Aaah ! Toulouse ! Sa place du Capitole, son Claude Nougaro, son équipe de foot ridicule… et Karkara. C’est bien de la ville rose que sont originaires Karim, Hugo et Maxime. Pourtant, à l’écoute de leur premier album Crystal gazer paru l’an dernier, on aurait parié qu’ils avaient des origines moyen-orientales tant leur musique transpirait les grandes étendues désertiques, le sable chaud, le trek dans les montagnes et le thé à la menthe. Un son unique, follement original dans le milieu et qui apportait ce petit grain de folie qui permet de se démarquer de la meute. Et en cette putain d’année 2020 qui voit notre besoin d’évasion exacerbé par la crise sanitaire actuelle, on attendait avec impatience cette deuxième fournée, intitulée Nowhere land.
Dès les premières mesures du titre d’ouverture « Deliverance », on est immédiatement plongé dans l’ambiance, à mi-chemin entre le krautrock allemand des années 70 et le rock acide et psychédélique d’un Hawkwind des grands jours. Bien plus immédiat et rentre-dedans dans son approche que son prédécesseur, Nowhere land démarre sur les chapeaux de roues avec une folle cavalcade et un son de guitare très fifties qui évoque les grandes heures de la surf music instrumentale de cette période. « Space caravan » enfonce le clou et enchaîne dans la même veine avec une guitare ultra acide et une batterie hypnotique. Et toujours cette voix chamanique et cotonneuse de l’ami Karim qui invite à la transe. Du coup, on se pince pour bien être sûr qu’on a affaire à des petits frenchies tant la qualité de ce space rock psychédélique égale voire dépasse les productions plus renommées et plus coûteuses. Du grand art, vraiment.
« Falling gods » ne laisse pas retomber le soufflé et continue sur cette lancée. Plus court et plus immédiat que les deux titres précédents, c’est un buvard sonore imbibé de substances lysergiques qui vous ferme les yeux et vous ouvre l’esprit. « People of nowhere land » est le titre le plus heavy du lot, sans pour autant vous déboiter la nuque… Non, Karkara le fait avec subtilité et classe. Pas de grosse batterie qui martèle sans sommation, pas de grosse guitares saturées, ici vous vous laissez aller, vous êtes bien, englobé dans une bulle cotonneuse et enfumée. Un voyage pour les sens, un trip mystique aux portes de la transe, une invitation à la méditation et à la contemplation. Certes, il faut être dans de bonnes conditions pour rentrer complètement dans cet album mais une fois que vous aurez trouvé le chemin, vous ne voudrez pas faire demi-tour…
Le voyage se poursuit avec « Setting sun » avec, encore et toujours, cette évocation très fifties dans le son de la guitare (on pense aux Tornados, aux Surfaris et j’en passe) et toujours cette voix planante et éthérée de Karim. « Cards » et son rythme saccadé et sautillant nous rapproche de la fin du voyage, intitulé « Witch », le titre le plus sombre du lot. La voix se fait plus menaçante, le son se fait plus franc et vindicatif, le sentiment d’apaisement s’évanouit pour faire place à un côté plus dark qui signe l’arrêt complet du manège. Et c’est les yeux dans le vague et la tête dans les étoiles qu’on redescend sur la terre ferme…
Nowhere land est réellement un disque impressionnant. De par sa qualité d’écriture, de composition et de production, il rejoindra à coup sûr la liste de mes albums préférés de cette année 2020. En tout cas, merci à Karkara pour ce voyage sidéral et sidérant.
Il est de ces petits albums, œuvre de discrets et lointains artisans, qui recevront un écho médiatique limité, nonobstant une qualité intrinsèque qui devrait l’exposer à un tout autre traitement. Pas prétentieux pour deux sous, bien foutu et efficace, ce premier album d’un bien jeune quatuor norvégien a tout pour provoquer chez tout amateur de bon stoner quelques headbangs glorieux et autres séquences de jouissances auditives.
Le premier titre, “The Veil”, trompeur, nous amène de A à Z en terres suédoises : couplets sonnant comme du Graveyard et refrains à la Witchcraft, le tout culmine sur un break et séquence solo de pur heavy rock scandinave (à la Hellacopters)… Surréaliste ! Les choses reprennent un tour plus “normal” sur les compos suivantes, qui oscillent entre le très sympa et les purs instants de grâce. Les riffs s’enchaînent, les compos, variées, font montre d’une belle inspiration. On mettra en particulier en avant “Seven”, avec une intro que l’on croirait sortie d’un bon My Sleeping Karma (le tout baigné d’un arrangement de cordes jamais pompeux), un titre faisant globalement montre d’une qualité d’écriture remarquable, étirant cette compo épique sur presque 10 minutes. Avec quelques années de bagage supplémentaires, ils l’auraient collée à sa place, en conclusion de l’album… Comme quoi ils ont un sacré potentiel d’évolution !
Les autres morceaux confirment ce constat d’un talent de composition difficile à remettre en cause. Kryptograf s’avère un bon disque de stoner, accrocheur, intéressant, séduisant sur plusieurs aspects. Encore un groupe de qualité passé sous le radar. A suivre de près.
Somnus Throne est un trio américain dont la géolocalisation semble aussi hasardeuse que sa communication : en provenance de Nouvelle Orléans, puis installé au Texas, c’est à Los Angeles que le groupe semble partager le plus de repères aujourd’hui. Toujours est-il que l’on s’est retrouvé avec leur premier disque en provenance de Burning World Records (une petite mais belle maison, généralement bien tenue), et qu’on ne savait pas trop à quoi s’attendre.
En fins analystes que nous sommes, une rapide observation du track listing nous donne une première indication : quatre chansons, entre 10 et 15 minutes chacune, pour une plaque de plus de 45 min en tout… Ça sent pas vraiment la compilation de glaviots punk rocks. Notre doom-radar aux aguets, on se lance dans une succession d’écoutes répétées qui confirment rapidement notre présomption : Somnus Throne fait du doom, du doom « authentique » serait-on tenté de préciser (canal Sleep / Electric Wizard, en gros, plutôt que les groupes de doom old school classiques plus anciens, à la Pentagram / Cathedral). Inconvénient de ce genre bien précis : les codes sont établis et installés depuis bien longtemps, et il faut se lever tôt pour trouver des groupes qui proposent quelque chose de novateur dans cette inspiration musicale. Levons le suspense immédiatement : ce n’est pas le cas de Somnus Throne non plus. Le groupe propose au contraire quatre roboratives plages de gros doom très solidement charpenté : l’ossature s’appuie sur une poignée de riffs impeccables, rustiques et bruts bien comme il faut. En bons artisans, le trio connaît la qualité de son matériau brut, et sait le faire tourner juste comme il faut pour bien appuyer son propos – évidemment au rythme effréné d’un pachyderme neurasthénique. En ce sens, et la chronique pourrait s’arrêter là-dessus, ce disque conviendra sans hésitation à tous les doomsters puristes les plus exigeants.
Somnus Throne trace son chemin dans le sillage d’autres formations comme Conan, Electric Wizard (sur « Receptor Antagonist ») ou Monolord (sur « Sadomancer »), s’engouffrant même dans l’aspiration de Sleep plus souvent qu’à son tour… A l’écoute de « Shadow Heathen » (le riff d’intro et le chant…) ou de « Receptor Antagonist » et « Aethernaut – Permadose » (ce chant déclamé/psalmodié à la Cisneros sur lit de riff à 3 notes typique…), on peut se demander si la filiation n’est pas même un peu trop forte et que l’inspiration ne se rapproche pas parfois un peu trop de l’original… Posons-nous la question dans l’autre sens : est-il possible de trop écouter Sleep et s’en inspirer ? Non, bien évidemment non. Donc ça passe.
C’est dans « l’enrobage » de l’ensemble que le groupe peut apporter un peu de valeur ajoutée : arrangements, breaks, instrumentation… En l’occurrence, le groupe ne verse pas dans la folie pure et reste assez classique : ce n’est pas avec quelques samples d’extraits de films, des ralentissements un peu systématiques sur la fin de leurs morceaux, et quelques breaks basse-batterie qu’il nous estomaque. On notera en revanche quelques très intéressants passages à mettre à leur actif, comme ce beau refrain presque atmosphérique sur « Shadow Heathen », ou encore ce break heavy metal surréaliste de quelques secondes au milieu de « Receptor Antagonist »… Et plus généralement, des vocaux assez variés, qui apportent un peu de relief inespéré à l’ensemble.
En bref, Somnus Throne propose un bon album de doom comme on n’a pas forcément souvent l’opportunité d’en entendre de nouveaux. Belle exécution, bonne inspiration. Cette maîtrise des codes, jumelée avec un vrai talent d’écriture (notons une poignée de riffs vraiment excellents), font de ce Somnus Throne, le disque, une excellente addition à la discographie de tout amateur de doom.
2020 est une année chargée pour les fans de Sabbath, cette dernière marquant les 50 ans de la sortie de leurs deux premiers albums. Un anniversaire marqué par de nombreux disques, à commencer par la box Paranoid Super Deluxe publiée en octobre. Mais derrière cette beauté (sérieusement, penchez-vous dessus), quelques autres sorties sont à noter, du dispensable The Many Faces of Black Sabbath (compilation de collaborations de membres de Sabbath avec d’autres groupes) à la réinterprétation du premier album du groupe par Zakk Wylde (chroniqué ici). C’est visiblement le label Magnetic Eye qui se fait le plus présent sur le créneau, accompagnant l’album de Wylde d’un best of tribute (chroniqué ici) et d’une ré-imagination du volume 4 par des artistes heavy/stoner/doom, dans le cadre de leurs Redux Series.
Vol4. Le plus cocaïné des albums de Sabbath est donc revisité par quelques uns des acteurs de la scène fuzz US, pour le meilleur et pour le pire. Car Black Sabbath n’est pas toujours évident à reprendre. C’est un groupe aux pourtours simpliste dont l’efficacité tient notamment dans l’intention, la façon dont sont jouées les notes, et les pauses aussi. C’était là l’apanage des années 70 : laisser respirer la musique et c’est ce que le metal a bouleversé par la suite. Et dans un contexte de remplissage sonore, trouver le bon équilibre pour faire sonner du Sabbath n’est pas évident. Il est alors bien plus aisé de reprendre le sautillant « Supernaut » (Spirit Adrift s’en sort bien) que de s’attaquer à « Changes », ballade piano/synthé/voix que High Reeper massacre littéralement (rabattez vous sur la version de Charles Bradley pour l’entendre sublimée ou à la version de Fudge Tunnel pour quelque chose de complètement anarchiste). Sur ce tribute le réussi (Whores sur « Cornucopia », The Obsessed sur “Tomorrow’s Dream”, Thou toujours au rendez vous pour une cover, salissant “Wheels of Confusion”) côtoie des choses plus dispensables (Zakk Sabbath copiant l’original pour « Under The Sun », Haunt qui fait galoper « St. Vitus Dance » sans réel but) et au milieu Matt Pike et Billy Anderson délirent sur « Fx ».
Ce tribute est loin de la qualité de Nativity In Black, qui fait toujours autorité dans le domaine (et tiens, ressorti en LP cette année pour le disquaire day !), sans conteste en deçà du best-of qui l’accompagne (qui offre la possibilité d’un plus large choix de chansons à reprendre convenons-en) mais offre quelques raisons de s’enthousiasmer en sus de découvrir, via l’artwork soigné, que Alyssa Maucere, en sus d’être bassiste (et désormais Mme Pike), a un joli coup de crayon. A réserver aux complétistes donc.
Octobre 1971 : le groupe Pink Floyd se rend à Pompeii, l’un des plus grands sites archéologiques du monde, pour un concert un peu spécial : seuls au milieu de l’amphithéâtre, dans un cadre antique absolument grandiose, les 4 musiciens ne jouent devant aucun public, donnant une impression irréelle de pureté originelle permettant au téléspectateur de se focaliser uniquement sur la musique. Le contraste entre le dramatique de l’endroit et la beauté de la musique offre un contraste réellement saisissant. Sorte « d’anti-Woodstock », organisé deux ans auparavant, ce concert plus qu’intimiste fera date dans l’histoire de la musique et tranche radicalement avec les gigantesques tournées des stades à venir pour le groupe.
Mai 2020 : le Covid-19 est passé par là, le monde entier est recroquevillé sur lui-même, enfermé et coupé de toute relation humaine. L’humain se désociabilise, l’avenir n’est pas franchement optimiste et la distanciation sociale force les artistes à se réinventer, à oublier leurs certitudes et à faire voler en éclats leurs habitudes. Mais comment s’exprimer musicalement et visuellement quand il ne reste plus aucune possibilité de se produire en public ? Eh bien, la solution est toute trouvée : se produire… seul, perdu au milieu du désert, dans le strict respect de mesures de plus en plus drastiques. C’est donc le parti pris choisi par Yawning Man, l’une des plus mythiques formations de desert rock californien, donc du monde.
Depuis près de 35 ans, Yawning man s’est fait le chantre des generator parties, ces concerts sauvages électrifiés par des générateurs électriques, véritable institution du genre. Du coup, quoi de plus normal de retrouver Mario Lalli, Gary Arce et Bill Stinson au beau milieu des étendues désertiques californiennes. Mais attention, pas n’importe où : sur l’étonnant site de Giant Rock, au beau milieu du désert mojave, un lieu vénéré autant par les indiens que par les chasseurs d’extraterrestres. Il faut dire que le lieu est irréel : des formations rocheuses immenses jonchent le sol, donnant l’impression qu’une météorite a foncé sur une montagne. On se sent vraiment minuscule devant cette nature qui, décidément, n’a que faire de nous, pauvres humains, et qui essaie par tous les moyens de nous faire comprendre que nous ne sommes que les locataires des lieux… Bref…
C’est donc là que nos trois comparses ont posé leurs instruments et leurs générateurs et ont décidé de se lancer dans une sorte de suite au Live at Pompeii du Floyd. Ils nous proposent cette expérience filmée en multi-caméras (le support est donc dispo non seulement en LP seul mais aussi DVD) : 4 titres pour 51 minutes de musique, un décor de rêve et un groupe mythique, voilà ce qui vous attend à l’écoute (et la vision) de ce Live at Giant Rock particulièrement rafraichissant, envoûtant et dépaysant. Outre la qualité musicale des trois comparses, Live at Giant Rock offre une bouffée d’air frais salutaire, un voyage pour les sens, un remède à la claustrophobie ambiante qui gangrène notre société actuelle. Un document, une expérience, une porte d’entrée vers un monde nouveau, peut-être, qui verra sans doute pour quelques mois encore l’agonie de toute vie sociale et culturelle. Faut-il s’en réjouir ? Non, évidemment, mais ce genre de disque et de démarche fait passer un peu mieux une pilule toujours aussi difficile à avaler.
On ne peut donc que saluer et remercier chaleureusement Gary Arce, Mario Lalli et Bill Stinson pour ce moment hors du temps, loin des contraintes et des tracas du quotidien. Merci à eux pour cette parenthèse enchantée qui rassure sur un fait : non, la culture, le stoner et la musique ne sont pas que des lointains souvenirs et l’humanité peut encore prouver qu’elle peut se dépasser, se surpasser et conserver ce qui la différencie des autres espèces : un supplément d’âme, une capacité de résilience incroyable et une farouche volonté de survivre. Live at Giant Rock, le disque de l’année, le disque du nouveau monde.
Début 2019, Magnetic Eye records a lancé un appel à contribution (les jeunes appellent ça crowdfunding) pour financer / pré-commander une version “[Redux]” (leur concept de tributes sur des albums cultes) du Vol. 4 de Black Sabbath. Au bout de quelques semaines, comme il est désormais assez courant, un “stretch goal” a été mis en place, proposant en complément un second disque moins conceptuel, un “simple” best of de Sabbath toujours en mode tribute. Ce disque, au même titre que le [Redux] auquel il est originellement rattaché, sort donc maintenant, près de deux ans après le lancement de la pré-commande. Naturellement, il ne va pas savonner la planche de son frère siamois, et ne comporte donc aucun titre issu de Vol. 4. Pour le reste, les 6 premiers albums de la sainte discographie sont ponctionnés, avec même une incursion dans Never Say Die. A noter aussi, la moitié des groupes contributeurs au disque sont des artistes “in house”, déjà signés sur le label, donc par nature pas trop difficiles à choisir et ferrer…
On l’a dit et re-dit : il n’existe pas de vision unique à l’aune de laquelle évaluer la qualité et (surtout) la pertinence d’un tribute album. De fait, pour les groupes impliqués, la qualité du résultat dépend d’une savante mixture entre l’intention du groupe, le respect du groupe originel, la fidélité de la reprise, la qualité intrinsèque du groupe interprète, la prise de risque, le facteur surprise, etc… Toutes les composantes de la machine à perdre sont donc réunis au moment d’écouter un tribute album, ce qui en rend l’appréciation systématiquement compliquée. L’affaire est d’autant plus complexe quand on se frotte à l’icône, le parangon, le mètre-étalon de tout ce qui a été produit de saturé depuis plus d’une génération : reprendre du Black Sabbath c’est comme tenter de repeindre la Joconde avec des stylos Bic ou sculpter la Pieta avec un vieux chewing gum sec. L’exercice est aussi vain qu’il est casse-gueule, et il faut se détacher des originaux pour vraiment évaluer leur interprétation. Quasiment impossible…
On choisit donc d’encaisser cette galette par le menu, sans idée préconçue ni contextualisation. Les gars de Magnetic Eye ne sont pas nés de la dernière pluie et savent que le “facteur Wow” est toujours efficace : ils calent donc dès l’intro l’une des plus belles pièces, avec rien moins que la vision de “Never Say Die” par Earthless. Les vétérans du jam rock ne se font pas piéger dans cet exercice et la jouent super fidèle : chant nasillard, rythmique débridée, break décalqué sur l’original, faible prise de risque sur le beau solo… Solide. D’autres “valeurs sûres” contribuent au track listing du disque, avec notamment le “Electric Funeral” de Solace – petit hold up de l’album néanmoins, le label ayant simplement récupéré cette onctueuse mais ancienne reprise (dispo dans Sweet Leaf, le tribute à Sabbath publié en 2015). L’une des meilleures du disque, bien sûr, mais néanmoins incorporée en douce un peu à la hussarde. On ne salue pas l’effort, mais on apprécie de la réécouter. Autre curiosité : une sorte de “super groupe” est monté avec les musiciens de CKY et la moitié de Fireball Ministry, propice à déguster la brillante ligne de basse de “N.I.B.” sublimée par Scott Reeder, sur une interprétation solide et respectueuse de ce titre.
Pour la suite, on alterne le bon et le moyen. On passera rapidement sur les correctes interprétations de Black Electric (“Sweet Leaf” avec grosses guitares et chant nonchalant – ce qui peut être vu ironiquement au regarde de la thématique du titre – ainsi que quelques arrangements originaux mais discrets) ou encore de Hippie Death Cult, fidèle et (donc) efficace. Howling Giant brille aussi dans le même exercice avec un “Lord of this World” au final épique. De même, Caustic Casanova, bons élèves appliqués, déroulent gentiment leur “Wicked World”, mais prennent quelques copieuses libertés sur le break en milieu de titre qui dégénère en torrent de leads. Pas inintéressant en soi, mais sans lien avec Sabbath, et du coup un peu vain. Dès lors, la première question fondamentale se pose : ne devrait-il pas être illégal de se faire briller sur le dos du grand Sabbath ? La question est légitime.
Si ce n’est Thou, c’est donc Rwake, au rendez-vous de la reprise bourrin, passage obligé de tout tribute désormais. Le groupe sludge-ise bien comme il faut “The Writ” (plus lent, plus gras, plus trappu en guitares) pour une interprétation plutôt sympa (dont 50% de l’intérêt tient dans le jeu de mot du titre proposé, “The Rwrit”). Plus loin les bourrins de Leather Lung s’en sortent pas mal en développant l’aspect sautillant de la rythmique de “Hole in the Sky” mais ruinent un peu le tout avec son chant mi-sludge du coup encore plus décalé.
Mooner adapte “The Wizard” à son moule, ça marche plutôt bien (l’harmonica remplacé par la flûte c’est quand même un peu capillotracté mais pourquoi pas). Même approche pour Brume, qui s’attaque au planant “Solitude” à grands renforts de piano et de violoncelle, pour un final charpenté en mode post-metal atmosphérique. Moui.
Enfin, les grands gagnants de l’opération… L’un des meilleurs titres du disque est le fait d’Elephant Tree, qui reprend “Paranoid” en posant ses cojones sur la table, ré-interprétant complètement ce joyau brut, sans en changer la substantifique moelle. La rythmique est étirée pour lui donner une tonalité doom (évidemment) pachydermique, et l’impact de l’original, percutant car contenu sur moins de trois minutes, est maintenu en sacrifiant une paire de couplets ici ou là ; mais le résultat vaut bien cet humble sacrifice. Dans la même veine, les jeunes norvégiens de Saint Karloff parviennent à surfer sur “Sleeping Village” pour déployer de copieuses lampées de leur proto doom psychédélique, en prenant de larges libertés sur l’original, calant des plages instru entières ici ou là pour l’étirer sur presque 8 minutes. On est finalement dans l’esprit chaotique de l’original, et ça passe bien ! Autre bonne surprise : Year of the Cobra et sa très bonne ré-interprétation doom atmosphérique et aérien de “Planet Caravan”.
Difficile avec tout ça de se faire un avis global cohérent. Point à noter néanmoins : il n’y a pas de gros plantage, d’interprétations irrespectueuses et honteuses, ou de prise de risque à côté de la plaque (avouons-le : ça arrive pourtant souvent dans les albums de reprises). De fait, on retrouve aléatoirement des titres oscillant entre le moyen et le bon (et de rares très bons), ce qui en soit est une plutôt bonne surprise au regard de nos attentes plutôt modestes par rapport à l’objet. Reste la question “avait-on vraiment besoin d’un nouveau tribute à Black Sabbath ?”… dont la réponse appartient à chacun.
En mars 2020, comme pour beaucoup de groupes (tous ?), le COVID-19 vient mettre un coup d’arrêt à toute activité scénique. Pour une machine de scène comme Kadavar, c’est un véritable coup dur (pour rappel, le trio berlinois fut l’un des premiers à proposer un live en streaming depuis leur salle de répétition, signe que la bête n’avait pas l’intention de se laisser mourir). Puis silence, si ce n’est les rumeurs discrètes de quelques sessions de composition du trio, apparaissant sporadiquement sur quelques réseaux sociaux. Quelque chose de décousu, les premières allusions à quelque chose d’atypique… et donc doublement étonnant de la part d’un groupe qui a occupé ses dernières années à perfectionner une formule musicale bien balisée, l’amenant à un niveau d’efficacité difficile à remettre en cause. Puis les premiers extraits ont émergé, confirmant le caractère déstabilisant de ce disque.
The Isolation Tapes, donc, fruit du cerveau littéralement débridé du trio : sans barrière ni ligne directrice, les musiciens laissent s’exprimer leur état mental du moment (isolement/confinement, questionnements existentiels, nouveau regard sur la vie…) à travers leurs compositions. Perte de repères dans la vie = perte de repères dans la musique. L’abandon, le lâcher-prise… et l’ouverture. Il apparaît vite très clairement qu’il ne fallait pas s’attendre à écouter et apprécier ce disque à l’aune de leur discographie, assurément. Et donc, pour l’auditeur, la consigne (l’exigence, même) est en miroir : lâcher prise, et ouvrir ses chakras. Et il faut bien ça, quand on s’est enquillé une palanquée d’albums fuzzés, énervés, électrisés et riffus ces dernières semaines… le choc est bien celui que l’on imaginait.
Ce qui se dessine en creux au fil des 10 plages du disque (que ne le dira-t-on assez : 10 chansons / 45 minutes, le nombre d’or de l’album rock), c’est finalement un vrai pan d’influences de Kadavar – celles qui ne sont pas le fruit d’un héritage croisé Sabbath / Led Zep par exemple, mais plutôt celles des sources de la musique des années fin-60/début 70 : de la mélodie, du psychédélisme, le tout porté par des dizaines de sonorités et instruments divers, et baignant dans des volutes louches. Ça part littéralement dans tous les sens, à la fois en terme d’inspirations musicales et de sonorités : on pense à Uriah Heep, on ose entendre quelques sonorités qu’on pourrait imaginer venir d’un Santana moins latino (les leads de “I Fly among the stars”), on capte des rythmiques basse/batterie emblématiques des prémices du kraut rock, on a des échos des instrumentaux typiques des giallos de la fin des années 70/début 80 (on pense par exemple aux compos de Carpenter bien chargées en synthé – voir “The Lonely Child”), on baigne plus qu’à son tour dans des mélopées électro suaves (“Everything is Changing” et ses plans un peu trop sirupeux parfois)… Et quand le groupe verse finalement dans un petit garage rock un peu plus excité (“(I won’t leave you) Rosi”) c’est pour mieux ressortir la tête du bouillon sur le très aérien (presque easy listening) “The World is Standing Still”.
Fondamentalement, The Isolation Tapes est aussi – et c’est l’un de ses facteurs distinctifs majeur – un album de basse plutôt qu’un album de guitare. L’absence de riffs, on l’a déjà dit, profite à de savoureuses rythmiques de basse, rondes, mélodiques et chargées en groove (l’irrésistible ligne de “Eternal Light (We will be OK)”, la rythmique endiablée quasi bossa nova de “Unnaturally Strange (?)”…). Tant qu’à jouer le low profile jusqu’au bout, Lupus est aussi presque absent au niveau du chant, particulièrement rare et discret sur cette galette (et évidemment soft et sirupeux lorsqu’il est présent). On imagine bien le frontman à la manœuvre derrière bon nombre des instruments mis en œuvre ici (en plus de nombreux leads parfaitement à leur place), mais difficile, dans ce maelstrom de repères, d’identifier qui fait quoi sur chaque plage au sein de l’entité Kadavar. Il n’est pas impossible, à ce titre au moins, que ce disque soit leur réalisation la plus collective.
Bref, vous l’aurez compris seuls, ce disque n’est pas en tant que tel un disque de rock. A ce titre, il ne conviendra pas, à l’évidence, aux amateurs exclusifs de sons saturés et de riffs acérés. Le définir alors relève de la gageure. Musique d’ascenseur ? Easy Listening ? Pop ? Un peu de tout ça, et plein d’autres choses. Fort ce ce constat désarmant, la question se pose : fallait-il sortir ce disque sous le patronyme de Kadavar ? Oui, mille fois oui. Car clairement, ce disque leur est très personnel et honnête, et chaque fan un peu puriste du groupe appréciera ce regard bien particulier. C’est en effet plutôt un disque des musiciens de Kadavar, que de l’entité Kadavar, cette machine de retro rock nerveux à l’efficacité sans pareille, et c’est ce qui est aussi perturbant qu’enthousiasmant, donnant l’occasion d’un regard privilégié sur les mécaniques créatrices du trio. The Isolation Tapes propose un peu plus qu’une simple curiosité, qu’un disque qu’on écoute pour sourire entre amis ou pour ajouter à sa collection vinylique Kadavar-esque – en espèce il s’agit bel et bien d’un objet certes étonnant, mais qui mérite une attention soutenue…
On a fait la connaissance de Lucidvox à l’occasion du dernier Desertfest à Berlin, où le quatuor moscovite trouvait sa place dans une affiche ce jour-là plutôt connotée psyche. Fort de quelques sorties (EP ou albums), le groupe formé en 2013 peut se targuer de quelques années d’expérience, mais d’une renommée largement en retrait – la faute probablement à un choix de label peu représenté sur ce segment musical, et à une expérience scénique qui leur a finalement rarement permis de quitter leur Russie natale. Mais ces années d’existence ont été mises à profit pour développer leur musique et leur “synergie” propre : au moins deux des musiciennes ne pratiquaient aucun instrument avant de créer le groupe, et c’est donc via “l’émulation amicale” prégnante au sein de l’entité que cet apprentissage instrumental s’est opéré, au gré aussi de l’évolution musicale de l’entité Lucidvox.
C’est donc avec un intérêt non feint que l’on s’empare de ce disque, n’ayant pas eu l’opportunité de se pencher sur leurs productions précédentes. La principale surprise au fil des écoutes tient à ce que les “travers” habituels des albums de psych rock, avec souvent des titres à rallonges où les plans se répètent et s’enchaînent à l’envi jusqu’à justement susciter cette impression quasi-hypnotique, ne se retrouve pas ici. Pour autant, l’étiquette psych rock n’est pas galvaudée, et de nombreux plans viennent nous le rappeler (le lancinant solo chargé en wah-wah de “My Little Star”, le sitar en fond sur “Knife”, la section instrumentale de “Sirin” qui taquine le space rock), mais la concision des compos (tout est en dessous de 6 min, avec une durée moyenne de 4min30) et leur structure alambiquée ne permettent jamais de ressentir la moindre répétition… ou même le moindre ennui, avouons-le.
S’appuyant sur des paroles interprétées en russe, Alina apporte encore une touche atypique à cette musique qui n’en manque pas, à travers des vocaux suaves (“You are”), énergiques (“Knife”, “Body”, “Around”), lancinants (“Runaway”) ou incantatoires (“Amok” et son gimmick vocal de répétition déstabilisant). Les trois autres musiciennes s’attèlent à dresser un spectre dense et riche de sonorités tour à tour chamaniques, rock, orientales,… Instrumentalement, la formation assez traditionnelle guitare-basse-batterie vient ajouter différentes nappes de claviers, de flute, ou même de trompette (“Runaway”, pour une ambiance assez remarquable) ! Des choix audacieux et pointus, qui viennent encore appuyer la démarche frondeuse et rafraîchissante du quatuor. A noter néanmoins : We Are n’est pas vraiment un disque immédiat, à digestion rapide – loin s’en faut. Il faut du temps pour l’adopter, en circonscrire les contours et rentrer dans ses méandres. C’est d’ailleurs aussi à ce titre qu’il est difficile de l’associer à un album de psych rock “traditionnel”, pour lequel l’efficacité est généralement plus facile et rapide à appréhender.
L’amateur-défricheur de psych rock électrisé et aventureux trouvera largement de quoi se faire plaisir avec cette galette : déstabilisant à plus d’un titre (inutile de revenir sur le chant en russe, premier “exotisme” de cet album), il devient vite attachant, apportant une touche de fraîcheur et d’expérimentation à un genre musical souvent formaté.
On l’attendait ! Pile deux ans après la sortie du suprême Calm Black Water, les oracles des abysses refond surface pour nous offrir leur troisième prophétie. Un album une fois et demi plus long que le précédent, mais tout aussi profond. Un subtil mélange de mélodies atmosphériques envoûtantes entrecoupées de séquences distordues dévastatrices, que nos quatre amis de Chicago auront eu le bon sens d’intituler Chaotic Divine.
En juillet 2020, petite frustration en découvrant Infected Ambient Works, qui comme son nom l’indique, n’arbore que la facette ambiance du groupe. Vingt-six pistes (quand même) et pas une once de distorsion, pas un seul lâché de riff brutal, mais une farandole d’œuvres instrumentales planantes tout droit issue de l’éther. En y regardant de plus près, il s’agit d’un split entre REZN et Catechism, qui s’avère être le projet solo du claviériste, saxophoniste, percussionniste du groupe Spencer Ouellette. Ouf ! Seulement, trois mois plus tard, on découvre enfin le nouvel opus du quatuor américain, et c’est une bénédiction.
Pour comprendre la recette du groupe alliant les ambiances cosmiques et la lourdeur du doom, il suffit d’écouter l’introduction de Chaotic Divine : « Emerging ». Une pièce au tempo lent, à la rythmique lancinante qui monte dans un crescendo ténébreux où la voix du guitariste Rob McWilliams nous envoûte tout autant que la funèbre mélodie. Puis soudain, les eaux tumultueuses s’apaisent, et nous voilà en surface. La batterie qui cognait juste avant joue désormais en retrait, caressante, effleurant à peine la surface de ses cymbales. La basse roucoule, et les lourds riffs de guitare se sont substitués à un phrasé distant, comme la lueur d’une silhouette que l’on devine au loin sans en appréhender les contours. Nous y sommes. La substance d’REZN, c’est cette alternance, cette dichotomie, cet affrontement permanent entre deux forces qui se muent l’une dans l’autre, qui dansent.
Le passage de « Clear I » à « Optic Echo » en est un autre exemple. La première est un interlude psyché et contemplative, mais dans un registre sinistre ; l’objet de contemplation inspire le malaise, le bizarre davantage que le tripe cosmique. La seconde en revanche, libère toute l’énergie retenue jusqu’alors, exhibe toutes les craintes dissimulées à coup de doom puissant. Le saxophone et la voix ont beau apporter une certaine douceur, l’ensemble demeure d’une violence délicieuse.
Si jusqu’à maintenant, nous évoluons en terrain connu (« Inner Architecture » aurait tout aussi bien pu s’inscrire parmi les dix pistes du premier album Let It Burn), Chaotic Divine apporte aussi son lot de nouveautés ; ou plutôt les témoins de l’évolution du quatuor. Il y a tout d’abord le magnifique groove de « Garden Green » avec cette basse si ronde, si chaleureuse, tout en énergie contenue et qui évoque presque, je dis bien presque, une sorte de noir reggae des profondeurs. Cette piste enchaine à merveille sur « The Door Opens » où l’on est cette fois accueilli par une voix beaucoup plus bourrue et altérante qu’à l’habitude. Un chant grinçant et déchaîné qui renforcera le propos du morceau. Puis il y a « Scarab », un titre survolté au regard des précédents, et comme le groupe en compte peu. Un titre avec matière a remuer les foules lors des lives.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Off The Record aura eu le nez creux en signant à nouveau REZN. Le groupe s’épanouit au croisement de la puissance de Monolord, des ambiances cosmiques de Mars Red Sky, tout en apportant une pâte unique lui octroyant tout son charme. L’expérience REZN c’est accepter de découvrir un univers sombre, empli de bizarreries, de merveilles oubliées à dessein ; c’est plonger au cœur d’un abysse sans fond, où évoluent des créatures gigantesques et pas franchement bienveillantes. Une expérience que je ne peux que vous recommander.
Bon, avant de commencer à parler de cet EP, petit briefing pour ceux qui ont été confinés trop longtemps : Big Scenic Nowhere, c’est un projet composé de tueurs de la scène desert rock monté autour de Bob Balch (Fu Manchu) et Gary Arce (Yawning man) qui, pour l’occasion, s’entourent de pointures du milieu comme Tony Reed (Mos Generator), Mario Lalli (Yawning man, Fatso Jetson) ou encore Per Viberg (Spiritual beggars). Après un EP paru en 2019 dans la fameuse série Postwax et un album franchement excellent sorti en début d’année, on attendait une suite la bave aux lèvres et le porte-monnaie frétillant à l’idée d’acquérir cette fois-ci un double album de 80 minutes dégoulinant de stoner désertique gavé aux cactus.
Arrêtons le suspense tout de suite : votre banquier ne va pas (encore) vous appeler pour renflouer votre compte en banque, Big Scenic Nowhere sort Lavender blues qui, sous une pochette à la colorimétrie douteuse évoquant plus les escaliers de Poudlard que le désert californien, renferme 3 malheureux petits titres pour une durée de 24 minutes. Bon, on s’en contentera et on se dit que vu le casting, on va passer 24 belles et bonnes minutes. Alors, oui… et non.
Certes, cet EP renferme l’une des plus belles pièces heavy psych de cette année (le sublime et ultra-planant « Lavender blues » de 13 minutes, qui justifierait à lui seul l’acquisition de cette galette), mais les 2 autres titres sont franchement moyens. « Blink of an eye » et son riff évoquant les grandes heures de Lynyrd Skynyrd reste plaisant mais demeure bien trop « radio-friendly » pour satisfaire nos esgourdes. Mais le pire (ou le moins bon, n’exagérons pas) reste à venir : le dernier titre, « Labyrinths fade », est, à mon sens, une tentative assez vaine de composition progressive dans la veine des productions grandiloquentes des seventies. Après plusieurs écoutes, je n’arrive toujours pas à apprécier ce titre (pourtant, j’ai essayé!) mais quelque chose me chagrine… Sans doute ces solis de gratte trop pompeux qui ne collent pas avec la « philosophie » du desert rock…
Avec Lavender blues, je reste un peu sur ma faim. Bon, je vous rassure, on a fait bien pire cette année mais au vu du casting et de la qualité de leur LP Vision beyond horizon, j’attendais peut-être trop de la suite. Bon allez, sans rancune les gars, on se revoit dans quelques mois pour, cette fois-ci, un vrai album.
La scène stoner française est en plein essor et, aux 6 coins de l’hexagone, de Lille à Brest, de Strasbourg à Nantes et de Paris à Lyon, tout le monde s’affaire pour faire mentir le fameux adage de John Lennon qui a déclaré un jour que le rock français, c’est comme le vin anglais, çà n’existe pas. Occult hand order est de ces formations « obscures » de la scène stoner française (et forcément inconnue du grand public) mais qui, comme ses camarades, mérite qu’on s’y intéresse et force le respect avec une inventivité, une abnégation et un courage sans faille pour tenter de se faire une place.
Dire qu’ils y mettent la manière est un doux euphémisme tant leur dernière livraison en date, intitulée The chained the burned the wounded (qui suit un déjà très bon EP paru l’an dernier), est d’une qualité telle qu’on se demande encore pourquoi la notoriété les fuit. Rien que le titre d’ouverture « Azazel », avec son riff monolithique, sa batterie vindicative et son chant lointain et plaintif, se doit d’être de toutes les playlists des amateurs de doom psychédélique. La force de cet album réside dans sa qualité d’écriture (5 titres pour 35 minutes de musique) et de mixage, étonnante pour une auto-production.
On sent l’influence de Mars Red Sky (belle référence) avec des nappes de guitare planantes à souhait. Tout le reste de cet EP (car oui, malgré sa durée, cela reste un EP), de « What comes after us » (assez bluesy dans son approche) à « Wound » (le plus « cosmique » des 5 titres) en passant par le délicatement puissant « Edwin the wise », est un sans-faute et tout concourt à faire de The chained the burned the wounded l’un des sérieux candidats au titre de « meilleur EP français » de l’année. Du très beau travail.
Une batterie enregistrée par Christoph “Tiger” Bartlett de Kadavar dans leur propre studio, un mastering réalisé par Magnus Lindberg de Cult of Luna, une production de jan Oberg de Earth Ship et en tête d’affiche Sebastian Grimberg également batteur de Earth Ship. Décidément, le groupe Neànder évoque plus un block buster allemand qu’un quartette de doomeux frontaliers du post métal, cependant c’est bien ce dont il s’agit et leur seconde production Eremit est là pour le prouver.
Après un premier album clairement marqué post rock il était assez improbable que le second finisse dans les pages de Desert-Rock, mais c’était sans tenir compte de l’appétit stylistique de nos camarades de Neànder.
Eremit ne fait pas exception à ce qui pourrait devenir une règle. L’album est d’une part entièrement instrumental et fait la part belle aux nappes de guitare post bidule. Cet aspect du genre a d’ailleurs souvent tendance à vite me lasser mais ici il n’en a rien été. Pas de complaisance dans les drelins drelins larmoyants. Même si la majeure partie des morceaux passe de 7 à 12 minutes, le style évolue continuellement passant de l’esprit post metal décrit plus haut à des accords doom profonds et lourds.
La lourdeur est probablement la première caractéristique de Neànder, les morceaux font la part belle à la batterie, la mettent en avant. Le titre “Ora” résume à lui seul la place de la section rythmique. La batterie et la basse avancent de concert, enflent, pour venir prendre une bonne part de l’espace sonore. On retrouve ici également une culture black métal dans la rapidité du jeu, l’utilisation des cymbales et surtout les roulements de grosses caisses.
Cette batterie omniprésente et glissant vers le blackened doom on peut déjà la sentir dans le second titre, “Purpur”. La piste illustre la force de l’album mais aussi sa noirceur. La piste évolue sur des sentiers de mélancolie, quand doom, post et black se rejoignent il n’y a pas à chercher plus loin. Cependant Neànder ne s’enferme pas dans un état d’esprit. Il se libère régulièrement de son onyx pour planter çà et là quelques phrases lumineuses à l’instar de “Clivina” où les fûts de taisent pour laisser respirer une balade guitare/basse. Avant de revenir plus puissante et martiale sur le dernier titre “Atlas”. Un morceau bien nommé qui montre les muscles et avance à lourds pas de titan sous le poids des accords doom du quartette.
La structure évolutive de Eremit, les influences multiples et le foisonnement d’idées, le choix de l’instrumental pour ne pas être obligé d’emboîter le pas d’un chanteur, la liberté de créer des atmosphères aussi sombres que lumineuse font de Neànder un groupe à part. Il est vain de vouloir les classer si ce n’est pour jouir d’en disséquer toutes les composantes.
Même en l’absence de classement il faudrait être obtus pour ne pas aller jeter une oreille curieuse sur Neànder et en particulier sur cet Eremit où je gage que beaucoup trouveront leur compte et pourquoi pas l’enthousiasme de la liberté.
Décidément, la musique en général et le stoner en particulier n’ont pas fini de nous surprendre… Et c’est tant mieux, à l’heure où le monde de la culture se meurt, à l’heure où les concerts agglutinés les uns contre les autres ne sont plus qu’un doux souvenir, il est parfois bon de voir que non, le monde de la culture n’est pas (encore) mort et enterré et qu’il survit malgré les nouvelles contraintes d’un monde qui n’a que faire d’un peuple qui a besoin de se distraire pour oublier un quotidien et un futur incertains. Je disais donc que la musique n’avait pas fini de nous surprendre : entre Kadavar qui va nous balancer un truc improbable la semaine prochaine (enfin, c’est ce qu’on pense tous…) et des groupes inconnus (Psychlona, Slomosa…) qui nous pondent un album monumental qui sera de tous les tops à la fin de l’année, on ne peut pas dire que les artistes ne font pas tout pour satisfaire notre soif insatiable de musique et de nouveauté.
Et puis, il y a Mr Bison… Actif depuis 2009, le trio transalpin (fun fact : les 3 garçons se prénomment tous Matteo!) nous gratifie à intervalles réguliers de tout ce que la scène stoner italienne sait faire de mieux : un son désertique au possible, des envolées guitaristiques majestueuses et des compositions flirtant avec les meilleures productions mondiales (voire même les surpassant de temps en temps). Le doux souvenir de la découverte, il y a 2 ans, du sublime Holy Oak est encore ancré dans la mémoire que déboule la nouvelle fournée du trio, intitulée Seaward. Un rapide coup d’oeil au dossier de presse nous renseigne sur le fait que cet album est en fait un concept-album inspiré par les légendes des 7 perles de la mer Tyrrhénienne (la déesse Venus aurait laissé tomber 7 perles de son collier et ces perles forment les 7 îles de l’archipel d’Elbe). Bon, OK, pourquoi pas…
Heureusement, la musique de Mr Bison reste tout à fait accessible et surtout hautement recommandable à tout à chacun, même si vous ne vous intéressez pas forcément à la mythologie divine. Seaward ne doit pas être perçu comme un album de rock progressif (terme un peu barbare et surtout assez réducteur) mais plutôt comme une suite de petites saynètes qui s’enchainent à merveille, le tout formant un ensemble cohérent. Difficile d’en extirper un single ou même un titre qui sortirait du lot, Seaward est avant tout un long et beau voyage à travers l’imagination de Mr Bison, une ode à la contemplation sonore, une invitation musicale à pénétrer dans un univers nouveau, mystérieux et majestueux. Bref, un appel à regarder au-delà de l’horizon.
Seaward restera une pierre angulaire dans la carrière de Mr Bison. De par sa capacité à nous emporter, à nous extirper d’un monde au futur sombre, le trio transalpin nous offre une porte d’entrée salutaire vers un monde peuplé de souvenirs réconfortants et d’une vision finalement rassurante : non, la culture n’est pas morte et elle a même, j’en fais le pari, de beaux jours devant elle.
Sur chacun des plans des millions de sphères du multivers, il existe une incarnation du champion éternel qui, délibérément ou non, est le gardien de la balance cosmique. Et à l’inverse de ce concept, inventé par l’écrivain Michael Moorcock, il existe un loser éternel répondant au nom de Sons of Otis, qui n’a de cosmique que la musique. Pourtant les natifs de Toronto (et s’il était là le problème ?) ont tout bien fait, publiant en 25 ans 7 albums ayant, à différents niveaux, de quoi marquer durablement l’histoire de la musique alourdie. Le pinacle de leur discographie sort même en 1999, en pleine période stoner rock, via le plus important label du genre (Temple Ball sur Man’s Ruin). Si à 50 ans on a pas écouté cet album c’est qu’on a raté sa vie. Leur résurrection via Small Stone Records leur permet de publier Seismic l’une des toutes meilleures productions de la décennie passée mais rien ne semble y faire, les déboires (de batteurs, de tourneurs), conjugués au caractère de Ken Baluke (qui n’est pas réputé pour être le plus vivable des artistes) et à une malchance certaine, semblent constamment rappeler Sons of Otis dans les limbes de la seconde division dont ils ne se sont jamais vraiment extraits.
8 ans se sont écoulés depuis Seismic et c’est à la faveur d’une tournée commune avec Dopethrone et Bongzilla en 2018 que le groupe fait la connaissance de Totem Cat Records, qui a propulsé la carrière des premiers et réédite méthodiquement les classiques des seconds. Sons of Otis profite des deux mamelles du label : Paid To Suffer et Spacejumbofudge sont ainsi réédités (Temple Ball est à suivre), préparant idéalement le terrain pour la publication d’Isolation. Quel plaisir de retrouver le trio tout en maestria, riffs hypnotiques et chant noyé dans les effets ! Baluke sait qu’il tient une formule qui fait remonter le temps et c’est à la fin des années 90 que le son de cet album nous renvoie, à une époque où rendre hommage à Black Sabbath ne voulait pas dire copier leur son. « Blood Moon » s’ouvre d’ailleurs sur un accord triton nous faisant immédiatement demander « quelle est cette chose, qui se tient devant moi ? ». Mais à l’instar des premières mesures de « Flower Travelin’ Man» d’Earthless, convoquant Led Zeppelin, la citation a ici pour vocation de nous emmener plus loin. Et plus loin c’est ici 57,6 millions de kilomètres plus loin, dans l’espace. L’isolement. Un thème intéressant en ces temps distanciés. Sons of Otis nous met en quarantaine, loin des modes faites de metal extrême ou de sombres musiques pleurnichardes. Les fils d’Otis font dans l’élévation, dans le monte-charge. Dans le tempo pesant, la fuzz grave et la mélodie en boucle : la transe distordue, comme ils l’ont toujours pratiquée. Et « Blood Moon » sature l’espace par ses moments de growl des enfers, « Hopeless » bourdonne, installe la gravité. La présence de « Theme II », 6 minutes d’ambiance macabre amenant la déferlante « Trust » renvoie directement à « Theme » de Spacejumbofudge. Plus que simplement marquer la filiation, Sons of Otis rappelle que même si ses retours sont sporadiques, ils constituent à chaque fois de véritables évènements pour les quelques irréductibles pour qui un vrai album de doom cosmique peut remettre un peu de saveur à une année sinistrée.
Le disque de l’année ?
Pont Vinyle :
3 options pour Isolation : une édition spéciale limitée à 100 exemplaires, le lp étant à l’image de la pochette, dans un superbe splatter rouge et noir, accompagnée d’un artbook, Sold out en une journée, 200 ex noir et rouges et 200 autres noirs.
Progressive fuzz, on ne saurait mieux trouver pour définir le trio instrumental lyonnais Fuzzcrafter. Artisans de la fuzz, créateurs d’un premier album studio et revendeur d’un live, ils viennent de détourer, polir et mettre sous écrin une nouvelle plaque sobrement intitulée C-D qui devrait confirmer leur étiquette. En revanche avec un titre pareil et des morceaux allant de “C1″à”D3” c’est à se demander si l’on n’aurait pas affaire plus à des ingénieurs qu’à des artisans.
Pour cette livraison, les Fuzzcrafter nous offrent sous une bonne couche grasse de fuzz des passages entre blues et jazz, où ils déroulent des gammes mine de rien et font passer le tout grâce à un tempo toujours très swing. La structuration des morceaux ne permet pas de qualifier le tout de Jam Session, mais avec deux morceaux de plus de 13 minutes, impossible de ne pas y penser.
Ce nouvel opus fait la part belle au prog dans un étalage bienséant de virtuosité. Fuzzcrafter n’enfonce jamais vraiment le clou d’une musique qui pourrait devenir trop pesante. C’est le cas avec “D2” qui joue un thème suranné avant de bifurquer vers des une basse et une guitare hyper funky, quasi pop. Le tout aboutit à quelque chose qui flottait déjà dans l’air avec certains passages sur “D1”, notamment quand la basse ultra fuzzée soutient les rythmiques hyper sèches de la gratte.
S’il est question de virtuosité tant du côté de la guitare que de la basse, le batteur qui est moins volubile que ses camarades sait cependant apporter sa touche de couleur aux composition grâce ses breaks et à de petites surprises comme avec l’utilisation d’une darbouka sur “C3”. Ce morceau reprend la recette la piste “A4” sur la plaque précédente, il est également assez central au sein de C-D, cette perle électro acoustique d’une finesse enthousiasmante confirme l’essai et Fuzzcrafter va pouvoir réitérer l’expérience acoustique sur “D3” pour une clôture qu’on aurait néanmoins souhaité plus longue. (Et là, je vous recommande d’aller jeter une oreille une fois de plus au premier opus dont la gémellité de structure est flagrante)
C-D est un album moins en recherche de fuzz et de puissance que le précédent et c’est sans renier son enseigne que le trio d’artisan intègre à son art de multiples courants au travers desquels il augmente sa capacité d’expression. Fuzzcrafter vient confirmer avec cette nouvelle galette qu’il a de l’or dans les doigts et des idées plein la tête. Une maison au savoir-faire rigoureux où l’on ne regrette pas d’être client.