Wedge – Like No Tomorrow

 

Trio festif berlinois Wedge emprunte comme ce fut le cas pour certains de leurs cousins les chemins du rock retro seventies. Ils nous avaient laissé un goût de déjà entendu loin d’être déplaisant avec leur précédent album. Ils reviennent confirmer leur sens de la bamboche avec leur nouvel album Like No Tomorrow qui laisse pourtant entendre que demain pourrait ne pas être si chantant. Profitons-en donc et entrons jeter une oreille dans cette fête.

Le groupe reproduit ce qu’il avait déjà su faire à merveille sur Killing Tongue, un morceau de vie jouissif et dansant qui nous emporte dès les premières notes dans sa sarabande. Cependant il convient de ne pas s’y arrêter et d’aller faire un tour sur le fond. Like No tomorrow est un album à messages qui cherche la réflexion autour de la numérisation, de l’immigration, des problèmes sociaux… bref si les thématiques ne sont pas des plus joyeuses, Wedge tire sa force de sa capacité à aborder des questions graves sous l’angle d’une musique toujours entraînante aidant à faire passer la pilule voire même à détacher complètement musique et sens des paroles.

L’élément central, l’orgue hammond est sans doute pour beaucoup dans l’entrain que suscitent les morceaux “Computer” ou “Soldier”. Cet allant s’accompagne d’une rythmique organique qui trouve écho dans les battements de cœur de l’auditeur sur “Blood Red Wine”.

Les morceaux sont constellés d’astuces et de plans pleins de malice comme les cavalcades de personnages de cartoon, que ce soit sur Computer ou l’outro de “U’n’I”. Les traversées des frontières musicales sont légions qu’il s’agisse des accents surf sur “Playing a Role” ou de la danse rockabilly moderne et survoltée de “Soldier”. Ce dernier morceau flirte aussi sans rougir avec le southern rock et il faut avouer que ce n’est pas si mal fait. L’album est dans la droite lignée de ce que sait faire Wedge, loin d’être déplaisant il assied le groupe dans sa zone de confort. Malgré cela, le trio arrive tout de même à surprendre en produisant avec “Across The Water” et “At The Speed of Life” des morceaux plus sensibles.

Wedge trace sa route avec un Like No Tomorrow à la recette éprouvée qui fait mouche, elle tient en peu de chose, un peu de bonheur de faire de la musique, un peu d’engagement dans son travail et la nécessité de ne pas se laisser abattre même quand les idées sont moroses. Sur cette base il y a fort à parier que la prochaine plaque du groupe sera du même tonneau et à vrai dire on ne va pas s’en plaindre.

 

Bismarck – Oneiromancer

Décidément, les groupes norvégiens se sont illustrés ces derniers mois, et le dynamique label Apollon Records n’y est pas pour rien. Leur nez (ou leur oreille plutôt) a su flairer et mettre en avant quelques groupes bien séduisants qui nous font considérer un peu différemment l’ensemble de la Scandinavie, en allant regarder un peu au delà de ces parfois un peu énervants suédois… En l’occurrence, l’occasion nous est donnée de découvrir le très bon second album (même si le premier ressemblait plus à un EP qu’à un LP) de ce lugubre quintet de la région de Bergen.

Il s’en est pourtant fallu d’un cheveu qu’on passe à côté : la faute à une première plage, “Tahaghghogh Resalat”, en droite et pleine provenance du moyen orient. Il faut dire qu’on a toujours du mal à assimiler le dernier Jucifer [pour info et hors sujet : le groupe de sludge épais et brutal vient de sortir un album complet… de pure musique orientale, une hérésie…] et on se voyait déjà partir à nouveau dans cette veine. Heureusement, après 4 minutes, un véritable déferlement de haine brute, un tombereau de doubles croches boosté aux blast beats et aux growls d’outre tombe en mode black metal vient nous cueillir, pour mieux nous envelopper ensuite dans les bras chaleureux du plus tortueux blackened doom. Raaaah lovely… Le titre se prolonge sur un riff doom plus convenu, mais ô combien bienvenu, servi occasionnellement par de subtiles envolées mélodiques… Tout ça sur un même morceau, on réalise avec un peu de recul que ce n’est plus de l’équilibrisme ni du grand art, mais bel et bien de la folie brute – sur 9 minutes éprouvantes.

“The Seer” qui enchaîne nous apporte exactement ce qui faut pour nous rassurer dans notre périple : un riff velu, bas du front, dense et tendu, des ces riffs qui vont vous aplatir les molaires sur 5 minutes durant. Sa mise en son, brute et massive, froide et quasi chirurgicale, est l’œuvre de Chris Fielding (Conan) qui apporte exactement la production pertinente à cette trop courte galette de 35 minutes.

La face B présente un groupe mature dans ses choix, confirmant la riche introduction du disque : Bismarck déroule peu ou prou la même recette, piochant dans le grimoire de référence du petit doomeux illustré, tout en en actionnant le poisse-omètre sur le mode “hyper gras”, mêlant avec bonheur plans atmosphériques, passages mélodiques et rage froide. Et que dire de ces emprunts mesurés au psych rock ou même à la musique folk, sincères séquences d’accalmie préparant à une nouvelle furie guitaristique, généralement auréolée des terrifiants vocaux de Torstein Nørstegård Tveiten.

Il n’en faudra pas plus pour confirmer la place de Bismarck dans la jeune garde du doom européen, un doom riche d’hybridation, audacieux et fidèle à ses racines : sombre, froid, terrifiant… mais beau ! Jamais le groupe ne se perd dans la facilité, le riff grossier ou le gimmick un peu trop forcé : si l’album est imparfait, c’est toujours au profit de cette petite touche de frénésie qui distingue les grands albums des bons albums. Rajoutez-moi 10 minutes du même niveau à cette galette et c’est un aller simple pour le Valhalla.

Samsara Blues Experiment – End Of Forever

 

Plus d’une décennie que Samsara Blues Experiment ensorcelle la planète stoner psyché à coups de riffs grassouillets puis polis au cours de trois albums studio pour devenir un véritable véhicule aérien sur le quatrième opus, One With Universe. Durant tout ce temps nous avons ici encensé leurs prouesses, loué leur vision de la musique. La formation allemande n’aura eu à souffrir d’aucun accroc critique de notre part, jamais, jusqu’à aujourd’hui, car oui je le dis, cet album dont je m’apprête à parler, est impardonnable ! Samsara jette l’éponge, annonce avec son dernier album une séparation pour une période indéfinie et un cadeau d’au revoir, End Of Forever. De quel droit ? Ont-ils consulté leurs auditeurs ? Évidemment non ! Impardonnable vous dis-je… enfin, pas tout à fait.

Oui, End Of Forever n’est pas tout à fait impardonnable, il faut même peu de temps avant de sécher les larmes d’émotions qui coulent au lancement de l’œuvre. La plaque sonne d’office dans la droite ligne de la précédente création. “Second Birth” ou “End Of Forever” sont des titres de la continuité, une progression vers des compositions livrant encore plus d’émotion.

Tout l’album est composé de riffs que d’aucuns diraient krautrock, envoûtants, qui montent en puissance dans un jeu collectif au sommet duquel pour “Massive Passive” ou “Orchid Annie” le chant de Christian trône, parfait d’aspérités juste saupoudré d’effets. Ce dernier se fait un rien plus agressif sur le titre éponyme ou plus taquin sur “Southern Sunset”. Le frontman raconte des histoires et il le fait dans un décor foisonnant, articulé par l’accompagnement de la basse et de la batterie de Hans et Thomas.

Cette ultime (?) création est comme toujours trompeuse avec ses pistes qui se superposent, laissant souvent le sentiment qu’il y a cinq musiciens. Pourtant End Of Forever est réalisé une fois de plus en trio, Christian relevant le gant du chant et de la guitare mais aussi des claviers. Il fait sortir de ses instruments de mémorables passages sur “Southern Sunset” et libère la magie de sons à la façon d’un Santana avant que le trio tout entier ne fasse fleurir des couleurs n’appartenant qu’au Samsara pour mieux revenir sur la référence latino-américaine par la voie des percussions qui aboutissent la piste. “Southern Sunset” est sans conteste le titre le plus envoûtant de l’album.

Les superpositions de plans de gratte, l’adjonction du clavier, la perfection des rythmes de batterie et la délicieuse rondeur de la basse offrent à End Of Forever une densité incroyable à tel point que sur “Orchid Annie” elle submerge totalement l’auditeur.  Une fois de plus Samsara Blues Experiment nous offre de gravir la haute montagne de leur créativité et de leur talent, s’inscrivant de façon définitive au panthéon des groupes qu’il ne fallait pas manquer.

Nous abandonner sur une telle plaque, je dis que c’est inadmissible, que c’est déraisonnable, Messieurs, nous avions besoin de vous, nous en voulions encore, par pitié revenez nous livrer vos rythmes et vos accords enchanteurs ! Nous garderons ce rêve de votre retour et en attendant qu’il se réalise, merci au Samsara Blues Experiment pour nous avoir offert de si beaux objets de méditation et un End Of Forever qui clôt cette année et peut être une carrière de la plus belle des manières.

 

Dark Buddha Rising – Mathreyata

 

Treize ans que la formation Dark Buddha Rising hante les confins de la scène drone et doom avec une musique teintée de religiosité macabre. Leur dernier effort Mathreyata a été déposé sur l’autel du psychédélisme dévoyé un vendredi 13, faut-il y voir un signe quelconque? c’est l’écoute de cette nouvelle plaque qui nous le dira, elle a été enregistrée avec la volonté d’être vécue comme un live, sacrifice supplémentaire en cette année qui porte les sceaux du désespoir et de l’amertume, un programme auquel les finlandais ne pouvait que répondre présent.

Mathreyata joue la carte de l’économie de notes et d’une pesanteur doom qui comme souvent confine au drone

-Pffrrrrr Il a dit “confine!!
– Ta gueule!

Bon comme je le disais avant d’être interrompu par moi-même, Dark Buddha Rising pose sans surprise une plaque lourde et profonde sur laquelle on aura tout loisir de s’appesantir d’entrée de jeu avec le titre “Sunyaga” qui dure la bagatelle de 12’57 minutes. Il résume presque à lui seul tout l’album si ce n’est la carrière du groupe avec une ambiance évolutive, qui s’enrichit doucement d’une atmosphère saccadée mais toujours aussi poisseuse et oppressante.

-Ô Pressante, je t’invoque!
-Tu sors…

Les titres font référence à l’hindouisme presque comme toujours mais pour autant n’empruntent pas plus que précédemment la voie du pastiche occidentalisé. Dark Buddha Rising multiplie les invocations tout du long des 45 minutes de Mathreyata avec une économie absolue de notes, une batterie lourde et des chants tout aussi oppressants qu’hypnotiques, les finlandais assènent un drone spectral qui mobilise les énergies les plus primales de l’humanité.

Esthétiquement cette plaque est une vraie réussite. les titres “Nagathma” et “Uni” enveloppent l’auditeur d’un univers sombre, éclairé à la flamme  faisant danser les ombres de mille sonorités inquiétante et intrigantes de beauté.

Enfin “Mahathgata III” clôt l’album en cristallisant toutes les recettes employées au cours des trois précédent morceaux. Derrière un chant shamanique, des cris éraillés et des plaintes sorties du fond des âges, ce dernier titre offre un final qui transcende l’album puisqu’il vient également conclure le cycle des “Mahathgata” entamé sur l’EP II, ainsi fini de la catharsis.

Écouter Mathreyata est une expérience comme celles que l’on vit dans certains récits horrifiques, l’album se pare d’obscurité et réveille cette curiosité qui est prête à accepter un univers malsain pourvus qu’il nourrisse le frisson et l’angoisse comme exutoire. Dark Buddha Rising se débarrasse de nombre de ses oripeaux ici et livre la quintessence de sa musique, produisant sans doute sa meilleure plaque à ce jour.

 

Huntsmen – Mandala of Fear

 

Sous le pavé, la classe.

From Chicago, Illinois, sévit le quintet Huntsmen. Coupable de deux EP et deux albums depuis 2014, les américains fourbissent un métal riche, complexe et intense qui éclate au grand jour dans ce nouvel opus Mandala of fear.

Riche, oui, car si elle évolue sur une solide base post-métal, la musique des Huntsmen ne saurait être réduite à cet écrin. Il est stupéfiant de constater à quel point les américains se font fort d’un savoir-écrire pointu et dense. Leur « americana métal » tel qu’ils aiment à l’intituler fait preuve d’une sémantique exactitude. L’americana, ce courant se voulant syncrétique, dépoussiérant au passage la musique traditionnelle, est l’appellation toute trouvée pour décrire Mandala of Fear. En effet, si vous êtes friands de composition à tiroirs aux styles éparses mais cohérents cet album est fait pour vous.

Le groupe n’hésite jamais à passer d’un psychédélisme froid à la fournaise du black, d’harmonies vocales sorties des années 70 à la poisse gutturale du sludge. Mandala of fear est un voyage long immersif et surtout cohérent qu’on ne trouve que trop rarement dans les productions actuelles. Le premier morceau « Ride out » en est l’exemple parfait. Une mélodie parfaite, un je-ne-sais-quoi de folk dans son intention et puis une claque double black en pleine poire, rougissant fessier et tympan à la limite de l’indécence. Nous voilà, consentant, à subir les assauts qualitatifs du quintet, séant tenant.

Mandala of fear souffre cependant de sa longueur. Afin de traiter toutes leurs idées et de trousser leur ligne directrice, celle d’un soldat déployé pour la première fois, les américains nous sortent une galette longue, plus d’une heure vingt, et donc difficilement assimilable d’une traite. Reste que cette durée est compréhensible et nécessaire une fois l’album écouté. Menfin (comme dirait Gaston) il ne faut pas avoir une autre activité à côté, tant cette musique nécessite une attention de tous les instants. Si vous êtes du genre à picorer, « Ride Out », « Pirates of the waste » et « Loss » devraient vous convaincre de voyager un peu plus longuement en leur compagnie.

Sorti dans une relative indifférence, Mandala of fear de Huntsmen est pourtant une tarte gigantesque à la hauteur des exigences déployées par le quintet. Si vos écoutes vous mènent à faire le grand écart entre Mastodon et Crosby, Stills Nash and Young, à passer sans vergogne de Russians Circle à All Them Witches, il est fort à parier alors que vous allez succomber à la folie créatrice de Huntsmen. Un album fort, dense, à la production solide qui doit trouver une place de choix dans vos collections musicales.

Elephant Tree + Domkraft + Summoner + Horsehunter – Day of Doom Live

Une chose qu’on ne peut pas reprocher au Magnetic Eye, c’est de faire les choses comme les autres – et c’est toujours bon de remuer un peu la poussière dans un environnement un peu “balisé”. Aujourd’hui c’est via rien moins que 4 albums live publiés simultanément (!) qu’ils viennent faire parler d’eux. Il y a une certaine logique à publier les albums le même jour, étant donné que les concerts associés furent enregistrés le même jour, il y a à peine plus d’un an, le 2 novembre 2019 : ce jour-là, le label organisait une sorte de “showcase” (présentation de ses groupes), baptisé “Day of Doom” (les américains ont une approche très large du terme “doom”) où s’enchaînaient sur la petite scène du St Vitus bar de Brooklyn rien moins que neuf (!) groupes. Une sorte de mini-festival en club, dont le label a choisi de retenir quatre enregistrements, détaillés ci-après (par ordre alphabétique, pas de jaloux).


 

DOMKRAFT

Les doomeux de Domkraft n’ont eu que peu d’occasions de faire vibrer leur lourdeur psychédélique. Deux LP et un EP auront cependant suffi à attirer l’attention sur ce trio suédois de haute volée. En intégrant la série de lives Day of Doom ils confirment qu’il faut désormais compter sur eux dans le paysage des mastodontes tripés. Ils en profitent au passage pour préparer le terrain d’un album à paraître l’an prochain.

La parfaite lourdeur du groupe est entièrement respectée, la lancinance du chant conjuguée aux plaintes de la guitare dans une atmosphère invocatrice s’appesantit de rythmes martelés, il n’y a donc pas de surprise par rapport aux enregistrements studios. La voix presque étranglée d’émotion lors de « Through The Ashes » puis déliée en cri puissant résume à elle seule l’émotion du live. Ce titre de loin le meilleur de cette rondelle rappelle avec justesse ce qu’est la musique vécue.

Comme tout live digne de ce nom, celui-ci est un florilège de ce que sait faire Domkraft. Les pistes naviguent entre les albums The End Of Electricity (« The Rift », « Meltdown of The Orb »), Flood (« Landslide », « Flood », « The Watchers »)  et Slow Fidelity (« Through The Ashes »).

Il n’y a pas grand-chose à reprocher à la mise en place et si parfois le chant ou le son des instruments montrent quelques faiblesses ce n’est que pour nous rappeler qu’il n’existe pas d’absolu et que la musique live est là aussi pour tirer parti de ses imperfections.
Avoir invité Domkraft au Day of Doom live est une brillante idée qui nous permet d’embrasser en une audition la qualité des compositions d’un groupe aussi à l’aise en studio que sur les planches et nous faut piaffer d’impatience quant à la reprise d’évènements live.

 

ELEPHANT TREE

Elephant Tree ayant déjà frappé cette année avec leur troisième album Habits, qui fera partie des très bonnes sorties de l’année, c’est une belle surprise de les voir programmés sur cet évènement, surtout après leur très bon dernier passage en France fin 2019  !

Le concert démarre en douceur avec “Aphotic Blues”  et on sent rapidement que le son mélange parfaitement les ambiances du live avec la qualité d’un enregistrement studio. Les anglais montrent eux leur grande forme avec ce premier titre et enchaînent avec trois autres titres de leur album éponyme, “Dawn, “Wither” et “Surma”. Trois titres qui nous plongent la tête dans les vagues stoner-doom du groupe pour se conclure sur les lents riffs psychédéliques de “Surma”.

Même pas le temps de se remettre de nos émotions et de passer par l’espace frigo-buvette qu’Elephant Tree nous prend en traître avec in “In Suffering” et son chant agressif. Le groupe profite d’avoir ragaillardi et réchauffé  la fosse avec cette bûche enflammée pour nous offrir le somptueux  “Attack of the Altaica” qui vient lentement nous hypnotiser avant de nous cueillir avec une cassure qui rappellera celle d'”Aphotic Blues”. Ce titre, lui aussi issu du premier album Theia (et accompagné cette fois-ci par la sitar que l’on retrouve sur l’album), et le somptueux titre acoustique “Circles” viennent clore le set et résumer toutes les qualités d’Elephant Tree. Au-delà de fournir une très bonne prestation live, le groupe livre un rendu enregistré de très bonne qualité qui permet de profiter pleinement du concert et ne nous donne plus qu’une envie : retourner en salle et en festival pour profiter à nouveau d’affiches aussi belles que celle de la série Days of Doom.

 

HORSE HUNTER

Avec 2 albums au compteur, dont un petit dernier paru il y a plus d’un an sur le label, on ne peut pas vraiment dire que les australiens de Horsehunter ont fait beaucoup de vagues de ce côté-ci du continent. Ce live est donc une excellente occasion de découvrir le groupe pour celles et ceux qui ne les connaissent pas encore.

En tant que disque, ce live laisse peu de doute sur le style pratiqué par nos gonzes : 4 plages pour 45 minutes, on est sur du doom d’école. En l’occurrence, le groupe pioche deux plages dans chacun de ses deux LP. Ce portfolio musical nous permet de découvrir diverses facettes de ce combo de doom aux penchants sludge/metal. Sans jamais se dépareiller d’un certain classicisme dans leur style musical, le quatuor propose pourtant des compos vraiment intéressantes, aux structures parfois complexes, enchaînant des séquences aux styles variés, à l’image de ce « Nuclear Rapture » qui démarre tel un glaviot punk-sludge pour se transcender progressivement en un doom instrumental classieux et épique qui évoquera même parfois Bell Witch (sans parler de cet épique solo de guitare de plusieurs minutes), voire Yob. Après un « Witchery » coupé en deux par rapport à sa version disque, le glorieux « Stoned to Death », tout en doom sabbathien et en riffs velus, vient clôturer de son gras quart d’heure (avec une apothéose dantesque) ce live de haute tenue.

 

SUMMONER

C’est presque en voisins que les quatre bostoniens de Summoner sont venus poser leurs amplis sur la petite scène du St Vitus Club. Relativement peu connus, malgré 3 albums au compteur et plusieurs “mises en avant” par leur label (notamment via leur série d’albums tribute “Redux”), le quatuor a pourtant de sérieux arguments à faire valoir, et cet échantillon live vient en faire la démonstration.

De manière assez étonnante, ils proposent une set list dont 6 des 7 titres vont piocher dans leurs deux premiers albums, en date de 2012 et 2013, avec un seul extrait de leur dernier en date (Beyond The Realm of Light, 2017). La set list est bien vue globalement, permettant au groupe de présenter assez globalement son prisme musical, qu’on pourrait grossièrement associer à une sorte d’orgie NWOBHM avec un grand totem Black Sabbath au milieu : gros riffs old school, cavalcades rythmiques, soli venus de nulle part, plans à deux guitares harmonisées… On est de retour plein pot sur la fin des années 70 / début années 80 dans ce que le metal proposait de meilleur à l’époque. Certains plans pourtant sont clairement empreints de tonalités contemporaines (à l’image de “The Prophecy”), si bien qu’on n’est jamais déstabilisé par le trip vintage à outrance.

Difficile de mettre en exergue certains titres, mais pour l’exercice citons tout de même ce très réussi “Let the Light In” (belle pièce de presque 10 minutes au final orgasmique), le très Thin Lizzy-esque “The Interloper” ou encore “Skies of the Unknown”.

La version live des titres, assez fidèle aux versions originales, dotées d’une mise en son impeccable, finissent de faire de cette galette une très bonne opportunité de découvrir ce groupe qui le mérite bien.


En synthèse, tandis que l’on pouvait craindre l’opération un peu chelou avec cette série de 4 live venus un peu de nulle part, il s’avère que la qualité est indéniablement au rendez-vous. Non seulement le son de ces live est d’une redoutable efficacité (note : si on entend peu le public, c’est surtout que le club est très petit, et le public américain :-)…) mais surtout le line up retenu est particulièrement intéressant, mêlant avec réussite groupes confirmés et groupes à découvrir. Le talent est à chaque fois au rendez-vous, et s’enfiler ces 4 galettes aux styles bien différents garantit un vrai plaisir d’écoute.

 

Formats :

  • Chaque album est dispo en Digisleeve CD ou édition vinyl noir classique.
  • Un coffret 4CD est dispo avec un livre “d’art” cartonné.
  • Une édition limitée de chaque groupe sera dispo en vinyl : dark green pour Elephant Tree, ocean blue pour Domkraft, purple pour Summoner, dark brown pour Horsehunter.

 

Par Kara, Laurent, Sidney Résurrection

 


 

ZOE – Back into the Light

J’aime les chroniques faciles à rédiger. J’aime les chroniques d’album dont le premier titre vous donne un résumé de presque tout ce que vous avez à dire. “Back into the Light” (titre de l’album aussi) ouvre donc ce quatrième album des frenchies de ZOE. Et je rajouterai tant mieux et enfin !

Tant mieux car ZOE nous offre ici un album de la catégorie « All Killer, No Filler » (oui je rêvais de citer SUM41 dans une chronique et alors ?) et enfin car il aura fallu attendre quelques années après le brillant Raise the Veil (2014).

A mon sens plus Hard Rock que Stoner, on ne va quand même pas jouer les sectaires et cet album, au même titre que les précédents d’ailleurs, a pleinement sa place ici, genre à mi-chemin entre Motörhead et Monster Magnet.

Revenons au premier titre, “Back into the Light”. C’est superbe. Une intro hyper soignée et pêchue, un riff qui va à l’essentiel et déjà on sent la rage qui habite les musiciens. Cette rage nécessaire et indispensable pour vous sortir un album comme celui-ci. On sent dans le refrain que le groupe lâche tout et surtout cette frustration certainement accumulée de ne pouvoir sortir un album plus tôt.

Alors bien sûr vous savez tout comme moi qu’un bon premier titre ne fait pas un bon album et qu’il arrive parfois que les premiers titres de tueurs ne soient que des cache-misères.

“Voices” vous rassurera d’emblée. Ça dépote tout autant avec, excusez du peu, un solo amené de mains de maître par un break instrumental finement ciselé. Un modèle du genre dans la maîtrise des arrangements et de la composition. A l’image de ces deux premiers titres, l’album est un concentré d’énergie communicative.
On ralentit un chouya le tempo sur “Down in a Hole” sans perdre en intensité, j’en veux pour preuve ce son énorme sur le refrain. J’en profite pour dire que, entièrement et sans la moindre exception, le son de cet album est énorme. Chaque curseur a été réglé pile où il devait l’être. Rien, absolument rien à changer. Batterie et basse ont une sonorité qui respire la chaleur, c’est du pur bonheur.

Je m’arrête dans les détails pour ne pas faire une chronique titre par titre, mais je vous tease quand même en vous disant que Blues et Rock’n’Roll old school sont aussi de la partie. En vous disant que ZOE nous donne ici un album complet, riche et varié.

Certains chroniqueurs finissent parfois en donnant leur highlight. Pour une fois je me prête à l’exercice en vous disant que les titres à écouter en priorité, ce sont les dix premiers (et de vous conseiller par la même occasion d’aller (re)découvrir les précédents albums du groupe).

ZOE est de retour sous les projecteurs et en cette année 2020 ô combien mémorable, c’est clairement à ranger du côté des choses qui réchauffent le cœur.

Ruff Majik – The Devil’s Cattle

Ces dernières années n’ont pas vraiment ressemblé à un long fleuve tranquille pour Ruff Majik. Les sud-africains ont eu beau donner le change à travers une petite poignée de remarquables et remarquées dates dispatchées sur le vieux continent, en coulisses c’était un peu plus chaotique : un véritable tourbillon de musiciens sont entrés / sortis du line up autour de l’inamovible frontman Johni Holiday (c’est pas un pseudo…), changement de maison de disques, concerts, festivals, déménagements… Cet entropique foutoir rejaillit inévitablement à travers ce The Devil’s Cattle, un disque bouillonnant, énergique… et bordélique, donc.

Changement significatif apporté à la structure du groupe, Evert Snyman, ami et collaborateur de la première heure, producteur notamment de Tårn, est incorporé au line-up du groupe, et forme donc désormais avec Holiday le binôme en charge quasi-complètement de ce nouveau disque : même si Holiday reste le compositeur principal du disque, tout est enregistré par le duo – Snyman étant un multi-instrumentistes doué, ça aide. Le leader historique laisse même sa place derrière le micro à Snyman sur plusieurs titres, apportant une alternative saisissante à son chant un peu nasillard si emblématique (voir “Who Keeps Score” qu’on croirait chanté par Josh Homme, “God Knows”…).

On savait déjà Ruff Majik capable de proposer des galettes riches et diversifiées, mais ils passent un vrai cap avec ce The Devil’s Cattle, à tel point qu’il est quasiment impossible de synthétiser ce disque ultra-dense de 13 chansons. En simplifiant à outrance, on dira que le quintette (ou duo, selon le point de vue où on se place) propose un stoner groovy garage, où on retrouve des dizaines d’influences (dont plusieurs fois le QOTSA des 2 ou 3 premiers albums, admettons-le). Du coup, on se laisse emporter et balader par cette grosse cylindrée (la prod est clinquante, surtout si on la compare à Tårn, au son plus rêche) qui accélère (souvent), ralentit parfois, fait des embardées vaguement contrôlées, des demi-tour, prend les virages au frein à main et repart pied au plancher en faisant crisser les gommes. Zéro repères, que des prises de risques, et presque toujours payants ! Il faudra ainsi attendre plusieurs tours de piste pour prendre la mesure qualitative de certaines des compos du disque. Car si des titres comme l’introductif et éloquent “All you Need is Speed”, le bourrin “Heart like an Alligator” ou le groovyssime “Jolly Rodger” (que l’on croirait issu d’un bon Eagles of Death Metal) peuvent se targuer d’un effet cortical immédiat, une poignée de titres plus ambitieux prennent leur pleine mesure après une phase de digestion bien nécessaire : on pense au catchy et très stoner “Shrug of the Year”, au nonchalant “Gregory”, à l’énervé et fuzzé “Trading Blows” ou à l’audacieux mais très beau “God Knows”. Et ne parlons pas du grassouillet “Born to be Bile” où le beugleur canadien Vincent Houde de Dopethrone vient prêter quelques lignes vocales bien craspec pour des plans sludge bien sales sortis de nulle part… Même si 2 ou 3 titres peuvent apparaître plus dispensables (et encore, ils “aèrent” le parcours du disque…) l’ensemble fait montre d’une qualité d’écriture remarquable.

Bref, The Devil’s Cattle, s’il ne se résume pas, se déguste de bout en bout, sans jamais fatiguer. Le disque est riche, frais, malin, bien écrit, et bien interprété. Il est par ailleurs, et c’est aussi un pas décisif, doté d’une mise en son qui rend honneur aux compos. Enfin le disque que méritait ce groupe, en espérant qu’ils pourront s’appuyer sur cet élan créatif pour développer leur fanbase et venir nous voir plus souvent, car ces titres ont un potentiel live indéniable.

 


Starmonger – Revelations

Né à Paris en 2015, le petit Starmonger a fait rapidement la fierté de ses parents. 4 EP parus métronomiquement en 2015, 2017, 2018 et 2019 (répondant au doux nom de Revelations I, II, III et IV) ont assis la réputation du combo et leur a permis de recevoir l’étiquette tant convoitée de « groupe à fort potentiel à suivre de très près ». On attendait donc avec impatience un premier LP pour voir si la qualité perçue dans ces EP allait tenir la distance sur un format plus long. Voici donc Revelations, premier vrai album du trio, habillé d’un splendide artwork de Jo Riou (mais on commence à avoir l’habitude avec le bonhomme…).

Nos trois gaillards parisiens, forts d’une solide expérience, n’ont pas peur d’envoyer la sauce et, en plus, ils savent la cuisiner parfaitement. Accueilli par un « Rise of the fishlords » et sa guitare vrombissante, l’auditeur est en terrain connu. Aucune faute de goût, un véritable dénuqueur dans lequel on peut déceler quelques notes bienvenues de claviers, « comme à l’époque ». Assez prog dans sa conception avec de nombreux changements de rythme, « Rise of the fishlords » est une excellente entrée en matière et une très belle carte de visite pour Starmonger. Cela tombe bien, le reste de l’album est à l’avenant: guitares bien mises en avant, compositions à la fois originales (« The last man » et ses samples), puissantes (le très martial « Drafter ») ou rendant hommage au rock californien (« Rust to dust » et la voix ensablée de Steve, également bassiste), Starmonger connaît ses classiques et s’amuse à les revisiter pour un résultat intéressant à tous points de vue.

Agréable découverte que ce trio qui démontre la qualité et la bonne santé de la scène stoner française. Ne reste plus qu’à concrétiser cette bonne impression sur scène où Starmonger devrait faire parler de lui. Avec un premier album de cette trempe, on ne se fait pas trop de soucis pour eux…

Electric Hydra – Electric Hydra

Tiens, il y avait longtemps que la Suède ne nous avait pas envoyé un nouveau groupe stoner à se carrer entre les oreilles ! Les heureux élus se nomment Electric Hydra, ils sont 5 (3 bonhommes et 2 demoiselles) et ils vont tenter de marcher sur les traces de leurs compatriotes. Et on leur souhaite bien du courage car le niveau est assez élevé… Formé en 2017, le groupe vient de signer chez Majestic Mountain records et sort ces jours-ci un premier album sous un fort joli artwork. Bon alors, elle vaut quoi, cette nouvelle pépite suédoise ?

On est d’emblée cueilli à froid avec un tétanisant « It comes alive », pure giclée d’adrénaline de 3 minutes et demie. Groove imparable, puissance évidente, chant à l’unisson : l’énergie du punk transposée en 2020… D’ailleurs, en parlant de musique à crête, sachez que les 10 titres que composent l’album dépassent rarement les 4 minutes, ce qui fait que ce premier album éponyme dure la bagatelle de 34 minutes douche comprise. On ne s’embarrasse donc pas d’intros étirées sur des siècles ou des solos de guitare interminables : chez Electric Hydra, c’est immédiat, c’est ultra rentre-dedans et çà vous pète à la gueule plus rapidement que votre pote qui ne digèrerait pas son chili.

Et c’est là tout le paradoxe de cet album : on n’a pas le temps de s’ennuyer… mais parfois, on y arrive quand même ! Pas à cause des compositions (« Won’t go to war », « Grab with yours » ou le très heavy « Iron lung » feraient la blague sur bien des productions actuelles) mais plutôt d’une certaine redondance des ambiances et des riffs. Bon, on est à des années-lumière d’un quelconque endormissement mais quand on tient des musiciens de cette trempe (nos amis suédois sont loin d’être des manchots dans leur genre), on aurait aimé un peu plus de folie, de prise de risque, d’audace. Mettons ça sur le fait que c’est un premier album et que ce n’est qu’une mise en bouche avant un second album qui, on l’espère, devrait arriver rapidement.

Ce premier essai d’Electric Hydra est donc plein de promesses pour qui aime le rock « à l’ancienne », avec de grosses grattes branchées sur des amplis rougeoyants et des rythmes qui vous donnent envie de chevaucher votre bécane pour faire clignoter les radars. Une formation à suivre de très près ces prochaines années.

Brown Acid – The Eleventh Trip

Si Riding Easy Record nous comble  régulièrement de bonnes ondes avec des groupes comme Monolord, The Well ou encore Holy Serpent, il ne faut pas oublier que Daniel Hall, patron du label, est aussi un grand amateur de la scène rock américaine des années 60 et 70. Cette passion, il la concrétise depuis 2015 à travers les compilations Brown Acid qui ont pour but de dépoussiérer cette période bénie, parfois fantasmée, du rock et de nous faire découvrir ces groupes méconnus qui ont vécu aux côtés des Led Zeppelin, Creedence Clearwater Revival ou encore Grand Funk Railroad.

Ce onzième trip dans le passé se compose de dix artistes exclusivement américains avec un spectre musical allant de la soul à ce qui ressemblerait aux balbutiements du punk. La soul d’abord, exprimé à travers le chant et les cuivres de “I’ll Give You Love” (Grump). On pouvait déjà apercevoir Grump sur la huitième compilation Brown Acid avec une reprise d’Elvis Presley mais le groupe de Boston se distingue ici avec un titre énergique se finissant sur un riff aussi surprenant que tranchant, donnant envie que le morceau se prolonge un peu plus …  L’empreinte punk est mise en valeur par Zendik et son “Mom’s Apple Pie Boy” très proche de ce que fera MC5 sur ces premiers albums, notamment au niveau des rythmiques rapides de la batterie et d’un chant plus mordant.

Entre ces extrémités, des titres comme  “Somethin Else” (Adam Wind) et “Dancing in the Ruin” (Debb Johnson)  viennent remplir la compilation de rock à tendance psychédélique avec des rythmes de basse groovy un brin hypnotisant. On retrouve aussi sur “Turtle Wax Blues” (Bagshot Row, nom qui ravira les connaisseurs de la Terre du Milieu même si on est loin des ambiances de la Comté) des riffs et un son particulier qui nous ferait aujourd’hui directement penser à la scène désert rock, et en particulier à son shaman Brant Bjork. Le titre “I Want You” (Minist’r) nous offre lui une phase au clavier, en sortie du solo guitare, qui aurait très bien pu apparaitre sur le Sabbath Bloody Sabbath de la bande à Iommi.

Ce Brown Acid, cru 2020, apporte aussi son lot d’étrangeté avec “Every Girl Gets One” (Crazy Jerry) qui entremêle son rock à la tension électrique et un échange téléphonique qui semble répondre au chant. Mais c’est le titre “In Wyrd” (Renaissance Fair) qui remporte haut la main la palme du voyage en bizarrerie. Cet acid rock composé de rythmes saccadés, de claviers qui oscillent entre ambiances médiévales et orientales et d’une flûte en roue libre, illustre bien cette liberté musicale de l’époque et vient faire écho aux ambiances psychédéliques des Doors.

Il faut bien entendu rendre hommage au travail réalisé par Riding Easy Record qui, au delà du travail de recherche et de mise en valeur de ces groupes oubliés par le temps, nous offre une compilation à la tracklist au final assez cohérente portée par un rendu sonore très bonne qualité. Il est clair que cette compilation viendra essentiellement intéresser les collectionneurs de raretés ainsi que les amoureux des années 60/70. En conclusion, Brown Acid propose de belles découvertes (pour ma part ce sera le titre de Debb Johnson avec ses cuivres apportant un groove jazzy au riff principal. Leur album éponyme datant de 1969 est d’ailleurs disponible sur internet et ça vaut le coup d’oreille) qui pourraient captiver les curieux de la scène stoner au sens large ainsi que ceux qui souhaiteraient fouiller dans les racines du genre.

 


Birds of Nazca – Birds of Nazca

Birds of Nazca, c’est un duo, originaire de Nantes, qui donne dans le stoner instrumental… Le genre de présentation qui au mieux, suscite de l’indifférence, au pire de la moquerie. A ceux-là, nous leur conseillerons de réviser leur jugement trop hâtif et de jeter une oreille plus qu’attentive au premier effort du binôme nantais. Car oui, Birds of Nazca fait du stoner instrumental, un marché de niche qui peut rebuter au premier abord (bah oui quoi, c’est bien connu, c’est chiant quand il n’y a pas de chanteur.euse!) mais qui nous a pourtant apporté son lot de formations mythiques, de My Sleeping Karma à Monkey3 en passant par Karma to Burn.

Alors, que retenir de cet album éponyme tout de noir vêtu ? Enregistré en live sans aucun overdub, le son est granuleux, immédiat, terriblement vivant. Evidemment, les piafs ne réinventeront pas le cactus mais ils savent donner à leur musique un goût d’authentique, une belle unité et on sent leur amour de la musique transpirer à chaque minute. Assez simple dans sa conception et très facile d’accès même pour le néophyte ou le réfractaire au genre, leur musique cache un travail poussé sur les ambiances et, au final, l’absence de chant n’est pas préjudiciable. Cela permet même de pénétrer un peu plus dans leur univers, de laisser divaguer son imagination et de se perdre dans les méandres d’une musique parfois chamanique, souvent entraînante mais jamais ennuyeuse.

Au final, difficile de dire du mal d’un tel premier essai. Certes, on peut déplorer ça et là quelques moments moins passionnants mais n’oublions pas qu’ils ne sont que deux et qu’à ce titre, les contraintes « physiques » sont plus évidentes que pour un groupe « classique ». Reste que ce premier album éponyme est une franche et belle découverte et une porte d’entrée idéale pour faire découvrir le stoner instrumental à ceux que le genre rebute. En cela, on ne peut que les féliciter.

Jahbulong – Eclectic Poison Tones

Bien moins prolifique qu’à ses débuts mais toujours bien présent pour soutenir la scène stoner-psych-doom italienne (la plupart des labels italiens se concentrent sur des groupes non-italiens…), Go Down Records a le charme naïf de ses intentions : derrière leur très louable crédo, on a eu coutume de trouver dans ses écuries des groupes de qualité hétérogène, parfois un peu “survendus” (c’est de bonne guerre). C’est donc toujours avec un petit intérêt pour la découverte mais aussi une oreille suspicieuse que l’on se lance dans l’écoute de leurs nouveautés. C’est aujourd’hui au trio véronais Jahbulong, avec son second album, de passer l’épreuve de l’infaillible “bullshit detector” de Desert-Rock… et ils en sortent blanchis de tous soupçons !

En effet, Jahbulong est un bon groupe de doom, classique – de cette tendance qui, s’il prend (heavydemment) ses racines dans le noir terreau Sabbathien, se situe dans l’héritage des groupes les plus emblématiques actifs sur ce siècle (entre Electric Wizard et Monolord, en gros). Quatre chansons seulement (entre 9 et 15 minutes) constituent cette sympathique galette, chacune charpentée autour d’une rythmique de plus en plus lente au fil des titres (faut entendre “The Eremite Tired Out” étirer son maître riff sur des mesures rallongées à l’envie, à peine saccadées par des coups de cymbales bien derrière le temps… On a presque envie de les prendre par les épaules pour les secouer !).

Fondamentalement, les éléments clés du doom sont au rendez-vous : riffs gras du bide, son de guitare bien glaireux et généreusement fuzzé, embardées de leads en mode “état de grâce” à la Electric Wizard, chant rare mais toujours noyé sous une tonne d’effets… Tout y est. Une bonne part du disque met en avant un travail mélodique prépondérant, plus prégnant que l’agressivité des guitares (qui reste au rendez-vous, rassurez-vous), rendant l’ensemble plus “accessible” que pas mal d’autres productions de genre similaire.

L’originalité stylistique ne sera donc pas le fondement premier du plaisir d’écoute ; le respect des codes, en revanche, et globalement la qualité des compos fera plus d’un heureux parmi les amateurs du genre. Un bon disque de doom qui trouvera légitimement sa place dans une collection un peu qualitative du genre.

 


Turtle Skull – Monoliths

Sorti au creux de l’été, le second album du quintet australien était passé un peu inaperçu, y compris au sein de notre rédaction. Après quelques écoutes, il nous semble dommage de ne pas traiter cette bien jolie rondelle.

Le groupe évolue dans une sorte de psych rock TRÈS hybridée, qu’ils qualifient eux-mêmes, non sans humour (on espère), de “flower doom”. Dans les faits, on est vite happé par le chant absolument aérien, cristallin qui surnage sur les 8 plages de ce disque. Pour l’anecdote, le chant est assuré par 3 des 5 musiciens, avec notamment quelques passages harmonisés. Du coup, on pense beaucoup à Mars Red Sky concernant cette alchimie très complexe qui permet de faire cohabiter avec bonheur ce type de chant avec des plages instrumentales massives. Concernant Turtle Skull toutefois, la comparaison s’arrête là, leur panel musical étant moins heavy que celui du trio français. Mais si certains morceaux poussent fort la saturation pour des passages bien costauds (on pense à “Leaves”, bel exemple de ce contraste), le groupe côtoie aussi l’autre extrême du spectre musical, avec des morceaux mélancoliques fluets (“Apple of your Eye”), confinant au pop rock, limite folk parfois (“Halcyon”). Au milieu, on retrouve des plages typiques de rock indé (“Rabbit”).

Les passages les plus réussis au goût de votre serviteur sont néanmoins les plans où le groupe s’engage à fond dans le psych rock, un genre qu’ils maîtrisent finalement dans sa plus large interprétation : du plus classique (“Heartless Machine”) jusqu’au pur space rock (“Who cares what you think ?”, ou le le prodigieusement catchy “Why do you Ask?” mélant jam rock et plans kraut). Très judicieusement calé en fin d’album, le très gros “The Clock Strikes Forever” (presque 12 min) vient synthétiser le talent du groupe, partant sur un beat space rock lancinant à souhait, boucle au groove grossissant à la Farflung, tournant impeccablement pendant plus de quatre minutes sans presque jamais faiblir, amenant à un point culminant de jam rock bien foutu (la seconde moitié, plus noise, est moins emballante, mais l’essentiel était dit).

Les amateurs de psych rock varié devraient trouver leur bonheur dans cette galette : proposant assez peu de plans heavy (même si souvent à l’origine de quelques belles embardées saturées) le groupe nous fait voyager à travers les vastes étendues désertiques australiennes, grâce à des compositions psych rock et space rock emballantes et ennivrantes. C’est peut-être un peu cliché, vu comme ça, mais on vous défie de voir les choses différemment après 4 ou 5 écoutes. Probablement remarquable en live.


 

Causa Sui – Szabodelico

 

Voici qu’arrive en douceur le énième disque de Causa Sui en quinze ans. Une discographie comme la leur ce n’est pas donné à toute le monde et c’est amplement suffisant pour faire partie des valeurs sûres du stoner psychédélique. Le quartette danois nous a habitué tout au long de ses sorties à des plaques grisantes, graissées aux relents de stoner. Cet automne voici qu’arrive sa dernière production Szabodelico, sur laquelle je me suis jeté sans discernement. Que risquais-je après tout?

Pour cet album je vous propose de faire l’impasse sur le sous entendu jazz qui borde un certain nombre de pistes,  alors on pourra s’allonger dans la chaise longue des riffs et se laisser porter par l’ascenseur Causa Sui, un cocktail rafraîchissant à la main ( En cela je rejoins l’analyse qu’avait faite Flaux du Summer Sessions Vol.1), les yeux fermés, perdu dans ses pensées à voir danser sous ses paupières une “Laetitia” ou un “Rosso Di sera Bel Tempo Si Spera”.

Cette nouvelle rondelle va à l’économie. Exit les effets abrasifs sur les grattes. Adieu tonitruante batterie porteuse de violence contenue. Contrairement à ses prédécesseurs Szabodelico emprunte des voies exclusivement Prog/Acid rock et fait cadeau à l’auditeur d’atmosphères aussi lysergique que celles des albums les plus babas de la beat generation comme l’illustre à merveille “La Jolia”. On comprend avec ce titre comme avec les précédents que la dynamique retenue fait la part belle aux cordes plutôt qu’à une batterie qui occupait jadis un rôle très central.

Bien sûr on ne se refait pas totalement, l’énergie de “Sole Elettrico” et sa jam un rien germanique s’inscrivent en un sens dans la veine des albums précédents. Mais c’est un soubresaut, Causa Sui se lance à corps perdu dans l’expérience et c’est à de rares occasions que le groupe quitte le tout planant pour s’essayer au sautillant comme sur “Vibratone” qui n’en oublie pas pour autant d’être un titre dense. Ce dernier laisse le pied battre la mesure en toute légèreté, le ciel de notre ascenseur est fait de verre et laisse passer un beau soleil estival.

Comme pour tout ascenseur qui se respecte, on aura du mal à bien mémoriser les titres de ce Szabodelico, Causa Sui offre un voyage presque anodin, certes un peu long mais indéniablement relaxant. Avec plus d’une heure de voyage et de relaxation je me garderai de dire que l’album est un raté, il y a pour moi deux hypothèses, soit il s’agit là d’une expérimentation, soit de l’aboutissement de recherches précédentes et je penche plus volontiers pour cette seconde explication, même si le Causa Sui appose le sceau de la différence sur cette création..

Szabodelico ne devrait pas désarçonner les habitués de Causa Sui qui fait éclore ici des graines plantées tout au long de ses précédents albums et en particulier au sein de Summer Sessions. Cependant il laissera probablement sur le bord de la route ceux qui attendait une plaque encore une fois à la croisée du stoner et du psych. Cet album sort à point nommé et emprunte les atours de ce moment de l’année qu’est l’automne où l’on se sent entre deux mondes, glissant sans coup férir vers un univers assoupi et paisible.

 

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