était censé monter sur scène. Devant l’absence absolue du moindre mouvement sur l’une ou l’autre des scènes, on prend la décision de quitter le site avant de voir le public s’énerver vraiment : on est là pour s’éclater, or là il n’y a plus de plaisir… Et on a bien fait se partir ! Les stands de bouffe, de merchandising, les bars, tout a été saccagé par les spectateurs en colère quelques heures après notre départ. Incubus a joué, presque 5 heures après l’interruption, et System Of A Down a quand même assuré son concert, au beau milieu de la nuit. Un concert que l’on peut imaginer anecdotique vu le contexte… Notre départ ressemblait donc bien à une bonne décision. Une journée chargée d’émotion et de moments épiques (voire historiques !), qui finit sur une teinte étrange. Mais ça ne gâche en rien la qualité de ces 2 jours, certainement l’une des plus grandes densités de groupes stoner remarquables proposés en quelques heures. Un grand moment et une expérience inoubliable !

Laurent

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